Citations sur Les choses humaines (414)
“Le premier devoir, c’est la franchise. Informer le pays, le renseigner, ne pas ruser, ne pas dissimuler, ni la vérité, ni les difficultés.” Cette franchise, que certains ont interprétée comme une manifestation de brutalité alors qu’elle n’était que l’expression de votre pugnacité, vous a parfois été reprochée ; elle est aujourd’hui votre marque de fabrique. Quiconque accepte votre invitation sait qu’il va être questionné jusqu’à ce qu’il lâche sa vérité.
Tu es mariée à un homme qui t'offre toute liberté et avec lequel tu as conclu tacitement le même pacte que celui qui avait lié Jean-Paul Sartre à Simone de Beauvoir : les amours nécessaires, les amours contingentes, le conjoint, ce point fixe, et les aventures sexuelles qui nourriraient leur connaissance du monde - cette liberté, pourtant, tu ne l'avais jamais prise jusque là, pas par fidélité, non, tu n'avais aucun goût pour le rigorisme moral, mais par une inclination naturelle à la tranquillité.
Pendant toute la durée du traitement, elle avait conservé sur elle un texte de Susan Sontag, La maladie comme métaphore, que l'intellectuelle américaine avait écrit après son cancer du sein:
Toute sa vie durant, elle n'avait fait qu'agir en contradiction avec les valeurs qu'elle prétendait publiquement défendre. C'était ça, la violence : le mensonge - une représentation falsifiée de son existence. Le déni : la voie qu'elle avait substituée au réel pour pouvoir le supporter.
Le sexe et la tentation du saccage, le sexe et son impulsion sauvage, tyrannique, incoercible, Claire y avait cédé comme les autres, renversant quasiment sur un coup de tête, dans un élan irrésistible, tout ce qu'elle avait patiemment construit - une famille, une stabilité émotionnelle, un ancrage durable.
Un chagrin d’amour pouvait-il être considéré comme la plus grande épreuve d’une vie ? Tout amour était-il une illusion ? L’amour rendait-il heureux ? Était-il raisonnable d’aimer ? L’amour était-il un jeu de hasard ? Qui aimait-on dans l’amour ? Pouvait-on vivre sans amour ? Y avait-il une vie après l’amour ? Comment se remettre rapidement d’une rupture amoureuse ?
Jean avait rencontré Françoise Merle trois ans après la naissance de son fils, Alexandre, dans les couloirs d’une association qu’il avait créée, Ambition pour tous, regroupant des journalistes désireux d’aider des lycéens issus de milieux défavorisés à intégrer les écoles de journalisme – une femme belle, cultivée, généreuse, qui venait de fêter son soixante-huitième anniversaire, et avec laquelle il vivait depuis près de dix-huit ans une double vie. Pendant des années, il avait juré à Françoise qu’un jour ils seraient ensemble ; elle ne s’était pas mariée, n’avait pas eu d’enfant, elle l’avait attendu vainement; il n’avait pas eu le courage de divorcer, moins par amour pour sa femme – il y avait longtemps que son intérêt pour Claire était circonscrit à la vie familiale – que par désir de protéger son fils, lui assurer un cadre stable, équilibré. Alexandre avait été un enfant d’une exceptionnelle précocité intellectuelle, il était un jeune homme brillant, un sportif émérite mais, dans la sphère privée, il lui avait toujours semblé immature. Alexandre venait d’arriver à Paris pour assister à sa remise de décoration à l’Élysée : le soir même, Jean serait fait grand officier de la Légion d’honneur. p. 30
Avec son mari, elle formait l’un de ces couples de pouvoir que la société médiatique révérait, mais dans ce rapport de forces permanent où évoluait leur mariage, il n’était pas difficile de dire qui dominait l’autre. p. 23
Pendant vingt ans, ils avaient réussi à maintenir la connivence intellectuelle et l’estime amicale des vieux couples qui ont choisi de faire converger leurs intérêts autour de leur foyer érigé en rempart contre l’adversité, affirmant qu’ils étaient les meilleurs amis du monde, façon policée de cacher qu’ils n’avaient plus de rapports sexuels. Ils parlaient pendant des heures de philosophie et de politique, seuls ou au cours de ces dîners qu’ils donnaient fréquemment dans leur grand appartement de l’avenue Georges-Mandel, mais ce qui les avait liés le plus solidement, c’était leur fils, Alexandre. À vingt et un ans, après des études à l’École polytechnique, il avait intégré à la rentrée de septembre l’université de Stanford, en Californie ; ce fut pendant son absence, au début du mois d’octobre 2015, que Claire avait brutalement quitté son mari : j’ai rencontré quelqu’un.
La maladie est la zone d’ombre de la vie, un territoire auquel il coûte cher d’appartenir. En naissant, nous acquérons une double nationalité qui relève du royaume des bien portants comme de celui des malades. Et bien que nous préférions tous présenter le bon passeport, le jour vient où chacun de nous est contraint, ne serait-ce qu’un court moment, de se reconnaître citoyen de l’autre contrée. » Elle l’avait relu le matin même après avoir confié à Jean qu’elle effectuait cet examen en dépit de sa peur obsessionnelle, irraisonnée de la maladie.