Coauteur du « Dessous des Cartes », l'émission à succès de Arte qui a fait aimer la géopolitique aux Français,
Frank Tétart signe chez l'éditeur belge de Boeck un petit livre consacré aux nationalismes régionaux en Europe.
La première partie est théorique. Elle présente les concepts de nation et de nationalisme qui diffèrent amplement d'un pays à l'autre : au modèle "civique" prôné par la France (la Nation basée sur la volonté de vivre ensemble, "plébiscite de tous les jours" selon la célèbre formule de Renan) s'oppose le modèle "ethnique" de l'Allemagne (est Allemand l'homme de langue et de culture germaniques selon Fichte ou Herder).
Frank Tétart s'interroge sur ce qui fonde l'identité nationale : le territoire, la langue. Ces notions entretiennent entre elles des relations dialectiques : la langue par exemple fonde la nation (la Roumanie s'est construite autour de la langue roumaine) tout autant qu'elle est construite par elle (la construction nationale en France s'est accompagnée depuis l'édit de Villers-Cotterêts d'un processus de normalisation linguistique).Mais dans tous les cas, le processus de construction nationale est profondément contingent : il n'existe pas a priori et pour l'éternité un espace territorial et linguistique en parfaite coïncidence et l'illusion de la "pureté du territoire" (p. 45) a été et est encore à l'origine des pires dérives du nationalisme.
Dans une seconde partie, moins conceptuelle, l'auteur présente quelques nationalismes régionaux européens : Catalogne, Pays basque, Flandre, Ecosse, Abkhazie ... Cette présentation, parfois trop rapide, révèle l'actualité paradoxale des nationalismes dans une région du monde parfois présentée comme "post-westphalienne". Loin en effet de les périmer, la mondialisation exacerbe les nationalismes : tout se passe comme si les interactions grandissantes nourrissaient le besoin de se protéger en se repliant sur des identités rassurantes. Ce mouvement, qui peut s'abriter derrière le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, risque de conduire à une dangereuse prolifération étatique. La Yougoslavie a donné naissance à sept Etats - depuis l'indépendance autoproclamée du Kosovo en février 2008 - à la viabilité économique incertaine et à l'identité nationale d'autant plus chatouilleuse qu'elle ne diffère guère de celle du voisin (F. Tétart montre comment les 4 pays qui avaient en partage le serbo-croate l'ont re-nationalisé en insistant sur ses particularités dialectales).
Que ces mouvements se développent en parallèle avec la construction européenne n'est paradoxal qu'en apparence : l'UE se présente comme un cadre rassurant qui épargne aux nouvelles entités régionales les risques d'une indépendance mal préparée. C'est ce qui explique la séduction européenne qu'éprouvent les milieux nationalistes les plus revendicatifs, en Flandre, en Ecosse ou en Catalogne.