(Après sept cents marches, parvenu au deuxième étage de la tour Eiffel)
Le spectacle est étrange au bord du parapet : une forêt de bras brandissant des écrans. Pas un seul visiteur du matin ne regarde la ville autrement qu'à travers son appareil. La vie est un photomaton. La mémoire des hommes serait-elle devenue à ce point défaillante qu'il faille archiver chaque instant ? Ainsi des voyages modernes : on traverse le monde pour prendre une photo. Il n'y aura plus de récit de voyage, seulement des cartes postales. Ici, pas un œil ne reçoit le spectacle en direct. Que feront les hommes de toutes ces images qui leur volent la possibilité d'une émotion organique ? Peut-on méditer en tripotant les touches de ces trucs ? Qu'a fait de mal le monde pour qu'on tire des écrans sur lui ? Seuls les enfants, les vieillards et les oiseaux regardent la vue de leurs pleins yeux. Ce sont les derniers à qui il restera des souvenirs. p 72
La politique de l'enfant unique vient d'être supprimée en Chine. Désormais, chaque petit Chinois pourra partager avec un petit frère ou une petite sœur son désespoir de vivre dans un monde pollué à mort.
Le problème de cette planète, c'est qu'entre les enfants et les bêtes il y a l'homme. (p. 75)
Théorie de la méduse ( page 186 ) :
" Tout être qui ne réussit pas à peser sur son destin se venge en devenant néfaste "
La jouissance de la conversation n'est-elle pas de mêler les genres, de réveiller les mots endormis ? (...)
Les mots sont des voyageurs merveilleux. Ils naissent, ils se déplacent, certains connaissent le succès, d'autres ont la vie courte. Ils vivent, ils meurent, ils rendent grand service aux hommes ou bien créent la discorde.(p. 139)
Les gargouilles avaient été dessinées par Viollet-Le-Duc. Elles surveillaient les Parisiens depuis un siècle et demi. Elles assistaient au retour des ivrognes en pleine nuit, aux baisers clandestins des amants de l'aube, aux cavalcades des voyous et des flics. Elles étaient la mémoire de la ville. Elles ne quittaient jamais leurs loges, et je les comprenais. Lorsqu'on a élu domicile dans les hauteurs, on se passe bien vite de l'envie de traîner dans la vallée. (p. 117-118)
Cinq mois auparavant, j'étais tombé sur mon ombre, mon corps était déchu. (p. 107)
Les arbres nous enseignent une forme de pudeur et de savoir-vivre.Ils poussent vers la lumière en prenant soin de s'éviter, de ne pas se toucher, et leurs frondaisons se découpent dans le ciel sans jamais pénétrer dans la frondaison voisine. Les arbres, en somme, sont bien élevés, ils tiennent leurs distances. Ils sont généreux aussi. Leur forêt est un organisme total, composé de milliers d'individus.
Le journal est la bouée de sauvetage dans l'océan de ces errements. On le retrouve au soir venu. On y tient. (...) Chaque soir, on y revient. On lui voue sa fidélité. La seule qui vaille. La seule qui tienne. Le journal est une patrie. ( P.12)
“Quelques amis à la personnalité hyaline, sous prétexte que je truffe ma conversation de mots rares, m'infligent leurs thrènes, Abrutis de misonéisme, ils ne veulent rien apprendre, ces tribolites ! Parce que je m'encaprice de tournures oubliées, ils s’imaginent que je crée la synchyse. Selon eux, en usant du style comme de la tissuterie, on risque de détorquer. Mais ils me les brisent, ces sycophantes !”