C'est avec le bruit des cigales que la lecture d'
Okuribi : Renvoyer les morts s'écoule lentement. Dans un Japon de la campagne,
Hiroki Takahashi nous parle de l'arrivée à Hirakawa d'Ayumu, jeune garçon de 14 ans qui vient de « là-haut » (comprendre de Tokyo). Un cadre paisible et lent où le temps semble suspendu à la pousse du riz et au rythme des traditions japonaises.
Parmi celle-ci, la « Fête des Morts » (ou O bon) qui dure trois jours d'été et où l'on allume des lanternes pour guider l'âme des défunts tandis que des sculptures d'animaux les (r)amènent à bon port.
Premier roman traduit en langue française d'
Hiroki Takahashi, Okuribi n'a pourtant pas que la plénitude à proposer à son lecteur…
Jeux d'enfants
Car lorsqu'Ayumu intègre une nouvelle école, le collège numéro trois qui ne compte plus qu'une poignée d'élèves et, notamment, cinq autres garçons qui vont faire basculer la perception du monde de notre jeune adolescent dans l'univers cruel et ambigu des adultes. Parmi ces cinq garçons, Akira, un meneur évident exerçant son emprise sur les autres et plus particulièrement Minoru, le plus frêle et le plus discret du groupe. Peu à peu, Ayumu apprend qu'Akira a déjà frappé Minoru par le passé et que ce genre de brimades semblent monnaie courante parmi les adolescents. Grâce à un jeu de cartes truquée, Akira soutire de l'argent et torture régulièrement le pauvre Minoru… mais continue paradoxalement à le protéger contre les moqueries des autres !
Roman du paradoxe, Okuribi confronte un ado des villes (Ayumu) à des garçons de campagne, portant un regard singulier et emprunt d'une sorte d'ébahissement constant, sur des traditions et des pratiques qu'il n'avait jusque là que peu fréquenté.
Autre paradoxe, celui du cadre, de l'ambiance.
Hiroki Takahashi oppose le cadre quasi-bucolique et tendre de la campagne japonaise à la cruauté et la violence subit par Minoru. Sans entrer dans une sorte de voyeurisme malsain, l'auteur décrit ce qui commence comme des jeux de gamins pour finir par un harcèlement constant et particulièrement cruel.
Le lecteur en arrive donc au dernier paradoxe, et non des moindres : l'intrication du statut de victime et celui de bourreau. Ayumu, observant attentivement ce qu'il se passe autour de lui, comprend rapidement que les petits jeux auxquels il participe ou qu'il laisse se produire ne sont pas « bons ». de facto, le garçon devient à la fois un observateur ET un acteur des sévices/brimades endurés par Minoru. En proie au doute et à la culpabilité, Ayumu semble à la fois fasciné et repoussé par le charismatique mais imprévisible Akira, lui-même bien plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord et qui, en fin de compte, apparaît aussi paradoxal que les autres personnages du roman.
A History of Violence
Mais surtout, c'est dans la tradition que fouille
Hiroki Takahashi pour s'interroger sur les racines du mal. le cadre, typique et presque cliché, de la campagne japonaise sert à montrer la perpétuation de la mort et de la violence, passées de générations en générations, changeant les gens et laissant les âmes s'égarer en chemin. Lors de son dernier acte à la violence inattendue, Okuribi laisse à réfléchir son lecteur sur les conséquences d'une tradition qui entretient la violence même là où on ne l'attend pas, dans le plus paisible des villages et le plus respectueux qui soit des ancêtres.
La force du roman, c'est alors d'arriver à nuancer ses personnages, des plus violents aux plus innocents, et de montrer la perpétuation de la haine, l'intrication profonde entre le statut de victime et de bourreau, qui finissent par ne faire plus qu'un.
Alors que les mots brûlent et que la poésie lancinante de cette vie quotidienne finalement très pittoresque étreint le coeur du lecteur d'une langueur envoûtante, l'auteur rappelle aussi que le mal perdure dans le coeur des hommes, un mal qui ne meurt pas et qui se transmet, de générations en générations, perdu sur le fleuve des vies humaines sans cesse en mouvement.
Dans un décor particulièrement sublime et sur fond de traditions ancestrales japonaises, Okuribi nous interroge sur les démons générationnels qui nous guettent et sur notre place au sein de cet équilibre fragile que sont les relations humaines. Un magnifique roman qui ravira les amateurs de subtilité et d'intelligence.
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