Décidément,
Franquin est inusable à tous les niveaux : dessin, histoires, gags, personnages, personnalité. Son ton unique aura tellement traumatisé plusieurs générations que personne n'arrive à faire aussi bien. Il suffit de lire les commentaires sur les nouveaux Spirou (au moins ceux depuis Tome et
Janry) pour accumuler une somme non négligeable de pleureuses en colère, trahies par les temps modernes où même la voiture n'est plus un fantasme. Mais rendez-nous donc la turbotraction !
Franquin est unique et inimitable, c'est un fait. Au mieux vous trouverez des copieurs doués, mais aucun sans le génie. C'est pourtant simple : il y en a plein d'autres. Différents, pour sûr, mais il faut (petit un) sortir du franco-belge (petit deux) s'ouvrir à d'autres formes d'humour, d'aventure et de graphisme et enfin (petit trois) grandir. N'allez pas me dire que Boulet, Blutch, Blain,
Trondheim,
Lisa Mandel et tant d'autres n'ont pas une once de talent ? Que la bande dessinée n'a plus rien à dire, même après les tristes (pour moi c'est certain, c'est super triste) disparitions de
Franquin et de Moebius ?
Souvenirs de l'empire de l'atome constitue l'ultime réponse aux déçus des années 2000 et aux pleureuses d'André. Ici, on a grandi avec
Franquin et grandi tout court. le méchant et son patronyme (mélange de de Mesmaeker et de Zorglub), les illustrations, le design et la période où se déroule ce roman graphique (même pas peur) d'une centaine de planches, tout rappelle l'univers de
Franquin, y compris l'aventure tortueuse de l'empire de l'atome. Cela va évidemment bien plus loin et accumule les références de l'époque, cinématographiques comme architecturales ; et puis la ligne claire n'a jamais la prétention de copier mais assume complètement sa singularité. le blog des auteurs tenu avant la sortie de ce beau livre recense la plupart des influences qui donnent ce charme rarement vu ailleurs. Cela le rapproche de ce qui peut être édité chez les indépendants de L'Association, des Requins Marteaux ou de Cornélius, la couleur en plus. Les chapitres sautent dans le temps sans continuité, demandant un effort constant de remise en place de l'action : le lecteur s'est aguerri, il s'y retrouvera.
Les héros ont vieilli, ils suivent une analyse sur canapé, se sentent déprimés et hantés par des traumas de la petite enfance. Pourtant, comme un bon vieux Spirou, tout ira bien, les multiples obstacles seront surmontés. Mais sur la longueur d'une vie, pas sur celle d'un album.
On a le meilleur des deux mondes, des trois même : la réalité (l'objet est soigné, l'impression et le papier impeccables), la modernité des bds adultes (des personnages matures et réalistes), et le divertissement de la science-fiction de l'enfance (une aventure prenante au rythme soutenu mais également fantastique et fantaisiste dans une ambiance rétro-futuriste), avec un parfait équilibre de tous ces éléments. Retrouver ce ton, c'est un tour de force.