Qui ne s'est jamais dit : « je voudrais que tout soit comme avant. »
Avant quoi ? Avant un drame, une séparation, le passage des jours.
L'écrivain suisse de langue allemande
Martin Suter a développé dans «
le temps, le temps » cette idée mélancolique jusqu'au vertige.
Il en résulte un roman troublant, écrit sans fioritures, de façon linéaire et classique, mais d'autant plus efficace à cause de cette économie de moyens.
Dans la banlieue de Zurich, une zone de pavillons et de petits immeubles locatifs. Chacun est au courant des habitudes de ses voisins. Un espionnage mi-bienveillant, mi-hostile.
L'épouse du comptable Peter Taler, Laura, a pourtant été assassinée devant sa porte. le meurtrier n'a pas été retrouvé et Peter ne survit à son chagrin qu'en respectant des rituels quotidiens qui lui donnent l'illusion d'une certaine permanence : ne pas bouger les objets de Laura, cuire tous les soirs les mêmes spagettis al pomodoro, passer de longues heures à sa fenêtre.
Un soir, il remarque que quelque chose a changé. Il ne sait quoi. Il s'aperçoit aussi que son voisin d'en face, Albert Knupp, un vieil homme, l'observe. Et aussi que ce retraité s'active continuellement dans son jardin.
Après une période de méfiance réciproque, les deux hommes finissent par se rencontrer. Knupp, veuf lui aussi, souffre tellement de la mort de sa femme qu'il a développé une théorie sur le temps.
Le temps ne passe pas, le temps n'existe pas. Ce qui donne l'impression de l'avancée du temps, ce sont les modifications : les arbres qui poussent, les cheveux qui blanchissent, les voisins qui repeignent leur maison.
Par conséquent, si l'on empêche les modifications, le temps s'arrête… Si l'on supprime les modifications, on peut revenir à un espace où les deux épouses seraient vivantes…
Les deux hommes vont alors s'embarquer mutuellement dans une entreprise délirante. Photographier, faire des plans, cartographier, remplacer les arbres, les plantes, retrouver des voitures anciennes, s'injecter du botox.
Une folie. Folie humaine. Folie financière.
Parallèlement, Peter Taler enquête sur la mort de sa femme à l'aide des photos de Knupp.
Le roman peut être lu de diverses manières : comme un témoignage sociologique et obsessionnel de précision sur un quartier de banlieue (suisse … ), comme un thriller policier, comme une démonstration philosophique sur la relativité du temps, mais surtout comme une manière pour l'auteur de mettre des mots, ses mots, sur cette constatation tragique que « le temps est assassin. »
Sachant que
Martin Suter a perdu son petit garçon de trois ans, on
comprend que cette tentation de tuer le temps a pour lui un sens particulièrement tragique. Que chacun partage, parce que les modifications souvent nous détruisent au point de vouloir rétablir le passé.