André Gide disait : "Il faut être allé au désert pour comprendre le sens du mot culture." Je dirais de même : il faut avoir traversé les époques désastreuses, connu le parcage en troupeau dans les camps, souffert de la faim dans les villes détruites ; en un mot, il faut avoir reflué vers les conditions de la vie barbare et primitive, pour apprécier à sa juste valeur la notion de civilisation.
Qu'y-a-t-il de comparable entre l'état de Paris après l'année dite terrible, et l'état de Varsovie en 1944 ou de Berlin en 1945 ? Au moins, entre Européens, une certaine moralité de la guerre s'était imposée, une courtoisie entre combattants, une convention tacite ou même signée pour épargner les villes ouvertes, les populations civiles. Partout des frontières compartimentaient à l'extrême la péninsule Europe, des armées s'exerçaient, des états-majors, des chancelleries, des puissances financières jouaient des parties serrées et pas toujours honnêtes ; mais, on passait sans formalités d'un pays à l'autre, le même or payait le champagne à Paris et la vodka à Saint-Pétersbourg, l'Occident était capable de mobiliser ses banquiers et ses ingénieurs pour creuser à frais communs le canal de Suez, et les économies de la bourgeoisie française passaient à construire des chemins de fer en Russie.
Le 18 mai 1918, il écrivait : "Toute grande révolution morale doit être un point de maturité de l'âme collective. A vouloir cueillir le fruit vert, on force la croissance par des moyens factices, on risque de perdre pour jamais la récolte. Donc, la première chose de toutes : distinguer entre les exigences de sa conscience propre, et les besoins ou les possibilités de celle de votre peuple. Qui se sent la vocation du Christ, qu'il se fasse crucifier ; mais que jamais il ne fasse crucifier les autres."