D’abord, ce qui frappe, c’est la fantaisie, l’accent chantant de nos villages qui roule à nos oreilles : Fontjoncouse, Vignevieille, Jonquières, Caraguille, Vente Farine ou Buffanel, car ici tout vit au souf- fle du cers.
Ensuite on ne peut s’empêcher de pointer le vocabulaire spécifique de ces montagnes : pech, plà, serrat ou Milobre, et d’écouter les lieux-dits aux appellations scabreuses ou pittoresques : le Cra- paud, Estrons de la Vieille, Col de la Louve, Pech de la Selve, Col d’Extrême, pic Cascagne, Tronc Fleuri, Salagriffe...
Las Corbièras, pays des corbeaux ou des corneilles, comme on le pensait, mais plutôt pays courbe ou des rocs (la signification du fameux Corb) qui a donné son nom, dès le haut Moyen Âge à la vallis Corbaria, la vallée de la Berre. Pour y entrer, il ne reste plus qu’à faire sienne cette maxime de Jean Giono : Si tu marches, tout marche à côté de toi et ta route est suivie par des troupeaux de collines.
Allez, poussez doucement la porte de ce pays... cet endroit encore protégé, un brin hors du temps, hors du bruit et de la fureur de la civilisation, qui met l’homme face aux vrais éléments, ceux de la nature.
Le cœur des Corbières, c’est peut-être le pays le plus rêvé.
Le cœur des Corbières est une promesse de soleil, de vent, de vieilles murailles et d’une naturesauvage.C’esticiauXIIIe siècleques’estdessinésonavenirquandleRoyaumede France a disputé au royaume d’Aragon cette Marche d’Espagne, ce pays où l’on parlait cette langue romane, autant l’occitan que le catalan.
J’ai étalé sur mes genoux la carte des Corbières. Aujourd’hui, je contemple même la carte en relief. Combien de fois m’y suis-je perdu volontairement ? Les échantillons de pierres de toutes formes et de toutes couleurs qui jonchent mon étagère égrènent tant d’aventures, toute la richesse de ce pays.
À chaque douceur de printemps, l’exploratrice Alexandra David-Neel (1868- 1969) me soufflait déjà : La route me semble captivante si j’ignore où elle me conduit.
Et des vieux chemins, les Corbières en ont façonné et préservé l’existence jusqu’au plus profond des taillis.
Il faut être attentif car le passage exige quelques pas de grimpe au-dessus du vide. Je prends pied sur la muraille du cirque. Je lève la tête et là, je vois, entre le Falquet et la Combe de la Semal, qu’un grand arc de cercle parfait se déploie, avec sa mer de résineux en son centre. On se croirait sur un atoll avec son récif barrière et son lagon au centre.
-L’autre versant abrite d’autres grottes, comme le Trou de l’Ermite, mon- tre Michel.
L’aigle de Bonelli vient alors nous survoler, pour vérifier le profil des nou- veaux intrus. Je comprends que je viens de découvrir Le Monde perdu de Conan Doyle. Derrière cette sauvagerie, il doit traîner encore quelques dinosaures sur cette crête étonnante.
Ce qui frappe au premier abord, c’est cette route étroite qui semble hésiter sur sa destination. Passé le village d’Opoul, on se dirige vers le château aragonais de Salveterra posé sur un plateau calcaire ressemblant à la ca- rène d’un bateau. Derrière, nous basculons dans un paysage lunaire, constellé d’arpents de vignes endormis dans des combes de calcaires, abrités par de douces rangées de cyprès. Un paysage à la Van Gogh où le jaune et le gris déroulent leur palette sur les ondulations vertes et blanches des collines, juste habitées par des lièvres, belettes, fouines, chevreuils et sangliers. Après le cortal de la Lalane, une silhouette crénelée apparaît : Périllos.
Dès le premier regard, on est frappé par cet endroit sauvage et mystérieux surplombant l’Agly, la rivière des aigles, qui bouillonne cent mètres plus bas. L’ermitage est un nid d’aigle, accroché dans le creux d’une vertigineu- se falaise blanche et ocre, qui côtoie plusieurs cavités naturelles, dont une grotte aménagée en chapelle où se succéda toute une lignée d’ermites, du VIIe siècle à 1959.