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3,82

sur 139 notes

Critiques filtrées sur 3 étoiles  
L"incivilité des fantômes" est un roman de science-fiction dont l'intrigue se passe sur un vaisseau-monde, le Mathilda, qui erre au milieu de l'espace depuis des centaines d'années à la recherche d'un nouveau "pied-à-terre". 
Pourtant, à bien des égards, ce roman est d'une actualité déconcertante. Les sujets traités sont brûlants et font clairement partie de notre quotidien. 

Bien sûr, la question abordée la plus évidente dans cet ouvrage concerne la place des plus faibles dans les sociétés. Ici, ils sont concentrés sur les ponts inférieurs, confinés et condamnés au travail, sans autre but (ça nous rappellerait pas un truc ? ^^) alors que sur les ponts supérieurs, c'est promenades et patinoire à gogo. Dans l'absolu, il reste difficile d'envier le sort des uns ou des autres, même des plus aisés, tant leurs vies semblent vouées au néant. Quel but que celui de rejoindre un hypothétique nouveau foyer au bout de plusieurs millénaires de voyage ? Finalement, tous les habitants du vaisseau sont la coupe d'un seul homme, le Lieutenant, un vrai méchant de roman , bien construit, avec ses aspérités, ses zones d'ombre et ses contradictions. Bon, ça reste quand même une personne abjecte prête à tout pour du pouvoir mais il semble lui aussi avoir des fêlures et j'ai trouvé cela très intéressant. 
Autre sujet passionnant, la question du genre qui prend dans ce roman une place centrale. On comprend mieux ce désir de l'auteur quand on s'intéresse un peu à lui. Les personnages et leurs relations sont touchantes, on les prend entièrement, sans compromis, concessions ou préjugés. On avance dans cette aventure avec des personnages finalement assez peu sexués dès lors qu'ils n'interagissent pas avec la société sexiste qui fait loi au sein du vaisseau. 
C'est le personnage d'Aster (miroir de l'auteur ? ) qui nous permet particulièrement d'entrevoir la difficulté d'être différent dans un monde normé : femme, noire, homosexuelle, autiste... hier, aujourd'hui ou dans 300 ans, les défis semblent être les mêmes pour se faire accepter. Et c'est là une autre grande question de ce roman. Face à l'injustice, doit-on se taire, être résilient ou au contraire se battre et refuser ? En tout cas, pour Aster, le choix est vite fait ! Et c'est ce qui rend ce personnage si génial et captivant !

"L'incivilité des fantômes" est un roman qui divertit bien sûr, l'histoire est prenante, l'action bien menée, les personnages attachants. Mais c'est aussi et surtout (et c'est ce qui m'a plu) un roman qui interroge ; sur notre société, passée, présente et à venir, sur notre rapport aux autres et à nous-même, notre rapport au pouvoir et à la liberté.  A conseiller surtout en ces temps perturbés où l'on a finalement pas mal de temps pour réfléchir ! 
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Merci à Lecteurs.com et aux éditions "Aux forges de Vulcain " pour cette lecture !

Au premier abord, ce livre ne me disait vraiment rien. Bien que sa couverture soit assez réussie, qu'il possède un titre assez attirant, les stéréotypes de sa 4ème de couverture m'ont plutôt refroidie. Cette notion de bien-pensance naïve et appuyée me semblait assez puérile. Au final, ce fut plutôt une bonne surprise !
 
L'univers dystopique créé par Rivers Solomon est intéressant, bien que peu novateur. L'Homme fuit la Terre, devenue invivable, à bord d'un vaisseau spatial. Au sein de celui-ci, des castes se sont créées : les blancs sont riches et ont accès au confort, les noirs sont pauvres et vivent dans la misère. Des sujets tel que la religion et le rapport à la hiérarchie y sont abordés de manière intéressante. Bien qu'il n'y ait que 400 pages, la vie social du vaisseau est plutôt détaillée et nous plonge entièrement dans ce petit monde.
 
L'écriture fluide nous emporte petit à petit au fil de l'histoire et on suit les péripéties d'une protagoniste, Aster, froide et étrange, ainsi que d'un petit nombre de personnages tout aussi spéciaux. Aster ne comprend que le 1er degré, est très intelligente mais fait partie de la basse caste. Orpheline peu de temps après sa naissance, elle suit les traces de sa mère au travers de ses carnets de notes codés laissés à son décès. C'est un véritable jeu de piste qui nous conduit à travers le vaisseau, jusqu'au dénouement fatidique. Une fin à la fois ouverte et… terriblement amère. Je n'ai pu m'empêcher d'être déçue par ce dénouement. Comme un goût d'inachevé.
 
Ce roman a évidement une deuxième lecture. L'auteur crée un parallèle avec le monde d'aujourd'hui et nous rappelle que, malgré les années ou le lieu, les mêmes erreurs se reproduisent et les mêmes maux touchent l'humanité encore et encore : racisme, homophobie, genre, pouvoir… J'y vois également un message écolo avec cette conquête de l'espace, du dernier espoir. La Terre, d'ailleurs, va nettement mieux depuis que l'humanité l'a quittée !

Je n'ai pas spécialement apprécié l'arrière plan « politique » de ce livre, mais son univers SF, premier degré, était très plaisant.
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Je referme ce livre avec un petit soulagement, car sa lecture a été plutôt laborieuse pour moi. de belles promesses pourtant avec cette dystopie dans le "huis-clos" d'un vaisseau monde, abritant une société terriblement inégalitaire... voilà un cadre de SF rassurant. Pour la touche originale nous suivons une héroïne puissante soutenue par une communauté de femmes opprimées.
Mais après mélange de ces ingrédients, on se retrouve à avaler une soupe assez lourde aux parfums confus. Trop de choses se bousculent : écologie, sororité, oppression, résistance, quête d'identité... Les personnages et les situations sont extrêmes, difficile alors pour moi de m''identifier et d'être plus qu'un spectateur qui attend juste le dénouement par curiosité. On attrape ponctuellement des passages très inspirés, et on se dit que cette auteure "non-binaire" dont c'est le premier roman (j'apprends cela en lisant d'autres critiques) a encore de belles choses à raconter. Il y a des chances pour que j'y revienne à l'occasion !
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L'histoire se passe en huis clos sur un vaisseau spatial cité où vit depuis quelques siècles ce qui reste des humains de la Terre. D'ailleurs, la Terre n'y est plus guère qu'un mythe des origines sans réalité tangible. Les étages du vaisseau identifiés par des lettres, une société où la couleur de peau détermine le statut social. Des conditions de vie extrêmement dures pour les basses classes sans surprise. On suit Aster, une jeune femme qui a une intelligence hors normes, des compétences en médecine et sa relation privilégiée avec le Général Chirurgien Théo (héritier d'un des dirigeants) qui lui permettent de louvoyer à travers les niveaux, d'apporter son aide aux gens. Mais son passé et notamment celui de sa mère la met en danger vis à vis de l'oncle de Théo qui l'a prise en grippe.
Entre manoeuvres politiques, secrets ancestraux et familiaux, racisme, oppression des masses, quête d'identité et de racines, violence extrême (trigger warning si vous êtes sensibles ce livre contient pas mal de scènes de viol et de torture assez insoutenables), recherche scientifique, course poursuite, le tout dans une atmosphère de cocotte-minute prête à l'implosion. Ce livre ne laisse pas indifférent mais la multiplicité des thèmes comme l'enchaînement erratique des séquences de narration, emmaillées de rêves, de souvenirs, de passages complètement en dehors du contexte présent, m'ont souvent sortie du récit et me l'ont rendu difficile à suivre. Ajouté à cela le style complètement détaché du personnage d'Aster dont l'emprise émotionnelle sur les choses est quasi inexistante.
Un OVNI littéraire qui m'a convaincue par son fond extrêmement riche, l'univers en huis clos de ce vaisseau monde et le foisonnement de thématiques importantes traitées ; moins par ces personnages trop détachés, le caractère violent de certaines scènes et l'aspect décousu de sa forme pour une finalité peu à la hauteur des espérances. A lire par les amateurs de SF qui n'ont pas froid aux yeux et l'estomac bien accroché.
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Ce premier roman de Rivers Solomon, An Unkindness of Ghosts ( 2017) traduit en français par Francis Guévremont sous le titre L'Incivilité des fantômes ( Aux Forges de Vulcain ) a été remarqué et souvent salué favorablement, surtout en raison des thèmes qui y sont abordés :
la domination d'une partie de la population du vaisseau regroupée sur les « hauts ponts » sur une autre (les « bas-ponts), oppression liée à la couleur de peau ( pour résumer : la domination blanche, particulièrement celle des hommes) ; la violence et la ségrégation ; la notion de genre ; et la perception interne du handicap ( autisme Asperger ).
Le roman se déroule à bord d'un immense vaisseau spatial, une arche générationnelle, un thème bien connu en SF ( Croisière sans escaleBrian Aldiss ; Les orphelins du ciel — Robert Heinlein ; et toutes ces représentations dans les séries TV plus proches de nous). le Matilda, nommé en référence au dernier bateau négrier le Clotilda à avoir accosté aux USA, est en route depuis plus de 300 ans pour une planète qui accueillera enfin les rescapés d'une Terre mourante. Nous n'en saurons pas plus, ni des conditions de l'extinction de la Terre, ni de l'époque, ni de rien d'autre, d'ailleurs (et c'est là que ça commence à être faible mais j'y viens).
A bord, comme dans le Transperceneige, on trouve différents ponts répartis de A à Z : une élite, sociale, politique, économique, religieuse et blanche se situe dans les « hauts ponts. Les ponts inférieurs sont occupés par ce qu'on pourrait appeler des esclaves, une population noire, exploitée, laissée sans soins médicaux, sans confort, violentée, etc…
Ponts, vaisseau, tout cela rappelle les navires négriers.
(suite sur le blog)
Lien : https://imaladybutterfly.wor..
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L'incivilité des fantômes est le premier roman de Rivers Solomon, auteur transgenre qui se désigne par le pronom anglais "they" au singulier, ce qui pourrait être traduit en français par le pronom "iel" (contraction de "il" et "elle"), d'ailleurs utilisé par le traducteur. Cette particularité de l'auteur, nous la retrouvons fortement dans son roman, où la notion de genre est complètement chamboulée, parfois de manière un peu confuse. Ainsi, bien que j'ai été fortement intriguée par cette histoire, qui m'a somme toute plutôt bien plu, c'est surtout ce sentiment de confusion qui est resté une fois ma lecture terminée.

Si le résumé éditeur m'a donné envie de lire ce roman, au fur et à mesure de mon avancée dans l'histoire, j'en suis venue à le trouver assez peu représentatif. En même temps ce livre est, je trouve, plutôt difficile à résumer.
Alors, parlons déjà du contexte de cette histoire... le Matilda est un immense vaisseau spatial à bord duquel voyage ce qu'il reste de l'humanité. Les choses ne sont jamais dites clairement, mais l'on devine, à travers divers contes et légendes narrés durant le récit, que la Terre n'était plus vivable, bien que nous n'en ayons pas la véritable raison. Cela fait tellement longtemps que le vaisseau navigue dans l'espace (environ trois siècles, il me semble) que plus personne ne se souvient de l'Histoire. Ainsi cet exode spatial vers une planète habitable s'est transformé en une sorte de quête religieuse : la Terre est nommée la Grande Maison de la Création, et le vaisseau est censé les conduire vers la Terre Promise, mais uniquement si tout le monde se comporte "bien". En gros le voyage serait une sorte d'épreuve, et si les humains gardent foi et moralité, alors ils parviendront à la ligne d'arrivée. Donc, pour être sûr que les gens se comportent correctement, et pour bien faire fonctionner le vaisseau en attendant la fin du voyage, une certaine organisation a été mise en place.
Le vaisseau est divisé en ponts allant de A à Z. Dans les Hauts-Ponts vivent dans le luxe les blancs riches, et parmi eux le Souverain, chargé de veiller à ce que la volonté de Dieu soit respectée (en gros c'est un roi tyran). Dans les Bas-Ponts sont rassemblés les personnes de couleur, traitées comme des esclaves, considérées comme des animaux. Afin de toujours les garder à l'oeil, les autorités ont mis en place un couvre-feu, les Bas-Pontiens sont surveillés (par des gardes ou des contremaîtres) et ne peuvent passer d'un Pont à un autre sans laissez-passer, chacun doit effectuer son service chaque jour (par exemple entretenir les champs des ponts agricoles), etc. Ils peuvent se faire attaquer à tout moment par la Garde, que ce soit par des coups ou des viols, et ne peuvent se défendre au risque d'empirer leur situation. Même dans leurs chambres, ils ne sont pas en sécurité. Enfin, il y a les Mi-Ponts, où vivent les blancs pas riches et, d'après ce que j'ai cru comprendre mais c'est un des points que j'ai trouvés assez confus, certaines personnes de couleur ayant pu grimper l'échelle sociale (cordonniers, etc.). Les Mi-Pontiens travaillent et, contrairement aux Bas-Pontiens, ils ont un salaire, peuvent suivre des cours universitaires, etc.
Nous constatons là une énorme régression des droits, libertés et égalités de chacun. Bien que ce qui ressorte le plus de prime abord soit le racisme, nous faisons également face à l'inégalité des genres et à l'homophobie.

Il est assez compliqué de parler de genre pour ce roman, car tout y est chamboulé. Dans les Bas-Ponts, le pronom féminin est employé pour tout le monde, sauf contre-indication (à travers un uniforme, un métier, un papier officiel démontrant le contraire, etc.). Dans le premier chapitre, toutefois, nous pouvons voir que sur l'un de ces ponts, les enfants sont définis par un pronom neutre "iel". J'ai trouvé que ce détail ne servait pas à grand-chose, car on n'en retrouve pas l'utilisation par la suite (peut-être n'était-ce alors qu'un moyen d'aborder l'utilisation du pronom féminin ?). Bref, du coup ça a rendu les choses un peu confuses pour moi, et c'est dans des moments comme ça que l'on se rend compte à quel point la notion de genre est ancrée en nous. Ainsi j'ai cru (peut-être à tort, je n'en sais toujours rien) que seules les femmes travaillaient dans les champs, qu'elles seules faisaient le travail manuel. Mais si ça se trouve certaines de ces femmes étaient des hommes, cependant seul le pronom "elle" étant utilisé, impossible de savoir vraiment. Et le problème c'est que les infos nous sont données au compte-goutte, au fil de l'histoire, ce qui rend les choses encore plus confuses, car au moment où je pensais avoir compris comment cela fonctionnait, l'on me donnait une nouvelle information qui rendait mon interprétation fausse. Un vrai petit casse-tête pour moi, donc.
En revanche, l'inégalité des genres est plus claire dans les ponts supérieurs, où les hommes et les femmes sont clairement distingués. Aux hommes reviennent les tâches intellectuelles et le gouvernement, tandis qu'aux femmes sont confiés le bon soin du foyer et la maternité (assurer la descendance, du moins, car ce ne sont pas forcément elles qui s'occupent de leurs enfants). Les femmes de couleur servent aussi à la reproduction, cependant cela est rarement consenti de leur côté. Et si leur enfant est considéré comme suffisamment blanc, il peut leur être retiré pour être intégré dans des ponts supérieurs (en général dans les Mi-Ponts, car ils restent tout de même des bâtards). En tout cas, peu importe le Pont, la femme n'a guère de véritable liberté/droit/égalité, car même dans les Hauts-Ponts, une femme peut être battue par son mari sans que cela pose problème à qui que ce soit (sauf à la femme, bien sûr, mais ça tout le monde s'en moque).
Et pour le coup on se pose la question : niveau moralité, il y a du travail là, alors comment peuvent-ils penser que le vaisseau n'avance qu'en fonction de ça ? Et bien simplement que, d'après la Souveraineté, n'est immoral que ce qui est contraire à leurs lois, or aucune loi n'interdit le viol, ni de battre sa femme, ni de battre des esclaves, etc. Voilà, voilà !

Bon, voilà pour le contexte, je passe donc aux personnages, tous aussi particuliers les uns que les autres.
Commençons par le principal : Aster. Elle est définie comme une jeune femme dans le résumé éditeur, pourtant elle ne peut être réduite à cela. Car Aster est à la fois psychologiquement et physiquement transgenre : elle possède des organes sexuels féminins mais certaines de ses caractéristiques physiques correspondent à celles d'un homme (carrure, pilosité), et ne se considère ni spécialement comme une femme, ni spécialement comme un homme. Son orientation sexuelle n'est également pas vraiment définie, car elle avoue avoir été attirée par plusieurs femmes (chose qu'il vaut mieux cacher car l'homosexualité est interdite) et est aussi attirée par un homme. Aster est un personnage que j'ai trouvé particulièrement intéressant et touchant. Elle a un esprit rebelle sans que cela soit forcément voulu : elle a simplement tendance à n'en faire qu'à sa tête, surtout quand elle s'est fixé un objectif, et dit ce qu'elle pense. Ce qui n'est pas au goût de tout le monde, en particulier des gardes et d'un certain Lieutenant, qui prennent un malin plaisir à la persécuter. Orpheline, Aster est une personne intelligente, autodidacte, qui possède un esprit pratique. Elle s'est d'ailleurs fait faire une hystérectomie pour ne pas tomber enceinte et applique le matin une sorte de pommade sur ses parties génitales pour éviter de souffrir au cas où il prendrait l'envie à un garde de la violer. Une illustration parfaite de la perversion de l'humanité dans ce vaisseau et de l'esprit à la fois pratique et rebelle de notre héroïne. Heureusement les laissez-passer que lui fournit le Chirurgien, dont elle est l'assistante (et surtout l'élève), lui permettent en général de circuler dans les Bas-Ponts sans rencontrer trop de problèmes. Elle exerce ainsi, en plus de son service dans les champs, la fonction de médecin. Cela lui permet d'aider les autres à sa manière, du mieux qu'elle peut, profitant au maximum des maigres libertés que son rôle d'assistante lui procure. Sa relation avec le Chirurgien, si elle n'est au départ qu'intellectuelle, va petit à petit évoluer. Mais Aster a du mal à comprendre les sentiments, que ce soit les siens ou ceux des autres, et peut ainsi heurter la sensibilité de ceux qui l'entourent sans le faire exprès. Elle a également du mal avec les images (métaphores, expressions, etc.) et prend tout au pied de la lettre, ce qui donne parfois des conversations assez amusantes. Mais ayant conscience de cette... déficience, Théo, le Chirurgien, reste en général particulièrement compréhensif à son égard.

Si le roman nous est raconté du point de vue d'Aster (à la troisième personne), trois chapitres donnent la parole à trois personnages (à la première personne).
Théo Smith est le fils de l'ancien Souverain, mais également celui d'une femme noire (il ne connaît pas l'identité de sa mère). La peur du scandale a alors poussé le Souverain à abdiquer. Étant donné que Théo était suffisamment pâle de peau, son père l'a récupéré non sans une certaine déception face à son aspect chétif, son physique trop peu viril. Par esprit de rébellion, Théo se rase tous les jours de près (la barbe est considérée comme un signe de virilité sur le vaisseau, et ceux qui n'en portent pas sont considérés comme des tapettes) et s'habille de manière extravagante. S'il peut se permettre une telle attitude sans avoir de problèmes, c'est parce qu'il est considéré comme la Main de Dieu depuis qu'il a sauvé le Souverain (celui qui a succédé à son père) en le soignant alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Car Théo est un jeune prodige, très intelligent, devenu médecin très jeune. Il a ainsi acquis le grade de Général et le titre de Chirurgien, ce qui lui permet une grande liberté. Et s'il est fort respecté pour ses compétences, si son titre de Chirurgien le place très haut, il est bon de noter toutefois qu'il ne vit pas sur les Hauts-Ponts mais sur un Mi-Pont, et qu'il exècre au plus haut point les ponts supérieurs et leur impiété, et essaie d'aider au mieux ceux qui en ont véritablement besoin. Mais s'il ne respecte pas toujours les règles du Matilda, il s'est créé les siennes propres, en fonction de sa foi et de sa moralité, qu'il suit scrupuleusement. Rien n'est dit de manière claire quant à l'orientation sexuelle de Théo, même si la question de l'homosexualité, et à travers elle de l'homophobie, est abordée par le biais de ce personnage, son aspect trop peu viril poussant les autres, méprisants, à murmurer derrière son dos. Mais au-delà d'une quelconque orientation sexuelle (en fait aucun personnage n'en a une de vraiment définie, cela reste toujours très vague), ce sont les sentiments qui comptent vraiment. Et si de prime abord ce que Théo ressent envers Aster n'est qu'une grande estime, cela va finalement bien plus loin, vers des sentiments bien plus complexes, bien plus forts.
Autre personnage, particulièrement complexe et qui va jouer un grand rôle : Giselle. Je ne sais pas si j'ai apprécié ou non ce personnage, c'est un peu difficile à déterminer. Giselle est celle qui subit le plus, dans cette histoire. Parce qu'elle a été maintes fois battue et violée, son esprit est complètement brisé. Ainsi elle peut passer de la joie pure à une déprime totale ou à une colère dangereuse. Amie d'enfance d'Aster, avec laquelle (et d'autres filles) elle partage une chambre, elle peut un jour être sa meilleure amie, sa grande complice, et un autre son bourreau. Bien qu'Aster fasse tout son possible pour l'aider, elle ne peut la protéger d'elle-même, car Giselle a également des tendances autodestructrices, parfois en proie à un désir de souffrance et de mort.
Enfin, le troisième personnage qui a la parole dans ce roman : Mélusine. Je ne peux pas trop en dire sur elle sans révéler certains éléments qu'il est mieux de découvrir soi-même. Je dirais toutefois qu'il s'agit là d'un personnage fort. Mélusine a subi une perte terrible, mais n'a pas eu d'autre choix que de devoir s'en remettre et continuer à survivre (car on ne vit pas vraiment, dans les Bas-Ponts). Bien qu'elle ne se considère pas comme quelqu'un de maternel, c'est souvent à elle que l'on s'adresse pour éduquer les enfants, dont elle n'aime pourtant pas spécialement s'occuper. Seule Aster a été capable de percer sa carapace, et Mélusine est prête à tout pour l'aider.

À ces trois personnages importants, même s'ils ne sont pas forcément au centre de l'intrigue, j'ajouterai également quelques mots sur le personnage le plus détestable du roman : Lieutenant. C'est ainsi que le nomme Aster. Lieutenant est l'oncle de Théo et possède un grand pouvoir au sein du Matilda. D'ailleurs, le Souverain étant gravement malade, c'est lui qui est pressenti pour lui succéder. Mais c'est avant tout un homme particulièrement sadique et haineux, qui se considère comme la Tête de Dieu. Il voue un profond mépris pour les Bas-Pontiens, et tout particulièrement pour Aster. Parce qu'elle ne respecte pas les règles, parce qu'elle ne se comporte pas comme les autres, et surtout parce qu'elle est proche de Théo. Car Lieutenant semble éprouver une fascination plutôt perverse pour son neveu, qu'il cherche à tout prix à contrôler, comme tout ce qui l'entoure, et Aster est une donnée difficile à maîtriser. Il prend ainsi un malin plaisir à la persécuter, si ce n'est pas lui directement, du moins par le biais des gardes. Et plus l'histoire avance, plus les tensions augmentent, plus il devient cruel à son égard. Un personnage particulièrement haïssable, donc, et tout aussi important pour l'évolution de l'intrigue.
Lorsque l'on constate à quel point la Souveraineté est cruelle envers le peuple des Bas-Ponts, l'on ne peut que s'interroger : comment se fait-il qu'il n'y ait encore jamais eu de rébellion ? Tout simplement parce qu'au sein même des Bas-Ponts, tous les habitants ne sont pas capables de faire preuve de solidarité, les querelles explosant plutôt aisément, tantôt par simple désaccord, tantôt parce que certains ont besoin de se sentir un minimum supérieurs à d'autres, etc. Et le fait que tout le monde croit dur comme fer que le vaisseau ne les conduira à la Terre Promise qu'à la condition de respecter les règles ne fait qu'accentuer l'ascendant de la Souveraineté sur les opprimés.
Toutefois la maladie du Souverain va venir mettre son grain de sel dans le rouage si bien huilé de la tyrannie matildienne. Revenons aux difficultés qu'éprouve Aster à comprendre tout ce qui est abstrait, tout ce qui n'est pas dit clairement. Ce problème de compréhension l'aura empêchée, pendant des années, de découvrir le véritable contenu du journal de sa mère, Lune. de ce que sait notre héroïne, sa mère s'est suicidée après sa naissance, et Aster ne parvient pas à en comprendre la raison, ce qui l'obsède. Mais un événement va lui permettre de découvrir, avec l'aide de l'esprit dérangé de Giselle, que le journal intime de sa mère est en fait codé et contient des secrets sur le passé et sur le vaisseau qui pourraient bien tout changer. Franchement, j'ai trouvé le codage du journal vraiment malin. Je crois que c'est un des éléments que j'ai le plus apprécié dans ce roman : décoder l'histoire de Lune. Ces découvertes, ainsi que d'autres bouleversements dans l'organisation du Matilda, vont alors pousser Aster à voir les choses autrement, et peut-être à agir autrement. Elle, ainsi que d'autres.
Pourra-t-on parler alors de rébellion ? Je dois avouer que la fin m'a laissée un peu perplexe. Je ne peux pas trop en expliquer la raison sans spoiler, mais disons simplement que c'est là pour moi une fin plutôt individualiste alors que le roman semble exhorter à la solidarité. En fait ce n'est pas vraiment une fin, selon moi, plutôt l'évocation d'un possible recommencement, sans certitude aucune. Beaucoup de questions restent pour moi sans réponses, rien n'est vraiment résolu. Pour le coup, je suis restée sur ma faim, je m'attendais à davantage, surtout avec cette tension qui semblait monter de plus en plus, pour finalement retomber comme un soufflé.

En bref...
L'incivilité des fantômes est un premier roman de science-fiction particulièrement intriguant. Si de prime abord il peut sembler manquer d'originalité (un vaisseau qui amène les derniers humains vers une nouvelle planète, des inégalités qui peuvent conduire à une rébellion, etc.), c'est dans son traitement (univers, personnages, etc.) que tout se joue. En effet, Rivers Solomon met en place un univers oppressant où la société a fortement régressé dans l'expression des libertés, des droits et de l'égalité, remettant en place une ségrégation raciale assez violante, combinée à un retour de l'inégalité des genres et de l'homophobie comme règles essentielles. Toutefois parler de genre est compliqué, l'auteur brouillant les frontières, rendant cette notion particulièrement floue. Les personnages ne peuvent ainsi être considérés comme spécifiquement femme ou homme, ce qui ajoute à leur complexité déjà bien présente. Des personnages intelligemment développés, tout comme l'intrigue, qui nous fait poursuivre une énigme tout en nous faisant nous révolter face aux horreurs que subissent les personnes de couleur sous le joug des puissants blancs. Tout cela serait parfait si les explications sur le fonctionnement de cette société n'étaient pas données de manière confuse et au compte-goutte, disséminées dans l'histoire, au point d'en compliquer la pleine compréhension.
Ainsi, bien qu'ayant beaucoup aimé les personnages et trouvé l'intrigue particulièrement intéressante, je garde un sentiment de confusion à la fin de ma lecture, incapable de savoir si j'ai vraiment bien compris ou non le fonctionnement de cette société ségrégationniste où la notion de genre est particulièrement vague (à dessein).
Lien : https://escape-in-books.blog..
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