S'il fallait un roman pour montrer qu'on peut évoquer l'horreur d'une réalité historique engendrée par la folie de quelques hommes sans recourir à une accumulation de scènes sanguinolentes, sans course au trash, "
Ces rêves qu'on piétine" pourrait être celui-là.
Dès le premier chapitre, j'ai été pris à la gorge par des phrases brèves, incisives, aussi percutantes que des rafales de MP28. Les points et les virgules mitraillent de pesants et mortels silences entre des mots qui claquent et vous foudroient l'esprit, y imprimant les images douloureuses d'un passé blessé.
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Ces rêves qu'on piétine" est un roman archi-documenté qui d'un chapitre à l'autre nous permet de suivre le destin funeste de Magda Goebbels et en parallèle, à travers les regards d'un homme, d'un adolescent, d'une mère, d'une fillette, le vécu poignant et tragique des traqués, des menacés, des victimes, des morts.
J'ai grimacé de dégoût en découvrant le sort réservé aux bébés nés des femmes du camp 24A, ou en lisant la recherche des dents en or dans les mâchoires des charniers, mais Spitzer a le talent de ne pas s'étaler dans de trop longues et complaisantes descriptions horrifiques, il ne s'appesantit pas, au contraire, l'horreur est une gifle, cinglante, pas une caresse sanglante.
Par moment, on souffle, on respire, les phrases s'allongent à l'abri d'une cachette où l'on se sent sécurisé mais on sait que ça ne durera pas. Que très vite, la froideur des mots précédera la froidure des corps martyrisés.
Pendant ce temps, Magda. Magda, progéniture d'un père juif qui, du camp où il est prisonnier, écrit à sa fille des lettres bouleversantes qui ne demandent que reconnaissance, amour, et peut-être espoir d'être sauvé. En vain.
Magda nie son ascendance autant qu'elle jouit de la violence. Pour elle, ne compte que le pouvoir. Il l'excite, elle veut devenir quelqu'un quitte à sacrifier ses semblables, à se convertir sans aucune difficulté au culte de la croix qui orne le costume de cet homme à face de rat et au pied bot qui deviendra son mari et le père de ses nombreux enfants :
Joseph Goebbels, ministre de la propagande hitlérienne.
Ces destins sont glaçants, la justesse de l'écriture nous dresse des portraits saisissants de vérité, et la construction du récit crée un suspense dont on connait pourtant la fin.
J'ai commencé la lecture de "Ces rêves…" quelques heures seulement avant qu'on annonce la mort du calife autoproclamé de l'Etat Islamique qui, réfugié dans un tunnel sans-issue, a choisi de se suicider avec ses enfants plutôt que d'affronter la justice des hommes.
Etrange écho à la lecture que j'entreprenais…