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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Toutes les femmes de sa vie

Jean-Philippe Toussaint poursuit dans «Les émotions» son cycle bruxellois et européen entamé avec «La clé USB» et nous offre quelques superbes variations sur le sentiment amoureux en détaillant les rencontres qui l'ont marqué.

Ceux qui ont lu «La clé USB» seront très vite ici en terrain connu, car même si ce roman peut très bien se lire sans avoir connaissance de l'oeuvre ou du précédent roman de l'auteur, il pourrait fort bien composer un dyptique, puisque l'on reprend l'action au moment où Jean Detrez, le personnage principal, de retour du Japon apprend que son père est décédé, mettant en quelque sorte un point d'orgue a une année qui aura vu sa femme le quitter (juin 2016), le Brexit être voté (23 juin 2016), et Donald Trump accéder à la présidence des États-Unis Trump (8 novembre 2016).
Nous voici donc en décembre, au moment des obsèques de son père, événement chargé d'émotion, mais aussi propice à l'introspection. Les souvenirs affluent, ceux qui ont marqué la vie de son père, fonctionnaire européen comme lui, mais aussi tous ces moments qui ont provoqué chez lui ces émotions qui donnent le titre du roman et dont l'intensité va déterminer le souvenir bien davantage que la chronologie. Les femmes, ou plus précisément les émois amoureux formant alors la matière première d'un récit qui, bien que très factuel, fait précisément partager au lecteur les battements de coeur et l'exaltation de ces moments où la vie s'illumine, où on sent que quelque chose se passe…
Comme lors de ce colloque international de prospective qui tente de tracer l'avenir de l'Europe sans le Royaume-Uni et qui se tient précisément à Hartwell House, dans le sud de l'Angleterre. Alors que les intervenants s'écharpent sur la pertinence de leur méthode de prospective stratégique en quatre phases – scoping, ordering, implications, integrating futures – l'attention de Jean va être détournée par Enid Eelmäe. Pour faire connaissance, les participants ont été invités à un exercice, baptisé Tell the story of your names. C'est ainsi qu'après avoir expliqué que les Detrez étaient originaires du Nord de la France et que le grand-père paternel avait disparu durant la Première Guerre mondiale, il apprit que Eelmäe voulait dire
«première montagne» ou «avant-montagne» en estonien, mais aussi que ce patronyme, avant l'estonisation des noms, était Eiffel, comme le constructeur de la Tour Eiffel. Ajoutons que la seule personne appelée Enid de leur connaissance les renvoyait tous deux à leur enfance et à la lecture du Club des cinq et du Clan des sept d'Enid Blyton. Il n'en fallait guère davantage pour tomber sous le charme de belle venue de Baltique. Au fil des heures, ils vont devenir très complices. Jusqu'à ce tête-à-tête dans la bibliothèque: «J'avais envie de déposer ma main sur son bras, mais je n'osais entreprendre le moindre geste. Il y a toujours un moment, dans les relations amoureuses, où, même si on sait que nos corps vont finir par se rapprocher, qu'une étreinte va survenir, qu'un baiser ne va pas tarder à être échangé, on demeure dans l'attente, et rien ne se passe si on ne prend pas la décision d'agir. Même si on sait l'un et l'autre que quelque chose de tendre est susceptible de survenir à tout instant, il y a un dernier cap à franchir, qui peut sembler minuscule, et dont on peut même se rendre compte, a posteriori, en se retournant pour revoir la scène dans son souvenir, que ce n'était en réalité qu'un tout petit gué tellement aisé à traverser, mais qui, tant qu'il n'est pas franchi, tant qu'on ne l'a pas passé, demeure un obstacle insurmontable.»
Bien entendu, ce sont les détails de ces moments qui donnent toute sa saveur à ce roman, comme si Jean-Philippe Toussaint à la manière d'un cinéaste, décidait de passer d'un plan général à un gros-plan, de se focaliser sur ces moments de grâce.
On passe ainsi des couloirs du Palais de Berlaymont, bâtiment emblématique de l'Union européenne où se retrouve tous les thèmes du livre, l'Europe aujourd'hui à la croisée des chemins, mais aussi le fils et son père, tous deux fonctionnaires européens, mais aussi l'architecture puisque la rénovation du bâtiment est confiée à son frère qui a suivi les pas de son arrière-grand-père, Pierre de Groef, qui a construit beaucoup d'immeubles à Bruxelles au début du XXe siècle. Et, comment pourrait-il en être autrement, les femmes. D'abord Diane, sa seconde épouse dont il se sépare, mais dont il nous raconte avec tendresse et sans doute nostalgie la rencontre dans ce temple de la technocratie. Puis sa course effrénée avec Pilar Alcantara lors de l'éruption du volcan Eyjafjöll en 2010. L'occasion aussi de nous faire découvrir un mystérieux souterrain.
Remontant dans le temps, nous irons aussi en Toscane au moment où Jean rencontre Elisabetta, sa première épouse. Contrairement à Diane, elle sera présente aux obsèques avec son fils Alessandro. Encore une occasion de constater combien restent vivaces les émotions. Et d'exprimer des regrets que l'on peut aussi prendre comme un conseil d'ami: «J'aurais peut-être dû faire davantage d'efforts pour essayer de sauver notre amour et prendre le risque d'entamer avec Elisabetta une longue relation suivie, la relation d'une vie, un amour au long cours, quitte à ce qu'il y eût des hauts et des bas, des orages et des disputes (et, sur ce point, je pouvais faire confiance à Elisabetta), mais j'aurais pu ou j'aurais dû avoir cette ambition pour nous, plutôt que, au premier accroc, à la première infidélité, céder à la facilité de nous séparer, abdiquer sans combattre.»


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« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a connu deux grands cycles. Un cycle qu'on pourrait dire progressiste, dans le domaine des moeurs et des droits humains, jusqu'à la fin des années 1970, et un cycle libéral, qui a duré peu ou prou jusqu'à la crise financière de 2008. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, avec le Brexit, nous venons d'entrer dans un troisième cycle, un cycle populiste, qui se traduit par une défiance nouvelle envers les élites et la démocratie représentative. »
En regard de cette analyse des 70 dernières années par Jean-Philippe Toussaint, le titre de son roman Les émotions prend une connotation négative : ces émotions sont en effet celles, incontrôlables, qui régissent le monde dans le cycle populiste, à l'heure des fake news, de la manipulation 2.0 et ses périls pour la démocratie. de fait, l'élection de Trump et le Brexit affectent fortement le narrateur et héros du roman, Jean Destrez, un haut fonctionnaire européen élevé dans le culte du projet de construction européenne – un projet se voulant reposer sur l'intelligence, la raison et la culture européenne, (références, d'Erasme à Zweig, à l'appui) : bref, l'opposé de ces émotions irréfléchies et leurs dangereux excès.
Mais ce narrateur et héros incarne lui-même assez mal ce beau projet européen : certes, en tant que fonctionnaire, il fait de son mieux son travail, mais l'Europe qu'il nous fait connaître à travers son expérience n'est pas tant celle d'Erasme ou de Zweig ; et c'est plutôt à Kafka que l'on pense, tant pendant la visite des méandres du chantier de rénovation du bâtiment Berlaymont, siège de la Commission européenne, qu'en découvrant le fonctionnement bruxellois : toute la troisième partie du roman, c'est le château en version accélérée ! – et au moins K avait-il le loisir de son temps…
Même à titre personnel, Jean Destrez incarne mal l'homme de modération et de maîtrise de soi : hanté par ses deux divorces, par la figure imposante de son père (ou encore par la place qu'a su prendre son frère, architecte de renom), c'est un homme que l'on sent affectivement fragile, en proie à ses propres émotions… Mais celles-ci ne sont, du reste, pas toutes négatives : c'est, dans la première partie du livre, l'émotion charmante et douce d'une rencontre – elle ne tient pas toutes ses promesses, mais qu'importe, une rencontre peut en cacher une autre (on apprécie au passage tout l'humour de JP Toussaint)… Ce sont, dans la deuxième partie du roman, de singulières décompensations que Jean Detrez est amené à vivre avec ses première et seconde femmes (on retrouve alors le Toussaint conteur des situations étranges que l'on a aimé dans L'appareil photo). C'est enfin, dans la troisième partie, l'émotion collective de la crise aérienne de 2010, vécue dans toute sa fièvre parce qu'il est au coeur des cellules de crise…
Où Toussaint veut-il nous mener, dans ce nouveau cycle engagé avec La clé USB ? le second opus intitulé Les émotions ne nous le laisse pas encore discerner très clairement, mais à tout le moins on y retrouve avec plaisir la délicatesse de JP Toussaint à saisir les instants fugaces, moments magiques ou situations insolites…
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Les Émotions, de Jean-Philippe Toussaint : un livre éclaté comme un puzzle, dont chaque pièces est la description délicieuse et perfectionniste d'un moment où les émotions prennent le dessus de la raison, avec un côté David Lodge (Petit monde) sur le premier tiers - avec son colloque de prospectivistes -, le deuil du père du protagoniste, l'architecture à Bruxelles - de Horta aux catastrophes des années 50 -, avec de belles pages sur Zweig et sur l'amour et ses brûlures et, comme souvent avec la littérature : mille et un autres sujets encore. Ne pas passer à côté de ce nouveau Toussaint serait de bonne augure.
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"À croire que la prospective ne nous est d'aucun secours dans les affaires de coeur - ou qu'en amour, il n'y a pas de méthode."

En quatrième de couverture, il était indiqué que ce roman s'inscrivait dans un cycle et qu'il en constituait le second opus.

Pas de panique, cependant, cet ouvrage peut se lire indépendamment.

Un ami m'avait parlé de l'ensemble romanesque M.M.M.M. ( Faire l'amour, Fuir, la Vérité sur Marie, Nue) qui , acheté en seconde main, m'attend dans mon armoire à lire ;-)

J'ai rencontré ce volume dans les rayons de la bibliothèque et c'est donc avec lui que je découvre l'univers de Jean-Philippe Toussaint.

D'emblée, j'ai apprécié son style, son écriture. Son roman à trois temps, comme une valse.

Valse des émotions.

Le roman s'ouvre sur une rupture et le ressentiment qui y est lié.

Nous y savourons la joie d'une rencontre, la tristesse de l'au revoir.

L'auteur aborde l'architecture de Bruxelles, l'histoire de son urbanisme, il évoque aussi le Berlaymont, son désamiantage, sa reconstruction et cet aspect a énormément pesé dans mon coup de coeur pour ce roman.

Les aspects politiques sont abordés de manière très réaliste et avec une analyse très fine.

Les émotions par contre sont abordées de manière très discrète, pudique et cela cadre parfaitement avec le personnage du narrateur, toujours affairé, en route et ne disposant que de peu de temps pour l'introspection.

Un mouvement central : le décès du père et la rupture avec sa deuxième épouse. Tristesse, nostalgie, souvenirs.

La crise de l'Eyjafjöll occupe le troisième temps, ce que l'auteur dit de la place de l'aviation par rapport aux politiques ne m'a guère enchantée quant à la manière dont les élites dirigent nos sociétés et aux choix qui les préoccupent.

Il faut parfois un roman pour mesurer combien le monde dans lequel nous vivons peut nous peser.

Enfin le roman se clôt sur une rencontre volcanique et sur l'énumération des six émotions suscitées par Pilar Alcantara.

Appréciation modérée pour le contenu de ce roman… qui, paradoxalement semble contredire son titre par une certaine froideur.
Lien : https://bafouilles.jimdofree..
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Je continue dans ma découverte de l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint. Peut-être dans le désordre mais avec délice. J'apprécie son talent d'écriture et sa subtilité. Il me reste des interrogations et j'aimerais bien trouver une interview dans laquelle l'auteur nous en dirait un peu plus.
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Après La Clé USB et maintenant Les émotions, Jean-Philippe Toussaint poursuit son nouveau cycle romanesque et dresse le portrait d'un homme qu'on connaît déjà bien, Jean Detrez qui fait face à l'imprévisibilité, aussi bien dans ses tempêtes amoureuses que politiques.

Jean Detrez, fonctionnaire à la Commission européenne, s'occupe principalement de la prospective sociétale, économique et publique. Penser l'avenir de l'Europe, au travers des différentes recherches, études, lors de discussions ou débats, auprès d'experts, c'est son domaine. Mais penser à son propre avenir, privé, personnel, est une autre histoire. Pourtant, l'imprévu semble envahir sa vie, tant professionnelle que privée, ces derniers temps. Entre le référendum sur le Brexit, l'élection de Trump, sa séparation avec sa femme et la mort de son père, une seule question lui vient : « que faire avec le temps, celui qui passe et celui qui viendra ?«
Lien : http://untitledmag.fr/rentre..
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La Clé USB m'avait passionné. J'y ai retrouvé tous les ingrédients de son cycle MMMM , judicieusement réinventés dans ce roman.

Je n'ai pas attendu longtemps pour mettre la main sur Émotions. Et pour la première fois depuis que je lis JPH Toussaint, la magie n'a pas opéré.

J'ai trouvé le livre lent, long, bavard parfois quand il devient guide touristique de l'horrible quartier européen. Certes, il y a quelques toutes belles pages sur l'art de la relation amoureuse, mais je n'ai pas trouvé la ligne de fuite de la Clé USB. Je n'ai pas trouvé de lien, sauf le narrateur et le décès de son père.

Je suis conscient que ce genre de déception littéraire n'est pas seulement imputable à l'auteur. Elle peut être imputable au lecteur, fatigué, pas dans l'esprit, influencé par le livre précédent... Je le relirai sans doute un jour et sûrement le suivant.
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Écrivain, photographe et cinéaste, l'auteur dresse un récit sur une série de fioritures, avec ce goût précieux de faire vibrer l'éclat des petites choses. Convaincu que c'est de la félicité de la promesse que naissent les plus belles heures d'amour, il laisse le soin au lecteur de guetter ces moments où le temps s'arrête, se cristallise. Pour lui, il y a toujours un instant, dans les relations amoureuses, où, même si on sait que nos corps vont finir par se rapprocher, qu'une étreinte va sur venir, qu'un baiser ne va pas tarder à être échangé, on demeure dans l'attente. L'auteur explore aussi la thématique familiale en parlant du deuil d'un proche (le père) et se livre à une réflexion intime qui se déroule non loin de la place Flagey, avec des lieux repères pour les Bruxellois.
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Après la tétralogie échevelée autour de la styliste Marie M.M. M.M., JP Toussaint relance un cycle dont chaque roman vit indépendamment, mais peut aussi se lire en profitant de la familiarité installée par ses prédécesseurs. Cette fois son personnage central est un fonctionnaire européen prospectiviste, c'est-à-dire chargé de fabriquer des scénarios plausibles sur les crises à venir et à craindre. Un homme qui cartographie le futur mais se perd dans sa vie. Comme d'habitude, c'est brillamment construit et poli, fait de "petits riens" soulevés par une extraordinaire énergie romanesque raconté avec une distance ironique et une précision documentée.
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