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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Vanity Fair ! La chasse aux snobs est ouverte.
Une chasse à la cour, forcément, car ce chef d'oeuvre absolu d'ironie de l'époque victorienne ne traque que la futilité et l'hypocrisie des milieux qui s'estampillent distingués.
Thackeray, considéré comme l'égal de Dickens à son époque et fils spirituel de Swift n'a eu de cesse de fustiger dans son oeuvre la noblesse de sang et de promouvoir l'aristocratie de coeur.
Son héroïne, Becky Sharp, est une aventurière imprévisible, guère encombrée de sentimentalisme, peu avare de ses charmes et d'une redoutable intelligence. J'ai adoré cette femme irrésistible, sorte de soeur aînée d'Anna Karénine. Pas assez bien née, rebelle à un destin de gouvernante, Becky décida de gouverner les hommes. Dans le roman, le cygne noir barbote au côté d'un cygne blanc, Amélia Sedley, fille de bonne famille, douce, naïve, amoureuse d'un prince pas si charmant. J'ai détesté ce modèle de vertu, fille désespérante de passivité.
le roman commence à leur sortie d'un pensionnat pour jeune fille. le destin croisé de ses deux femmes, entre confitures, tasse de thé, déconfitures et vaisselle cassée, structure ce récit où les autres personnages caricaturent la bonne société. Pour visualiser les portraits accrochés dans l'escalier du manoir, citons Joseph, le frère obèse d'Amélia, un mondain falot et pleutre, toute la petite famille Osborne, nouveaux riches arrivistes dont le fils George, égoïste et noceur va épouser Amélia, la lignée des Pitt, fourbes qui se battent pour hériter d'une vieille tante et Rawdon Crawley, neveu déshérité de la douairière à cause de son mariage avec Becky. J'oublie, l'ami, l'amoureux transi d'Amélia, le capitaine William Dobbin, héros militaire et seule âme noble du récit. Tout ce petit monde va se recevoir et se fréquenter à défaut de se parler vrai et de s'aimer. La bise est distanciée, le masque inutile sur les favoris.
Chez Thackeray, les gentils se font dévorer, les amoureux sont trompés, tous les bons sentiments sont sacrifiés à l'obsession de paraître. La morale de cette histoire, c'est qu'il n'y en a pas. Pour s'élever dans cette bonne société londonienne du début du 19ème siècle, il fallait la corrompre. Pour dépasser le plafond de verre, il fallait briser le miroir… où la coupe en cristal. Il y a du Rousseau chez cet auteur anglais. L'homme ne reste bon que le temps de sa naissance.
Ce n'est pas la lecture de cette merveille qui va me rabibocher avec l'insignifiance des repas mondains. Malgré sa longueur et sa qualité, je n'emporterai pas ce livre sur une île déserte, je le prendrai plutôt pour m'occuper l'esprit pendant un pince-fesses.
Né aux Indes dans une famille aisée, Thackeray fit de mauvaises affaires et se retrouvera ruiné. Marié à une jeune femme qui sombra dans la démence après la perte d'un enfant et fut internée plusieurs dizaines d'années, l'auteur consacra sa vie à l'écriture. le livre des Snobs, puis la Foire aux vanités, parus en feuilletons lui apportèrent ensuite gloire et fortune. l'homme eut une vie malheureuse et son ironie grinçante, son humour distancié était une protection contre sa vision désenchantée du monde.
Ce roman nous fait aussi témoin de la Grande Histoire avec une petite virée militaire passionnante à Waterloo et une escapade aux Indes britanniques.
Lucide sur lui-même, Thackeray se considérait comme le premier des snobs et si l'on peut faire un reproche à ce pavé de 1000 pages, ce sont les leçons de morale que l'auteur dispense aux lecteurs après les méfaits de ses personnages. Une écriture très classique qui n'échappe pas à son siècle et l'écrivain reste très puritain. Les bougies sont soufflées dans les chambres à coucher. So chocking ! Mais son rejet de l'entre soi et des castes, sa capacité à ridiculiser les préjugés se révèlent d'une extrême modernité. Et quelle irrésistible satire des moeurs de l'époque … et d'aujourd'hui, la classe en plus. Pour exposer nos vanités, nous sommes passés du crâne allégorique des natures mortes aux selfies ridicules qui défigurent les monuments.
Ce n'est pas pour rien que vanité tire sa racine de vain et je ne peux que terminer ce billet par une citation que j'adore et que Thackeray ne pourrait que faire sienne :
« La vanité consiste à vouloir paraître ; l'ambition, à vouloir être ; l'amour-propre, à croire que l'on est ; la fierté, à savoir ce que l'on vaut. »
Difficile de ne pas se mettre aussi à pontifier après cette lecture inoubliable.
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La foire aux vanités est un concept issu de « The Pilgrim's Progress » de John Bunyan. Une définition de l'existence, évidemment pertinente. L'Histoire (avec un grand H) a son importance, car c'est à Waterloo que George meurt ainsi que la géographie, car c'est en Allemagne que le noeud se défait. L'argent, un peu comme chez George Gissing, dispose d'un pouvoir dominant tout comme il le fut dans la vie de l'auteur. On observe que le romancier a une certaine tendresse pour les enfants. On dit que sa femme était dépressive et, faute de moyens, il a dû confier ses enfants à sa mère à Paris. Un mot encore sur Rebecca ce personnage ambigu par excellence : son vice est justifié en grande partie par sa situation de départ défavorable.

Un très bon livre pour les challenges pavés, n'hésitez plus !
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Il y a des oeuvres qui effraient et fascinent tout à la fois, et ce pendant des années. On les regarde de loin, de près, sous toutes les reliures ; on les épie, on les planque ; elles sont tellement épaisses qu'on les cale bien au fond de sa PAL, telle une solide fondation, et puis un jour, on se lance avec courage et détermination.

"La Foire aux Vanités" de William Makepeace Thackeray est du nombre.

Bien qu'on appréhende sa lecture en raison de son étiquette "classique" et de son volume (plus de 1 000 pages dans la collection Folio), "La Foire aux Vanités" fait également partie de ces oeuvres qu'on regrette de ne pas avoir lues plus tôt une fois qu'on les a entreprises.

Roman qui n'a pas usurpé son label "Incontournable", cette oeuvre dense et colossale est à la fois un récit social, de moeurs, une belle histoire d'amour persévérant et une galerie de portraits extraordinaires bien qu'elle campe des personnages très ordinaires. Tout cela dans le cadre brillant des trente premières années du XIXème siècle.

Contemporain de Charles Dickens, Thackeray n'est pas en reste de par son statut de formidable conteur d'une société anglaise bien propre à s'attirer les foudres de son ironie et de son cynisme. Comme dans les oeuvres du susnommé, l'humour et la moquerie sont omniprésents entre les lignes. Quant au style, c'est un régal à chaque phrase, à tel point qu'on oublie vite le nombre de pages pour profiter de chacune d'elles.

Il est aisé de distinguer et comprendre l'influence énorme que "La Foire aux Vanités" a eu sur la plupart des écrivains anglo-saxons de la période, je ne citerai qu'un seul exemple qui parlera à beaucoup : la pension pour jeunes filles où Amelia Sedley et Rebecca Sharp, nos deux héroïnes, passent leur enfance, ressemble de façon plus que troublante à la pension qui accueillera quarante ans plus tard Sara Crewe (alias la "Princesse Sarah" de la série animée nippone), la plus célèbre héroïne de Frances Hodgson Burnett qui ne s'est pas même donné la peine de modifier les prénoms des pensionnaires.

Comme son titre l'indique, "La Foire aux Vanités" met en lumière le kaléidoscope des ambitions et des aspirations humaines, à travers le destin d'un grand nombre de personnages, tous liés aux existences très contrastées de Rebecca et d'Amelia. Spectacle qui prête à rire (jaune) et à réfléchir sur les vacuités de notre civilisation, hier comme aujourd'hui ; l'auteur l'exprime mieux que moi :

"Et maintenant, disons-le bien haut : Vanitas vanitatum ! qui de nous est heureux en ce monde ? qui de nous arrive enfin au terme de ses désirs, ou, quand il y parvient, se trouve satisfait ? Adieu, adieu, ami lecteur ; rentre maintenant dans la vie réelle où tu verras se dérouler sous tes yeux l'histoire que je viens de te raconter."


Challenge PAVES 2017
Challenge ABC 2017 - 2018
Challenge BBC
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Voici un pavé qui m'a tenu éloigné de Babelio un bon bout de temps… Et pourtant, je n'ai pas connu une minute d'ennui en le lisant ! Curieux de découvrir celui que Charlotte Brontë présente comme « un titan intellectuel », j'ai opté pour l'une de ses oeuvres majeures, gardant en réserve la plus célèbre, le ‘Barry Lyndon' qui inspira Kubrick.

Pour un écrivain du milieu du XIXème, la fluidité de son écriture est étonnante. Peu de longueurs, des descriptions courtes et précises, des personnalités croquées en quelques traits, et surtout un humour et un second degré permanent qui animent sans cesse le récit ! Une ironie mordante et impeccablement dosée, sans lourdeur ni exagération, une pointe de cynisme et une certaine indulgence pour les petites faiblesses de la nature humaine, voici les épices de ce plat de choix.

Nous suivons donc les tribulations de Rebecca Sharp dans ses tentatives pour se construire une position dans le monde. Née pauvre et de parents obscurs, elle dispose néanmoins de quelques atouts : une grande beauté, une intelligence vive et pratique, et un formidable pouvoir de manipulation qu'elle n'a pas le moindre scrupule à utiliser ! Intriguer ici et là, mener grand train sans un sous vaillant, faire mariner ses créanciers, voici des arts où elle est particulièrement versée. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir ses bons côtés et ses beaux mouvements : Thackeray n'accable pas son héroïne. Il met en exergue son besoin maladif de reconnaissance sociale, le peu de perspective qui s'offrent à elle dans sa position, et l'hypocrisie complète de la société dans laquelle elle vit.

Sur ce sujet là, il est en revanche sans pitié. L'ingratitude, les préjugés, les faux-semblants et l'absence de reconnaissance sont soulignés avec une ironie corrosive, et un humour qui fait plus mouche que l'indignation. Ceux qui affichent leurs grands principes mais ne les mettent guère en pratique prennent également quelques banderilles bien pointues. Enfin, le manque de maturité et l'irresponsabilité de bien des jeunes gens est épinglé sans complaisance.

Thackeray est un observateur minutieux et implacable de son temps, qui croit plus aux qualités humaines qu'aux grandes idées. Il faut d'ailleurs une certaine connaissance du XIXème siècle pour bien rentrer dans ‘La foire aux Vanités', sans quoi certains passages risquent d'être un peu obscurs. Contemporain de Balzac, dont il remplace le lyrisme par l'élégance, il est malheureux que son nom ne soit pas plu connu en France. Car après cette lecture je partage l'opinion de Charlotte Brontë : cet homme fut un titan intellectuel…
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Oulala, c'est du lourd ! Et quand j'écris cela, ce n'est pas en pensant au poids de ce pavé qui ne compte pas moins de 1071 pages, mais bien à la qualité de ce que je viens de lire.
Car oui, là je viens de terminer la lecture de ce que je n'ai pas peur de qualifier de petit bijou. Je précise que petit est pour ma part un terme affectueux, car ce livre est à ranger parmi les grands, en tout cas selon mes critères fort personnels.
Soyons clairs, je ne suis pas sure que sans le challenge BBC, je me sois un jour lancée dans cette lecture. Non pas pour des raisons liées à des préjugés, mais plutôt par ignorance. Avant ma lecture, je connaissais vaguement le titre de ce roman, sans pour autant être capable de citer le nom de son auteur, qui est aussi, comme je l'ai découvert, des Mémoires de Barry Lyndon, dont Stanley Kubrick a tiré un film à l'esthétique fort marquant. Donc, une fois de plus, je ne peux que remercier celle qui est à l'origine de ce challenge, à savoir Gwen !
J'ai adoré le style de l'auteur, qui persifle, ironise, se moque avec beaucoup de talent des habitudes et des travers de ses différents personnages. Pas un n'échappe à sa plume acérée et féroce pour mon plus grand plaisir de lectrice. Il égratigne avec art les vaniteux et leurs vanités et je trouve cela tout simplement jubilatoire.
Malgré la taille de ce livre, je n'ai pas ressenti un seul moment d'ennui, car j'ai vraiment été emportée par la qualité de l'écriture.
Et quelle histoire ! Et quels personnages ! Comment ne pas avoir envie de savoir ce qu'il advenir de la trop lisse et parfaite Amelia, mais surtout de l'ambitieuse et sans scrupules Becky Sharp ? Et ne parlons pas de tous les snobs qui les entourent car il y en a pour tous les gouts, il faut le dire…
Une très belle découverte…


Challenge BBC
Challenge Pavés 2023
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Je poursuis ma découverte de la littérature anglaise avec un plaisir croissant.

J'aime beaucoup relire les livres. Cette relecture fait suite à la série homonyme diffusée au début de l'année sur Arte. Je l'ai relu en anglais, alors que ma première lecture était en français. Donc, lisant plus lentement, sous un nouvel éclairage, je l'ai beaucoup plus savouré!

Ce livre incroyable met en scène tout un univers de personnages, pendant plusieurs années, sans aucune longueur de texte. Pendant la première moitié du 19ème siècle, en Angleterre et en Europe.

Pas un instant d'ennui : le rythme est très intelligent et confère beaucoup de suspense. J'emmenais mon livre partout avec moi ( ceci dit, en confinement, c'est tout de suite moins extraordinaire!)

J'ai relu plusieurs passages maintes fois, en ai recopié beaucoup.

J'encourage tout le monde à lire dans le texte. Si je peux le faire, tout le monde le peut! Comme beaucoup, j'ai commencé avec Harry Potter.
Du français à l'anglais, je trouve la plume moins acérée (j'espère que ce n'est pas un manque de compréhension^^). Les tableaux de personnages sont toujours très humains et réalistes. Mais l'humour anglais est plus doux, plus élégant, plus pudique que son homologue français dans mon souvenir, et nous rend les personnages plus attachants, sans rien perdre de leur drôlerie.
Ou peut-être que c'est la relecture qui me fait cette impression.

J'ai souvent pensé aux misérables lors de ma lecture. L'oeuvre française est plus noire, plus violente, plus affreuse.

J'ai lu que le personnage d'Amélia agaçait beaucoup de babelionautes. Moi, je l'adore, comme tous les personnages de cette grande fresque.
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C'est par la série télévisée d'Arte diffusée fin 2019 que j'ai découvert La foire aux vanités : la série était si réussie que j'ai voulu lire le chef d'oeuvre de Thackeray. Disons-le tout de suite, cette lecture a été un régal de bout en bout.

La foire aux vanités met en scène l'ascension sociale de Rebecca Sharp, jolie rousse aux yeux verts, qui a le malheur d'être mal née. Mais cette jeune intrigante possède le charme, l'intelligence et la rouerie nécessaires pour tracer son chemin au milieu d'une société qui tout en étant moralisatrice et prude se montre vaine et âpre au gain.
Rebecca, aussi odieuse que délicieuse, cherche par tous les moyens à s'élever parmi la bourgeoisie et la noblesse qu'elle fréquente. A l'instar de Thackeray, à qui semble-t-il ses lecteurs contemporains ont reproché sa complaisance envers Rebecca, je n'ai pu m'empêcher de l'admirer. A quel trésor de ruse, de séduction et d'artifice ne recoure-t-elle pas pour arriver à ses fins, bluffant toujours son entourage, à commencer par sa douce et timide amie, la jeune Amélia ! Peut-on lui en vouloir de ne pas se contenter d'une petite place de gouvernante et de prétendre à une position plus élevée qui lui apporterait l'argent et le luxe dont elle rêve ? Pourquoi sa naissance devrait-elle la condamner à rester à sa place quand la noblesse qui gravite autour d'elle ne se montre pas forcément généreuse et d'une haute moralité ? En effet, à l'exception de la tendre Amélia et du fidèle et émouvant Dobbin, les personnages de Thackeray sont pour la plupart méprisables et terriblement égoïstes.

J'ai parcouru ce roman victorien avec un immense plaisir, appréciant l'ironie mordante que l'auteur distille tout au long de ces mille pages. J'ai aussi beaucoup aimé les procédés d'écriture de Thackeray qui ose bousculer la chronologie, laissant le lecteur dans l'ignorance de certains faits, afin de le surprendre un peu plus loin par une annonce parfois théâtrale qui ne rate pas son effet ! En narrateur omniscient, Thackeray prend plaisir à baptiser ses personnages de noms très significatifs, à interpeller le lecteur, à jouer avec lui, en lui faisant écouter ce qui se dit derrière une porte fermée, ou en lisant un billet secret par-dessus l'épaule d'un de ses personnages. Sans aucune indulgence pour ses marionnettes comme il les appelle, il se moque souvent d'eux, même des plus pitoyables comme cette pauvre Amélia.

Quelques longueurs et digressions fastidieuses vers la fin du roman, à moins que ce ne soit une petite lassitude et l'envie que cela se termine puisqu'ayant déjà vu la série, je connaissais la fin... Mais cette satire sociale est jusqu'au bout savoureuse et pleine d'humour.

Pour finir, à ceux que la longueur ou le style du roman rebuteraient, je recommande la série télévisée de 7 ou 8 épisodes, que j'ai trouvée d'une grande fidélité à l'oeuvre et aussi d'une grande modernité dans la mise en scène. Mais si vous en avez le courage, lisez ce chef d'oeuvre !

Challenge multi-défis 2020
Challenge XIXème siècle 2020
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Un chef-d'oeuvre intemporel.

Comment ai-je pu toutes ces années passer à côté de ce monument d'analyse sociale et psychologique, de finesse et de virtuosité narratives ? Je ne connaissais de Thackeray que le nom et l'adaptation par Stanley Kubrick de Barry Lyndon. Or La Foire aux vanités est une histoire qui vous emporte et qui vous révèle tout un monde, comme Balzac ou Proust. C'est une lecture qui marque une vie et on est sûr de se rappeler ensuite Rebecca, Amélia, Dobbin, George et tous les autres. C'est aussi un livre intemporel : même s'il est souvent qualifié – à juste titre – de victorien, il met en scène des personnages qui ont toujours existé et existeront toujours. Ne connaissons-nous pas tous des Rebecca et des lord Steyne ? La vie publique ne nous en donne-t-elle pas tous les jours des exemples ? Les nombreux renversements de perspective, qui rendent la lecture haletante, annoncent le roman moderne. Comme dans tous les grands chefs-d'oeuvre, il y a une part non négligeable d'humour – et, en l'occurrence, d'ironie mordante. le dévoilement du monde comme « foire aux vanités » est brillant. Il ne faut pas se laisser effrayer par l'ampleur inhabituelle de l'oeuvre : sa lecture offre un plaisir sans pareil.
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« La foire aux vanités » a pour théâtre les vies de la bonne société anglaises du 19ème siècle.
Nous y suivrons deux couples dans leur installation et, à travers eux, tout un univers d'orgueils et de vanités recouvert d'un verni superficiel de bienséance. Amélia, jeune fille de bonne famille aussi gentille et bonne poire que lisse et effacée (« dont l'excessive douceur dégénérait presque en faiblesse »), et Rebecca, orpheline sans le sou mais aussi maligne qu'hypocrite et manipulatrice (aimant la société et en ayant « besoin à tout prix, comme un fumeur d'opium ne peut se passer de sa pipe »), étaient pensionnaires ensemble. La première est promise à un bel avenir avec un fiancé de longue date, la seconde à la pauvreté et au travail de gouvernante. Mais dans la vie, rien n'est jamais acquis. La société n'est pas aussi figée qu'elle en a l'air : il suffit de savoir jouer la comédie… et de tirer les bonnes ficelles !


Thackeray lève le rideau sur cette société toute entière régie par l'étiquette plus que par l'étique, où le rang social, portés aux nues au moins autant que l'argent, fait naître le poison de la vanité. Ce dernier incite à vouloir s'élever dans la société, à posséder plus d'importance, plus d'argent, souvent au détriment de la qualité des relations et d'une certaine idée de la morale. Il infiltre insidieusement chaque action, chaque pensée, chaque parole dans ce but ultime, et finit par pourrir ce terreaux d'âmes errantes, ambitieuses, orgueilleuses, et désireuses de briller à leur tour.


« A eux deux, ils donnaient l'exemple de la vanité des choses humaines ; ils désiraient, chacun de leur côté, ce qu'il ne leur était point donné d'avoir. »


Ainsi, comme son nom l'indique, « la foire aux vanités » ne dénonce pas simplement un seul défaut (l'orgueil) en tant que tel. Il révèle et expose, dans tout ce qu'elles ont de plus secret et personnel comme de plus prétentieux et éclatant, toutes ces petites vanités diverses et camouflées du quotidien, soigneusement entretenues par chacun, comme les plus grandes et prétentieuses vanités institutionnelles créées et cautionnées par la société. A travers deux couples de jeunes adultes faisant difficilement leur entrée dans le monde, l'auteur retrace, avec un miroir grossissant, les travers, rides et imperfections d'une société fardée par le paraître et l'égoïsme de chacun.


« De tous les vices qui dégradent la nature humaine, l'égoïsme est le plus odieux et le plus méprisable. Un amour exagéré de soi-même conduit aux crimes les plus monstrueux et occasionne les plus grands malheurs dans les Etats comme dans les familles ».


Si l'auteur annonce un lever de rideau sur ce théâtre des vanités, c'est un théâtre de marionnettes dont les ficelles, plus ou moins grosses, sont tirées par les sujets les plus habiles. Alors, dénonciation du système de cette époque, qui pousserait aux actions les plus viles pour escalader l'échelle sociale…? Pas seulement ! Car l'histoire est transposable encore de nos jours : les réseaux de relations et de pouvoir, les jeux d'argent et les chantages, les arrivistes infatigables et les nantis vampirisés, les querelles d'héritage, les mariages volages, les amitiés intéressées, les jugements sur l'apparence, la volonté de briller, les ravages des addictions aux jeux ou à l'alcool… Ceux qui manipulent, ceux qui subissent.


En réalité, là est l'histoire : « La gloire de ce monde, comme on dit, est bien passagère ».
Cette citation du livre rappelle un rite d'intronisation sensé rappeler au Pape qu'il n'était qu'un homme et qu'il devait se garder de tout orgueil ou vanité. Comme l'indique son titre, ce roman est donc une réflexion sur la nature passagère et vaine de la vie humaine.
La foire « aux vanités » comprend aussi bien l'orgueil du vaniteux que l'acception latine du mot « vanitas » (de « vanus », vain) c'est-à-dire ce qui est vide, creux, inutile et illusoire.


Et Thackeray de conclure : « Vanitas vanitatum ! qui de nous est heureux en ce monde ? qui de nous arrive enfin au terme de ses désirs, ou, quand il y parvient, se trouve satisfait ? ».
Avec ce « Vanitas vanitatum », l'auteur rappelle l'universel de ce qu'il décrit, car lié à l'être humain quel qu'il soit ; Comme s'il voulait dédouaner ses personnages et nous inciter à nous regarder d'un peu plus près nous-même.
Ces mots sont en effet extraits d'un passage de la Bible, dans lequel on retrouve l'idée étayée par l'auteur :
« Vanité des vanités, dit L Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
Quel avantage revient-il à l'homme de toute la peine qu'il se donne sous le soleil? (…)
J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil; et voici, tout est vanité et poursuite du vent.(…) ».
Cette dernière phrase répond d'ailleurs également à un autre passage du roman (« L'expérience a démontré depuis longtemps que les plus heureux sont toujours les plus éloignés du soleil. (…) tout ici bas n'est que fumée et vanité »), mais on n'en finirait plus d'explorer ce roman, tant il est foisonnant.


Ne craignez pas pour autant une assommante morale religieuse : Toute la force de cette fresque est qu'elle demeure, sur la forme autant que sur le fond, définitivement romanesque. Il est amusant d'appliquer la trame du récit à la société d'aujourd'hui, ou même à un microcosme déterminé, un échantillon connu - de notre entourage ou de la vie publique - pour y déceler ce que la plume de Thackeray dépeignait en son temps avec justesse, humour et précision. Et n'est-ce pas tellement logique, humain et donc universel ou presque, cette propension à vouloir dominer, tirer les ficelles, posséder, briller… En un mot, à vouloir toujours plus, au détriment parfois de valeurs morales. Dans cette « foire aux vanités », l'argent est-il une fin, un moyen, ou un prétexte ? L'égoïsme est-il une cause ou une conséquence ? L'ambition, l'envie de briller sont-ils des phénomènes créés par la société, ou profondément individuels et humains ? Sommes-nous le miroir de notre société ou celle-ci est-elle le nôtre ?


C'est donc bien, fidèlement à son sous-titre et nonobstant les piques ironiques de son auteur, un roman sans héros, fait de gens comme vous, moi et l'entièreté des personnes qui nous entourent. Mais quels portraits nous sont taillés et épinglés par Thackeray : Il a un vrai talent pour la peinture sur mots, on ne s'ennuie pas ! En s'adressant directement à son lecteur avec humour et provocation, le narrateur omniscient n'enlève rien de notre proximité avec ses acteurs, tant leurs coeurs et âmes sont brillamment dépeintes, données en jugement et débattues. 1000 pages durant lesquelles vous serez spectateur actif, pris à parti de cette fresque qui demeure, sur la forme, savoureusement anglaise, et sur le fond, joliment (d)écrite et intéressante.
A présent je n'ai plus qu'à lire son pendant : « le bûcher des vanités » de Tom Wolfe ! Après avoir dénoncé nos vanités, on les brûle ?


« Adieu, adieu, mes enfants, refermons la boîte et rangeons nos marionnettes, car le spectacle est terminé » !
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Amelia et Rebecca quittent le même jour, et ensemble, l'institution où elles ont fait leurs études. Leurs destins respectifs semblent tout tracés : à la première, bien née, tout paraît devoir naturellement réussir alors que la seconde, d'un milieu beaucoup moins favorisé, semble devoir se contenter de jouer les rôles d'appoint. Mais pas si simple ! Peu armée pour faire face aux vicissitudes de l'existence, Amelia a tendance à se comporter de façon passive devant les coups du sort qui l'accablent alors que Rebecca, elle, est bien décidée à utiliser, sans s'encombrer de considérations morales, tous les moyens possibles et imaginables pour faire sa place au soleil. Pour parvenir à ses fins, elle dispose de nombreux atouts : sa beauté, son magnétisme, son intelligence, son absence totale de scrupules. Un vaste champ d'action s'ouvre à elle : le monde dans lequel elle fait son entrée est en effet peuplé de toutes sortes d'êtres faibles, veules, superficiels, qui n'accordent d'importance qu'à l'argent, qu'au statut social et à l'impression qu'ils font sur autrui. La fameuse vanité.

Pendant plus de mille pages, William Thackeray va nous dresser un tableau saisissant et plein d'humour de toutes les bassesses, mesquineries et prétentions humaines et, par la même occasion, de la société anglaise de son temps. On ne s'ennuie pas un seul instant. Sa verve, son ironie, sa façon de s'adresser directement au lecteur ont des accents résolument modernes. Les portraits qu'il nous brosse de la multitude de personnages qu'il met en scène également. Il y a des agissements et des « types » humains qui sont universels.
À cet égard la description des comportements à l'arrière, lors de la bataille de Waterloo, est particulièrement savoureuse. Suite à de fausses informations, Napoléon est donné vainqueur. On assiste alors à un sauve-qui-peut général d'anthologie dont Rebecca va, quant à elle, savoir tirer judicieusement profit. Ce personnage de Rebecca est, à mon sens, extrêmement complexe. William Thackeray ne peut pas ne pas donner l'impression qu'il réprouve ses agissements, mais, en même temps, on sent bien qu'il ressent une certaine tendresse pour cette femme qui s'efforce de tirer parti, du mieux qu'elle peut, des failles d'une société injuste.

Encore un écrivain qui n'a malheureusement pas, en France, la reconnaissance qu'il mérite.
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