Pour connaître personnellement un jeune homme atteint de bouffées délirantes, j'étais curieuse de lire ce témoignage de
Pierre Souchon. Entendre la parole de celui qui vit cela de l'intérieur pouvait m'aider à comprendre ce qui reste souvent un mystère pour l'entourage de ces malades.
Car oui, inutile de stigmatiser ces personnes, la « folie » fait peur certes mais ce sont des malades comme les autres, astreints à un traitement médical.
Seulement, en cas de dérapage, ils sont enfermés dans des hôpitaux psychiatriques où les conditions de traitement et l'environnement sont souvent des traumatismes supplémentaires.
Avec rage mais aussi humour,
Pierre Souchon, bipolaire, nous parle de ce nouveau passage en HP. Un médecin parisien lui avait proposé de suspendre son traitement. Résultat, Pierre se retrouve perché en haut de la statue de Jaurès en train de manger des branches de buis.
« Je venais de basculer, je venais d'entrer dans le cortège effrayant des grands dérèglements. »
Nous suivons ses discussions avec les autres malades, son médecin et surtout son père, le garde-chasse cévenol qui masque son émotion derrière l'humour.
Ainsi, Pierre se raconte, raconte sa famille, sa terre, sa rencontre avec Garance, sa femme issue d'un milieu très bourgeois, « la belle des salons » qui a épousé « la bête de l'Ardèche ». En l'écoutant, j'ai pensé au roman d'
Annie Ernaux,
La place. A cette difficulté de s'insérer dans les milieux citadins, les places réservées à ceux qui ont fait des études, lorsque ses racines sont dans la paysannerie.
« Je ne me remets pas de la fracture…De l'écart social qu'il y a entre mes grands-parents et moi. »
Avec certes des antécédents familiaux, Pierre vit sa première crise en Terminale dans un lycée réputé de Lyon, puis abandonne ensuite son année de classe préparatoire. Les fils de paysans sont brimés par les fils de bonne famille dans ces milieux.
« C'était la guerre sociale, la pire, celle qui ne dit jamais son nom, celle qui s'égrène en éclats de rire en mots d'esprit dans les salons. »
Cependant, la différence de classe, Pierre va surtout la vivre auprès de sa belle-famille. Si son beau-père, « catho strictement réac, qui bossait pour le Medef, se méfiait des pauvres, louait l'audace de
Sarkozy, supportait très mal les Arabes, regrettait parfois la monarchie », a une vraie complicité avec Pierre qui travaille pourtant dans des journaux de gauche, la belle-famille le lâche aisément au premier emportement. Il faut dire que Pierre est plutôt « une grande gueule » quand il cherche à défendre les plus faibles qui ont, quelque soit leur mode de vie, une belle étincelle d'humanité.
« J'arrivais pas, j'arrivais plus, en vérité, à faire l'homme du monde, à faire semblant. »
Cette courageuse confession montre un homme écartelé entre ses origines et l'avenir que son intelligence lui ouvre. Son équilibre est dans la montagne cévenole, son admiration pour ses aïeuls qui pourtant avaient leurs défauts, son respect pour ces paysans de moins en moins nombreux depuis la concurrence espagnole. L'homme respecte les humbles médecins qui le soignent même si les cachets qu'il ingurgite lui font perdre une part de sa personnalité. Même si il n'est que ce chêne vert parasite installé dans la force d'un séquoia, il est
encore vivant.
Pierre Souchon émeut par sa fragilité, bouscule par sa rage, un très beau et fort récit qui aide à comprendre cette maladie qui effraie la société et ostracise les malades.
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