"Je pense qu'il est extrêmement difficile de se défaire d'une telle emprise, dix, vingt ou trente ans plus tard. Toute l'ambiguïté de se sentir complice de cet amour qu'on a forcément ressenti, de cette attirance qu'on a soi-même suscitée, nous lie les mains plus encore que les quelques adeptes qui restent à G. dans les milieux littéraires.
En jetant son dévolu sur des jeunes filles solitaires, vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires, G. savait pertinemment qu'elles ne menaceraient jamais sa réputation. Et qui ne dit mot consent."
Le miroir que tend
Vanessa Springora à ce milieu littéraire complaisant est un puits sans fond.
Y jeter un regard, c'est tomber dans une sidération atterrée.
Mais c'est aussi se rappeler que toute une frange de la société baignait dans cette confusion bien pratique entre ce qui était permis et ce qui n'était pas dit du tout. Ce qui n'était pas dit ne pouvait pas être dénoncé, stigmatisé. Et quand ça l'était, forcément la victime en était seule coupable.
Même à 13 ou 14 ans…
Vanessa Springora parle trente ans plus tard, de l'engrenage, de l'emprise, de la déprise, de l'empreinte sur sa vie. La distance qu'elle y met traduit bien la dévastation qu'y a laissé G., et la difficulté à se sortir de cette emprise qu'il réactive au travers d'appels, de lettres, de livres publiés.
"[…] une phrase de G. me saute aux yeux : "Non , je ne ferai jamais partie du passé de V., ni elle du mien."
De nouveau, la colère sourde, la rage et l'impuissance refont surface.
Jamais il ne me laissera en paix."
Vanessa Springora exprime bien l'insistance perverse de G. à emboliser son existence de quelque manière que ce soit au fil des ans.
Elle questionne également le silence qu'elle a gardé durant des décennies, la honte, le mépris pour elle-même, la volonté de mourir qui l'ont accompagnée longtemps.
Il n'y a rien de consenti entre une personne adulte et une personne mineure, surtout pas concernant la sexualité. Ça tombe sous le sens, c'est de plus inscrit dans la loi (pour les, euh, sceptiques).
Vanessa Springora le redit à travers ce texte.
Et ça reste manifestement nécessaire.