Comme des Mohicans

En 1874, Séraphin, quinze ans est novice à l'hospice du Simplon depuis deux ans, avec six autres garçons de son âge, dont Gabriel son meilleur ami. Il n'a pas vraiment choisi cette voie, imposée par son père au cadet de ses dix enfants. Il ne pense pas avoir la vocation monastique, surtout qu'une mauvaise ambiance règne depuis quelques semaines, son ami Gabriel semble aller très mal, il a perdu son appétit et sa joie de vivre. Séraphin décide de s'enfuir de nuit, en emportant seulement le dernier des Mohicans, offert par le Père maître. Durant trois semaines, il vivra différentes aventures au fil du Rhône, rencontrera Guérin, un garçon du même âge exploité et maltraité par son oncle maternel, qui décide de le suivre et deviendra son ami pour la vie. Ils rencontreront Farinet, un célèbre faux monnayeur, seront initiés à la magie des plantes par le mère de Guérin ou escaladeront des sommets. Après cette parenthèse heureuse, Séraphin devra s'expliquer avec son père et une nouvelle vie commencera pour nos deux aventuriers, l'un deviendra garde forestier, l'autre apprenti horloger à Genève. le voyage se prolongera jusqu'au Mississippi quelques années plus tard.

C'est un roman très riche et fort bien écrit qui nous parle du Valais d'autrefois, on y est très conservateur et soumis à l'Eglise. Les pères des deux garçons sont des notables et il n'est pas question que leur comportement donne une mauvaise image de leur famille. Guérin est le fils naturel d'un noble, qui se présente comme son protecteur, car il ne saura être question d'assumer sa paternité, même s'il se sent coupable en secret. C'est aussi un hymne à la nature encore peu transformée par l'homme, on y décrit longuement les beautés du fleuve avec ses îles. Je ne connais pas cette région, mais je suppose que le Rhône a été canalisé et corrigé depuis pour limiter les dégâts en cas de crue. Cette descente de la rivière m'a fait penser aux aventures d'Huckleberry Finn, c'est aussi une quête initiatique.

Séraphin aura une deuxième chance, il saura s'écouter pour trouver sa voie véritable, qui n'est pas non plus l'horlogerie. L'auteur nous dépeint cette élite du monde ouvrier où les horlogers créent des merveilles artisanales, bien loin d'une production de masse, nous sommes dans ce qui deviendra la haute horlogerie qui fait la réputation de notre pays. le roman de Cooper est un fil rouge tout au long du récit. Il accompagne les garçons dans leur découverte de la vie.

On comprend tout de suite quelle est la vraie raison qui pousse Séraphin à s'enfuir et Gabriel à commettre l'irréparable, même si le secret n'est révélé que tardivement. le secret est pesant et le garçon ne peut en parler, son père le croit et décide de l'envoyer à Genève. Il en parlera uniquement à son ami juste avant son départ pour les USA, sachant qu'ils ne se reverront plus. Son ancien maître vient le trouver au bout du lac pour lui demander pardon. Il avait bien compris ce qui se passait mais ne pouvait le reconnaître ouvertement et encore moins dénoncer le coupable. L'Eglise étouffait systématiquement le scandale et faisait taire les victimes en couvrant les prêtres déviants, d'ailleurs ce silence perdurera encore près d'un siècle et demi.

Un très beau roman qui fait valoir la diversité des lettres romandes. Un grand merci à Delphine des Editions Slatkine pour cette belle découverte.

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