AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
222 pages
Editions Baudinière (01/06/1932)
4/5   1 notes
Résumé :
Nous n’avons pas encore dans notre base la description de l’éditeur (quatrième de couverture)
Ajouter la description de l’éditeur

Vous pouvez également contribuer à la description collective rédigée par les membres de Babelio.
Contribuer à la description collective
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Certains livres valent le détour pour le sérieux de leur thématique et pour la richesse de leur érudition. D'autres pourtant peuvent être fort attrayants pour des raisons totalement opposées. C'est le cas des livres, et particulièrement des récits de voyage, de Gilbert Stiebel, écrivain dont on sait peu de choses, sinon que son talent était infiniment médiocre mais terriblement drôle.
L'oeuvre de Gilbert Stiegel s'inscrit au départ dans une sorte de pâle copie de certains livres d'Albert Londres, et se veulent, eux aussi, des sortes de reportages exotiques en immersion, à la différence près qu'Albert Londres se rendait véritablement dans les pays dont il parlait (c'est même au cours d'un de ces voyages qu'il trouva la mort) alors que Gilbert Stiebel ne quittait pas ses pantoufles, et narrait des voyages purement imaginaires, truffés d'erreurs topographiques.
On lui doit principalement trois ouvrages hautement risibles, publiés entre 1932 et 1939 aux Éditions Baudinière, l'éditeur peu regardant de Maurice Dekobra. « Au Céleste Enfer » (1932) parle de la Chine, « Terres Brûlantes » (1935) de l'Amérique du Sud, et - moins exotique - « La Maffia de la Goutte » (1939), portrait délirant des bouilleurs de cru en Normandie, présentés comme des gangsters pire qu'à Chicago. Ces trois livres gardent encore aujourd'hui une force comique qu'ils n'avaient pourtant pas lors de leur publication…
Peu favorisé par les muses, Gilbert Stiebel se heurte, où qu'il aille, à une humanité corrompue, violente, sanguinaire, décadente. Il se veut le révélateur puissant de la déchéance humaine sous sa forme la plus perverse. Son style oral, sans fioritures, aussi peu descriptif que possible, ne fait qu'enchaîner des scènes de cauchemar qui seraient bien évidemment révoltantes, si de par leur nombre, leur énormité et leur frénésie, elles ne devenaient rapidement impossibles à croire.
« Au Céleste Enfer » narre le voyage purement culturel de l'auteur à travers la Chine, et le mot "Enfer" n'est ici pas usurpé, car oui, la Chine, ça n'est ni plus ni moins que l'Enfer sur Terre, quoiqu'un Enfer un peu humide. Gilbert Stiebel passe de ville en ville, et n'y assiste qu'à des scènes de mort, de pillage, de viol, de tortures, effectuées par des brutes sans âme, des pervers sadiques qui tuent pour le plaisir en poussant des grands rires homériques, tandis que le Fleuve Jaune, qui est presque continuellement en crue, charrie des cadavres de femmes et d'enfants, dont certains nécrophiles cannibales abusent à loisir avant de les dévorer.
Seule exception à cette vision infernale, la ville de Shangaï est indéniablement un produit du XXème siècle, archétype de la métropole nouvelle mais déjà corrompue, pleine de bouges, de bordels, où sont confinées et brutalisées des prostituées russes, parfois amenées en Chine contre leur gré.
Ajoutons à cela que, très logiquement, Gilbert Stiebel n'explique cette déchéance absolue d'une civilisation jadis grandiose que par la situation politique, minée par deux gouvernements se disputant le pouvoir, et surtout par la "Bête Immonde", c'est-à-dire le Communisme, qui va profiter de cette situation chaotique pour imposer sa dictature sanguinaire et satanique.
Sur ce point-là, Gilbert Stiebel est conforme à l'idéologie de son temps, qui amenait beaucoup d'intellectuels conservateurs ou chrétiens à s'inquiéter de la montée du communisme en Chine, et des éventuelles conséquences qu'une telle perspective aurait sur l'Indochine française, qui était une de nos colonies les plus fondamentalement rémunératrices.
Seulement voilà, Gilbert Stiebel se pose d'intéressantes questions sur la Chine, mais pour y répondre, il aurait fallu y aller. Or, le lecteur comprend rapidement que Stiebel a imaginé son voyage à la lecture d'articles de journaux ou des cartes géographiques.
De la Chine elle-même, en dehors des personnages cauchemardesques que l'on y croise, il est assez peu question. C'est un vaste territoire, avec des montagnes et des fleuves, et puis aussi des routes qui relient les villes entre elles. Voilà pour les impressions de voyages de monsieur Stiebel. Mais il est vrai que quand il rentre dans les détails, il prend des risques terribles !
Ainsi, alors qu'il survole en hélicoptère une montagne autour de laquelle court un vaste escalier de 6660 marches, Gilbert Stiebel nous apprend qu'il s'agit là du célèbre tombeau de Confucius, qu'il aurait d'ailleurs aimé visiter, mais qu'il n'a pu voir que de haut, du fait de l'immersion des terres environnantes par la crue du Fleuve Jaune. Or, dans le monde réel, le tombeau de Confucius se trouve tout bonnement au cimetière de Confucius, lequel abrite aussi ses descendants du clan Kong. Et comme tous les cimetières, il est plutôt au niveau du sol, et dans une zone peu inondable, puisqu'elle se trouve dans la province du Shandong, une péninsule au nord-est du pays, où passe effectivement le Fleuve Jaune, mais où les risques de crues se trouvent modérés du fait que c'est à l'extrémité même de cette péninsule que le Fleuve Jaune se jette dans la mer.
En réalité, Gilbert Stiebel a confondu le tombeau de Confucius avec le mont Taï, l'une des cinq montagnes sacrées de Chine, qui se trouve effectivement à l'ouest du cimetière de Confucius (mais bon, 100 à 200 kilomètres à l'ouest tout de même), et au sommet de laquelle on accède via un très ancien escalier de 6660 marches.
Pareil pour la Grande Muraille de Chine, dont Gilbert Stiebel conteste la longueur et la hauteur des murailles, jugeant que ce n'est guère plus qu'une fortification comme il y en avait jadis autour de Paris. Il est vrai que Stiebel se trouve alors dans la ville de Quinhuangdo, à l'est de la Chine, où la Grande Muraille jaillit progressivement du sol avant de s'élever à des hauteurs plus notables. Mais bon, même quand on travaille d'après des photographies, on se renseigne quand même avant d'écrire des énormités pareilles...
De toutes façons, on l'aura compris, Gilbert Stiebel n'a aucune envie de trouver la moindre grâce à la Chine. Il se comporte d'ailleurs en archétype du touriste français râleur, jamais content de ce qu'on lui montre, critique sur le service du personnel hôtelier, jugeant les indigènes impolis avec les touristes, sournois et cupides, trouvant tous les paysages chinois sordides, misérables, partiellement en jachère, trop souvent inondés par les crues, et d'une saleté souveraine du fait du caractère primitif des paysans. En fait, on se demande en permanence pourquoi Stiebel poursuit son voyage, vu qu'à aucun moment, il ne semble satisfait de son séjour...
Évidemment, ce portrait à charge n'évite pas les plus éculés des poncifs racistes, mais la parfaite imbécillité avec laquelle Gilbert Stiebel nous les partage avec des coups de coudes balourds et complices nous confirme là aussi que l'auteur a un message politique bien précis et fort subjectif à faire passer, et que son voyage de pacotille en est une pauvre argumentation bien peu convaincante.
Pour autant, « Au Céleste Enfer » n'est pas un mauvais livre, quand on s'abstrait de sa prétendue valeur documentaire. Sur bien des points, c'est une relecture ouverte de « L'Enfer » de Dante, mais sans même la présence rassurante de Virgile, et bien évidemment sans une Béatrix au bout du chemin. On sent très clairement que la première partie de « La Divine Comédie », l'entrée progressive et graduée dans les Sept Cercles de l'Enfer, a beaucoup influencé sa rédaction, et l'a amené à rédiger un récit qui repose sur les mêmes ficelles, présentant lui aussi une succession de rencontres cauchemardesques, destinées à angoisser en permanence son lecteur.
Sur le plan narratif, malgré un style moderne et qui ne gagnerait vraiment pas à être comparé à celui de Dante, Stiebel n'est pas un mauvais conteur, et son récit, bref et factuel, se laisse lire avec frissons et amusement. Car Stiebel est souvent très amusant malgré lui, notamment lors de son passage dans une petite ville rurale dont il repart furieux, car il n'a pas pu y trouver la moindre bouteille d'eau de Cologne...
Naïf, bêta et de mauvaise foi, Gilbert Stiebel n'est guère sympathique, mais comme il est râleur, on a envie de savoir ce qui le fait autant râler, avec la certitude que cela sera aussi dérisoire que comique, et qu'au final, on rira avec bonheur de ses déconvenues.
Du coup, ce livre se lit encore avec une grande fluidité et un authentique plaisir, comme on écouterait les jérémiades excédées d'un ivrogne en veine de parole, racontant ses malheurs au tout venant. Ce n'est certes pas là l'image que l'auteur aurait souhaité comme postérité, mais si son étude avait été plus sage et plus mesurée, elle apparaîtrait sans doute bien plus ennuyeuse aujourd'hui.
C'est précisément parce que « Au Céleste Enfer » est la lubie bancale et maladroite d'un farfelu un brin hystérique, qu'il conserve, presque un siècle plus tard, une dimension de nanar brut de décoffrage, tout à fait délicieuse et divertissante, pour peu qu'on ait le sens de l'humour un peu prononcé.
Commenter  J’apprécie          10


autres livres classés : voyagesVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs (1) Voir plus



Quiz Voir plus

Voyage en Italie

Stendhal a écrit "La Chartreuse de ..." ?

Pavie
Padoue
Parme
Piacenza

14 questions
601 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , voyages , voyage en italieCréer un quiz sur ce livre

{* *}