A l'adolescence, c'est le premier
Simenon que j'ai lu et il m'a durablement marqué. A le relire aujourd'hui, à un âge où la vie a eu le temps de me faire perdre quelques illusions, mon impression est plus mitigée.
Comme l'indique le titre, la "
Lettre à mon juge" est adressée par le récent condamné, Charles Alavoine, à son juge d'instruction.
Dans ce courrier, Alavoine expose à ce magistrat qu'il pense être à même de le comprendre, ce qu'il n'a pas pu lui dire au cours de l'instruction, alors que les avocats et les greffiers participaient aux entretiens. Il ne s'agit pas pour lui d'évoquer de quelconques circonstances atténuantes, mais plutôt de creuser toujours au plus près de la vérité des sentiments, de faire comprendre comment un homme sans histoire peut basculer.
Car Alavoine est un homme banal, qui a toujours subi, mené la vie que ses proches attendaient, entre sa carrière de médecin et les mariages de raison.
Avant que soudain, tout bascule, quand il rencontre Martine, un être que la vie a balloté et meurtri et qui devient sa maitresse, réveillant chez cet être docile, une passion et une jalousie destructrices.
Ce récit de 1947 écrit aux Etats-Unis, comporte à l'évidence, des traces autobiographiques puisqu'à cette époque,
Simenon vit également une histoire avec sa secrétaire Denyse Ouimet (qu'il épousera quelques années plus tard).
Mais si le thème n'est pas neuf (après tout, le décevant
trois chambres à Manhattan traite déjà de ce sujet), la forme est spectaculaire avec ce récit à la première personne. En s'adressant à cet homme chez qui il a perçu de la fragilité et de la peur ("Vous avez peur, précisément, de ce qui m'est arrivé. Vous avez peur de vous, d'un certain vertige qui pourrait vous saisir..."), Charles Alavoine se livre à une introspection, à coups de scalpel, livrant les tréfonds de son âme, analysant maniaquement la moindre méandre de sa pensée, revenant sur les conséquences du positionnement social ( il n'est que de la 1ère génération à s'élever socialement, et reste marqué par ce qui le sépare de l'intelligentsia bien établie), sur ses années de soumission aux conventions, aux désirs muets de sa mère, à l'emprise de sa femme, jusqu'à la rencontre d'un être aussi paumé que lui, aussi en décalage avec son image.
Après "
La Veuve Couderc"*, voici un nouvel exemple de fatalité proche de "l'Etranger", Alavoine se définissant même comme un "homme sans ombre", avant de s'affranchir de sa gangue de convenances, mais de manière tragique.
J'ai malgré tout, une réserve quant à la fin qui ne réserve aucun suspense, aucune révélation particulière hormis l'action rédemptrice et meurtrière qui est attendue et qui semble quand même, davantage relever de la "démence" que de la construction logique qu'Alavoine s'efforce de mettre en avant, espérant que "son" juge le comprendra et ne le prendra pas pour un fou (mais comment ne pas apparaître timbré quand on écrit une lettre ?).
J'aurais donc préféré un coup de théâtre, la révélation d'un autre coupable, que sais-je...Mais tel quel, ce roman reste passionnant, le talent de
Simenon éclatant là encore, comme si souvent, à coups de phrases sobres et ciselées, décortiquant les passions humaines, sans les juger jamais.
NB. Armande, la deuxième femme de Charles Alavoine est la fille d'un certain Hilaire de Lanusse. Seule mon tact naturel et ma profonde réserve m'empêchent d'en dire plus par là.
* on pourra noter que Jean, dans "
La Veuve Couderc" sort de la Centrale de Fontevrault. Alavoine lui, dans "
Lettre à mon juge" attend d'y être transféré.