Pauvre, pauvre
Lolita. Un de mes personnages préférés du brillant
Nabokov. Elle a vécu une vie triste, et même après la mort elle doit encore souffrir à force de devenir “une idée fixe” d'un certain
Christophe Tison, un auteur français qui est peut-être un bon écrivain (à l'exception de “
Journal de L.”), mais un très mauvais lecteur.
Les personnages littéraires inspirent souvent des écrivains comme on dit “de seconde catégorie “ à créer des suites de romans bien connus. La logique de séries télévisées veut qu'on apprenne sur un personnage absolument tout, comment Darcy et Lizzie s'entendaient après le mariage par exemple et d'autres bêtises de ce genre. Heureusement, Emma Bovary et Anna Karenine sont mortes, sinon on aurait lu peut-être une énième édition de leurs aventures amoureuses qui “avaient lieu” après un point final mis par l'auteur. Il semble que
Lolita, à l'instar de celles-ci, devrait reposer en paix vu sa mort tragique évoquée par VN aux dernières pages du roman, mais non, on oublie que l'histoire de cette fille a été racontée par un homme et cela veut dire que la version féminine des mêmes faits a été vite préparée.
Pourquoi “
Journal de L.” n'est-il pas une oeuvre réussie ? Les raisons sont multiples mais la plus importante me semble être celle-ci :
Christophe Tison n'a pas lu “
Lolita” de VN d'une manière suffisamment attentive. Pourquoi fallait-il inventer des racines polonaises à Dolorès Haze alors qu'il est très bien connu qu'elle avait du sang irlandais et hollandais, mais pas polonais ? Un petit détail, mais très éloquent. Il semble que monsieur Tison, qui se plant que
Lolita n'était pas “écoutée”, ne soit lui-même pas assez attentif à son héroïne. Ni à Humbert Humbert, qui, sous la plume de Tison, devient la caricature de lui-même et veut que
Lolita obtienne “une éducation religieuse” (version CT). Vraiment ? HH méprisait la religion et n'était pas quand même parfaitement idiot pour pouvoir prononcer une phrase pareille. HH qui écoute l'interview de Chaplin à la radio et compatit aux communistes est aussi impensable que monsieur Homais lisant
Schopenhauer. Etc, etc, etc.
Pauvre, pauvre
Lolita. Une fois de plus tu n'a pas été écoutée. Au lieu de cela, on t'a déshabillée, on t'a caricaturée, on t'a rendue une fille plate, profondément inintéressante, même banale. Posez-vous une question : pourquoi un écrivain génial comme
Nabokov, parmi tous les personnages créés par son imagination, adorait-il
Lolita plus que les autres ? Parce qu'elle était une adolescente ordinaire avec un esprit borné et des pensées stéréotypées ? Là, c'est
Lolita vue par Tison. Mais la
Lolita de
Nabokov était quelqu'un de différent. Et pour faire connaissance de la véritable
Lolita, il faut s'adresser à la version de celui qui l'a détruite, le malheureux Humbert Humbert.
Hélas, la sosie de
Lolita créée par Tison ne sera jamais capable de devenir votre héroïne préférée, même si vous ne possédez pas de génie de
Nabokov. Mais on sait tous distinguer la version originale et vivante de sa falsification morte et laide. Et c'est le cas de ladite histoire intitulée «
Journal de L. ».
Merci à la Masse critique et aux éditions Gouttes d'Or.