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Citations sur Le Pays des autres (416)

Comment voulez vous que nous ayons une vie sociale ? Vous n'imaginez pas ce que c'est que d'être mariée avec un indigène, dans une ville comme celle-là "
Corinne avait failli répondre qu'il n'avait pas toujours été facile d'être mariée avec un juif, un métèque, un apatride et d'être une femme sans enfant. Mais Mathilde était jeune et Corinne pensait qu'elle ne comprendrait pas.
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Il n'y a pas de drame dont on ne puisse se remettre, pensa Mathilde, pas de désastre sur les ruines duquel on ne puisse reconstruire.
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La sollicitude de Mouilala, sa tendresse écrasait Selma et s'apparentaient, pour elle, à une forme de violence. Parfois, la jeune fille avait envie de hurler au visage de Mouilala et aussi de Yasmine, la servante, et elle considérait que les deux femmes étaient également esclaves, peu importait que l'une ait acheté l'autre au marché. L'adolescente aurait tout donné pour une serrure et une clé, pour une porte fermée sur ses rêves et ses secrets. Elle priait pour que le destin lui soit favorable et qu'un jour elle puisse s'enfuir pour Casablanca et se réinventer. Comme les hommes qui criaient "Liberté ! Indépendance !", elle criait "Liberté ! Indépendance !", elle criait "Liberté ! Indépendance ! ", mais personne ne l'entendait.
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Quand il apprit la mort de son beau-père, Amine dit : « Tu sais que je
l’aimais beaucoup », et il ne mentait pas. Il avait immédiatement ressenti
une vive amitié pour cet homme franc et joyeux, qui l’avait accueilli dans
sa famille sans aucun préjugé et sans paternalisme. Amine et Mathilde
s’étaient mariés dans l’église du village alsacien où Georges était né. À
Meknès, personne ne le savait et Amine avait fait promettre à sa femme de
garder le secret. « C’est un crime grave. Ils ne comprendraient pas. »
Personne n’avait vu les photographies prises à la sortie de la cérémonie. Le
photographe avait demandé à Mathilde de descendre de deux marches pour
être à la même hauteur que son époux. « Sinon, avait-il expliqué, c’est un
peu ridicule. » Pour l’organisation de la fête, Georges céda à tous les
caprices de sa fille à qui il glissait parfois quelques billets dans la main, en
secret d’Irène que les dépenses inutiles consternaient. Lui comprenait qu’on
ait besoin de jouir, de se trouver beau, et il ne jugeait pas la frivolité de son
enfant.
Jamais Amine ne vit d’hommes aussi soûls que ce soir-là. Georges ne
marchait pas, il tanguait, il s’accrochait aux épaules des femmes, il dansait
pour masquer son étourdissement. Vers minuit, il se jeta sur son gendre et il
enserra son cou dans son coude, comme on le fait à un garçon bagarreur.
Georges n’était pas conscient de sa force et Amine pensa qu’il pourrait le
tuer, lui rompre le cou par excès d’affection. Il entraîna Amine vers le fond
de la salle surchauffée où quelques couples dansaient sous des guirlandes de
lampions. Ils s’accoudèrent au comptoir en bois et Georges commanda deux
bières sans prêter attention à Amine qui agitait les mains pour refuser. Il se
sentait déjà tellement ivre et il avait même dû se cacher, quelques minutes
auparavant, pour vomir derrière la grange. Georges le fit boire, pour
mesurer sa résistance, pour le faire parler. Il le fit boire parce que c’était la
seule façon qu’il connaissait de nouer une amitié, d’établir un lien de
confiance. Comme les enfants qui s’entaillent le poignet et scellent un
serment dans le sang, Georges voulut noyer dans des litres de bière son
affection pour son gendre. Amine avait des haut-le-cœur et il ne cessait pas
de roter. Il chercha Mathilde des yeux mais la mariée semblait avoir
disparu. Georges le saisit aux épaules et l’entraîna dans des conversations
d’ivrogne. Avec son fort accent alsacien, il prit l’assistance à témoin :
« Dieu seul sait que je n’ai rien contre les Africains ni contre les croyants de
ta race. D’ailleurs, je ne connais rien à l’Afrique si tu veux savoir. » Abrutis
par l’alcool, les hommes autour d’eux ricanèrent, leurs lèvres humides
pendaient. Le nom de ce continent continua de résonner dans leur crâne,
évoquant des femmes aux seins nus, des hommes en pagne, des fermes
s’étendant à perte de vue et cernées par une végétation tropicale. Ils
entendaient « Afrique » et ils s’imaginaient un lieu où ils pourraient être les
maîtres du monde s’ils survivaient aux miasmes et aux épidémies.
« Afrique », et surgissait un désordre d’images qui en disaient plus sur leurs
fantasmes que sur ce continent lui-même. « Je ne sais pas comment on traite
les femmes de par chez toi mais la gosse, dit Georges, elle n’est pas facile,
hein ? » Il donna un coup de coude au vieillard avachi à ses côtés comme
pour lui demander de témoigner de l’insolence de Mathilde. L’homme
tourna ses yeux vitreux vers Amine et ne dit rien. « Moi j’ai été trop coulant
avec elle, poursuivit Georges dont la langue semblait avoir gonflé et qui
avait du mal à articuler. La gosse avait perdu sa mère, qu’est-ce que tu
veux ? Je me suis laissé attendrir. Je l’ai laissée courir sur les bords du Rhin,
on me l’a ramenée par la peau du cou parce qu’elle avait volé des cerises ou
parce qu’elle s’était baignée nue. » Georges ne remarqua pas qu’Amine
avait rougi et qu’il s’impatientait. « Tu vois, j’ai jamais eu le courage de la
rosser. Irène avait beau me gronder, j’y pouvais rien. Mais toi, il ne faudra
pas te laisser faire. Mathilde, elle doit comprendre qui commande. Hein
fiston ? » Georges continua à parler et il finit par oublier qu’il s’adressait à
son gendre. Une camaraderie grasse et virile s’était désormais installée
entre eux et il se sentit autorisé à parler des seins des femmes et de leurs
fesses, qui l’avaient consolé de toutes les désillusions. Il tapa du poing sur
la table et d’un air égrillard il proposa une tournée au bordel. Les voisins
rirent et il se rappela que c’était la nuit de noces d’Amine et que ce soir,
c’était des fesses de sa fille qu’il s’agissait.
Georges était un coureur et un ivrogne, un mécréant et un sacré
roublard. Mais Amine aimait ce géant qui, pendant les premières soirées où
le jeune soldat avait été posté dans le village, se tenait en retrait dans le
salon, fumant sa pipe dans son fauteuil. Il observait, sans mot dire, l’idylle
naissante entre sa fille et cet Africain, sa fille à qui, lorsqu’elle était enfant,
il avait appris à se méfier des idioties qu’on écrit dans les livres de contes.
« Ce n’est pas vrai que les nègres mangent les méchants enfants. »
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C'est ici que se trouvait la maison d'Ito et de ses sept filles. Dans les environs, le gynécée était célèbre. Bien sûr, à la cinquième fille, il y avait eu des rires et des quolibets. Les voisins se moquaient de Ba Miloud, le père, et ils mettaient en doute la qualité de sa semence, ils le disaient envoûté par une ancienne amante. Ba Miloud enrageait. Mais quand la septième fille naquit, tout se renversa et on pensa au contraire, à des kilomètres à la ronde, que Ba Miloud était béni et qu'il y avait dans cette famille quelque chose de magique. Il fut surnommé « l'homme au sept demoiselles » et ce nom le remplissait de fierté. D'autres que lui auraient pu se lamenter : quel tracas ! Quelle angoisse ! Des filles qui errent dans les champs, que des hommes peuvent aborder, convoiter, engrosser ! Quelles dépenses, ces filles qu'il allait falloir marier, vendre au plus offrant ! Mais Ba Miloud le débonnaire, l'optimiste, se sentait tout auréolé de gloire, il était heureux dans cette maison gonflée de féminité où les voix de ses enfants lui rappelaient le pépiement des oiseaux à l'arrivée du printemps.
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Dans les feuillages, on entendait voler les oiseaux et Dragan eut les larmes aux yeux devant l'indifférence de la nature à la bêtise des hommes. Ils se tueront, pensa-t-il, et les papillons continueront à voler.
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Elle savait que les enfants sont comme les chiens, qu'ils comprennent ce qu'on leur cache et sentent venir la mort.
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Comment aurait-elle pu avouer que l’homme qu’elle avait rencontré pendant la guerre n’était plus le même ? Sous le poids des soucis et des humiliations, Aminé avait changé et s’était assombri.
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Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne.
Andromaque
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"Les yeux baissés, son voile remonté jusqu'au-dessus du nez, elle se sentait disparaître et elle ne savait pas vraiment quoi en penser. "
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    Le pays des autres

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