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sur 990 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'attendais ce livre avec impatience tant le précédent L'invention de nos vies m'avait impressionnée, annonçant un tournant passionnant dans l'écriture de Karine Tuil. Nous y voilà donc, trois ans plus tard, et le résultat est époustouflant. Une puissance narrative qui vous happe dès les premières pages pour ne plus vous lâcher, une tension parfaitement maîtrisée du début à la fin et surtout, un récit tellement ancré dans le 21ème siècle qu'il risque d'en devenir un témoignage de référence pour les générations à venir.

"J'écris parce que la vie est incompréhensible", dit Marion Decker, l'un des quatre personnages principaux du roman. le moins que l'on puisse dire c'est que Karine Tuil nous la rend compréhensible, la vie. Elle nous brosse un tableau à la fois juste, sans concession et terriblement lucide de notre société en se faufilant dans les arcanes du pouvoir, au plus près de ceux qui prennent les décisions. Une société où l'image prédomine, où la communication est reine, où le pouvoir se gagne et se perd en un rien de temps sur le terrain médiatique, où les apparences comptent plus que le mérite. Mondialisation, géopolitique, jeux de pouvoir... Ses héros n'ont pas forcément toutes les cartes de leur destin en mains.

Mais L'insouciance ne serait pas un livre de Karine Tuil si la question de l'identité n'était pas au centre. Chacun des personnages a son problème d'identité, d'appartenance et c'est une source de vulnérabilité. François Vély, le puissant patron du CAC 40 à qui tout semble réussir se voit soudain ramené à ses origines juives, lui qui les a toujours volontairement ignorées. Osman Diboula, le fils d'immigrés parvenu à se hisser dans les coulisses du pouvoir en tant que conseiller à l'Élysée s'aperçoit qu'il a peut-être servi de caution "diversité" dans un milieu qui le renvoie sans cesse à ses origines. Romain Roller, le militaire engagé sur les théâtres d'opérations les plus dangereux, se demande, de retour d'Afghanistan, à qui profitent ces guerres et si elles valent les sacrifices humains qu'elles induisent. Quant à Marion Decker, journaliste-écrivain, dont le mariage avec François Vély est assombri par un terrible drame, elle peine à trouver sa place dans un monde auquel ses origines sociales ne l'ont pas préparée et qu'elle cherche à comprendre. Origines ethniques, origines sociales, culture, éducation, appartenances religieuses... pas facile de se forger sa propre identité quand tout nous renvoie à ce que nous sommes censé être.

"Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines, quoi qu'on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité."

La violence est partout, sur les terrains de guerre, bien sûr (quelles pages sur la condition de militaire, sur les réalités du terrain... !) mais surtout dans les rapports sociaux qui régissent le quotidien. Dans les relations intimes comme dans les relations professionnelles. Dans le lynchage médiatique qui peut jaillir d'une simple étincelle. C'est ce que l'auteure nous montre de façon magistrale en démontant les mécanismes qui mènent aux pires excès. Et en nous rappelant que l'on n'échappe pas à ses origines, à son histoire.

La société que nous dépeint Karine Tuil, c'est la nôtre. Complexe, violente, hypocrite, clanique. Derrière les façades qui abritent les lieux de pouvoir, par-delà les discours qui prônent l'intégration et la tolérance, la réalité est toute autre. de quoi donner à réfléchir.

Mais je vous rassure, L'insouciance est un vrai page turner qui puise sa force dans un contexte très documenté et captive par sa structure narrative et ses personnages taillés à la serpe. L'auteure tisse une toile d'une incroyable densité, mêlant histoire d'amour et drame social, contexte politique et destins individuels. On plonge dans ce roman avec un plaisir croissant au fil des pages, on vibre, on se révolte, on s'attache aussi... On veut croire que François Vély est dans le vrai lorsqu'il affirme "J'ai toujours cru en la capacité de l'homme à inventer sa vie, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que tout est figé, imposé". Tout en sachant que ce n'est pas gagné.

Un grand roman, c'est souvent celui qui, à travers le prisme romanesque permet de mieux voir le monde et de le questionner. Un grand roman c'est celui qui vous happe, vous tient en apnée, vous fait lever plus tôt pour retrouver plus vite les personnages quittés à regret la veille. Et vous marque, durablement. Pas de doute, L'insouciance est un grand roman.
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Romain est soldat, il revient d'Afghanistan meurtri et tombe amoureux de Marion, jeune journaliste mariée à un riche entrepreneur. Piégé dans un scandale politico-médiatique, ce dernier sera soutenu par Osman, conseiller à l'Elysée, ayant gravi les marches du pouvoir après avoir été animateur social en banlieue.
Le nouveau roman de Karine Tuil est une plongée dans notre 21ème siècle. L'auteure s'empare des questions qui bousculent et questionnent le monde d'aujourd'hui et la société française en particulier : la guerre contre le terrorisme, la montée de l'antisémitisme, les réseaux sociaux, l'intégration, l'Islam radical.
Karine Tuil aborde avec maestria des sujets douloureux, les malaxe avec talent et s'en sert avec brio. Pour un bon moment de lecture, elle concocte finalement un livre original et dense, écrit avec engagement et fermeté !
J'ai eu un grand plaisir à retrouver Karine Tuil qui m'a procuré mon premier coup de coeur de cette rentrée littéraire.

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Tout d'abord je tiens à remercier vivement Price Minister et son opération « Matches de la rentrée littéraire », ainsi que les Editions Gallimard qui m'ont permis de lire ce roman

C'est le premier roman de Karine Tuil et je suis sous le charme. Cette histoire est très forte, tous les personnages ont été étudiés dans le détail : leurs qualités, leurs défauts, leur zones d'ombre, leurs fragilités….Je me suis attachée à chacun d'eux.

Elle décrit très bien ces soldats qui reviennent de la guerre (quand ils reviennent) avec un syndrome de stress post traumatique, comme Romain, qu'ils ont tendance à ne pas vouloir reconnaître, le déni permettant de rester un soldat qui ne se plaint pas, fait son devoir et refuse toute aide car ce serait de la faiblesse, avec de surcroît, la culpabilité du survivant.

Marion, la journaliste, qui a suivi ce groupe de soldats, a participé au stage de décompression sur une île grecque, comme si passer de l'horreur des bombes, des attentats-suicide, à une île paradisiaque avec tout le confort pouvait les aider en seulement quelques jours. Pour que l'Etat se donne bonne conscience.

L'auteur égratigne au passage la « discrimination positive » pour montrer qu'on peut venir de la banlieue et accéder à de hautes fonctions, et dissèque les états d'âme, le ressenti de ces hommes qui accèdent au pouvoir et à l'ivresse qu'il leur confère, mais peuvent tout perdre parce qu'ils se sont rebiffer à la suite d'une remarque désobligeante. Doit-on en faire encore plus quand on est Noir, qu'on n'a pas fait d'études supérieures et qu'on est sur un siège éjectable en permanence ?

Je pourrais parler de ce roman pendant des heures car tout m'a plu, l'histoire, les vies bouleversées, les souffrances, la situation politique interne et extérieure, la guerre, les otages, la dérive de certains jeunes de banlieue vers la radicalisation, car ils cherchent autre chose pour donner un sens à leur vie et ne se rendent plus compte de ce qui est bien et ce qui est mal.

L'auteure ne caricature pas, elle décrit sans jugement, de façon parfois lapidaire, égratignant les médias, les réseaux sociaux au passage et pose une question importante : peut-on échapper à ses origines, à sa condition sociale ? Mais aussi, à la conséquence de ses actes, n'est-on pas toujours rattrapé par son passé ? (Cf. la loi de causalité dans le bouddhisme).

Et de manière sous-jacente : qu'est ce qui fait notre identité, vous savez ce terme que les politiques conjuguent en l'affublant d'un adjectif : « identité nationale ». On a déjà du mal à se trouver une identité au niveau familial, en se dépêtrant au mieux de l'héritage parental, de l'éducation, il faut maintenant qu'elle soit nationale… on peut lire cette phrase forte : « Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines quoi qu'on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité. »

Karine Tuil nous dresse, au passage, un tableau de la société actuelle et elle a su créer des personnages attachants pour l'illustrer cette société, lui donner vie. Elle a pris soin de se documenter, car les scenarii de vie sont vraiment captivants. 525 pages que j'ai lues de façon addictive, tant l'écriture est rythmée, le style percutant. C'est le livre que je préfère de cette rentrée mais je n'en ai pas lu beaucoup, car depuis deux ans, les livres de la rentrée littéraires me tentent…

Note : 9/10

« les matches de la rentrée littéraire » sur PriceMinister :mot-clé #MRL16
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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Un livre, au format poche, qui détonne sur les présentoirs : pas de rose bonbon pour un titre qui pourtant, promet de l'insouciance. Alors on s'approche et on voit une grenade blanche (tiens !) en forme de coeur (tiens, tiens !) et sur un fond rouge sang. Tiens, tiens, tiens, le livre est dans mes mains !

Il y a donc beaucoup de promesses sur cette couverture, difficile à tenir. D'ailleurs les premières pages m'ont un peu agacée : un niveau de langue très fouillé, accessible mais au-dessus de la moyenne, et puis surtout quatre personnages principaux que l'on suit pas à pas dans leurs vies respectives. Et là je me suis demandé, mais où veut-elle en venir ? la vie c'est très bien, je la connais un peu tout de même, et rien de ce qu'elle décrit ne me surprend vraiment.

Et puis, et puis… ces quatre là, Romain, Osman, Marion et François, ils ne sont pas si inintéressants que cela finalement, au contraire même.
Ce sont des insouciants, ils ont leurs problèmes, se sont parfois battus pour s'en sortir, mais la vie leur sourit, ils prennent tout pour acquis.
Pourtant, parfois tout bascule, il suffit d'un rien, un mot de trop, une photo, l'amour.
Et alors on se passionne pour ce ballet de personnages imparfaits mais humains. Plutôt privilégiés jusqu'à ce que l'épreuve les frappe, ils se retrouvent démunis, étrangers à leur propre vie, stupéfaits par sa violence, loin des promesses de bonheur, où es tu, insouciance ?

Avec eux, c'est notre époque qu'on voit défiler : le pouvoir et son magnétisme, l'argent que l'on vénère, la guerre partout, le sentiment d'abandon dans les cités, l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme, les résidus de colonialisme, toute cette ignorance crasse et ce mépris de classe, de caste, qui gangrène nos vies.
Peut-être rien de nouveau sous le soleil mais ça fait pourtant du bien de le lire, surtout quand c'est aussi bien écrit, sans fards, sans hypocrisie.

Et l'amour dans tout ça ? Et oui cette grenade, elle est bien en forme de coeur, je n'ai pas rêvé. Hélas, il n'échappe pas à l'épreuve du réel, et c'est celui que l'on croise chaque jour, l'amour raison, l'amour ambition, l'amour sexe, l'amour confort, l'amour passion.

De la grenade ou du coeur, qui aura le dernier mot, c'est la vie qui décide, mais le sang ne s'efface jamais tout à fait, et s'il faut vivre, ou survivre, c'est en en gardant les traces indélébiles, celles qui effacent à jamais les derniers reliquats de l'enfance.
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" Tu ne montreras pas tes failles
Tu seras irréprochable
Tu revendiqueras un désir de normalité
Tout en étant exceptionnel ...."

Tout a été dit déjà et pourtant .....
L'auteur dresse un tableau éclairant et riche, puissant de la violence du 21éme siècle à travers quatre portraits fouillés qui embrassent avec habileté , véracité et authenticité les mille et une facettes du pouvoir politique, économique et social du monde contemporain ...
Une sorte de politique fiction bien orchestrée, parfaitement documentée de vies mouvementées :
Romain Roller tout d'abord, lieutenant revenu , ravagé, dévasté d'Afganistan oú il a perdu plusieurs hommes, Marion Decker , journaliste dont il tombe amoureux lors du séjour de décompression à Chypre, mariée à François Vely , entrepreneur puissant , Franco - Américain,un homme influent , et Osmane Diboula fils d'immigrés ivoiriens ancien animateur social, devenu une personnalité politique montante ....
Les personnages attachants, forts seront entraînés dans une spirale brutale qui les obligera à sortir d'eux - mêmes ...
Le coeur de cette fiction est le drame des origines et la question d'identité, le mépris social,et le déterminisme .
Est - on assigné à ses origines quoi que l'on fasse ? Peut - on échapper aux codes sociaux ?

L'auteur mène de main de maître ce récit addictif où les questions identitaires , les castes, les clans , les identités mortiféres se croisent.
Elle disséque au scalpel la psychologie des personnages, donne vie avec force à leurs failles , leurs fissures, les non dits, les états d'âme, les pulsions, les ascensions irrésistibles et les chutes, le mépris de classe, la honte des origines ....la force de l'amour et de la haine ....

Les chemins se croiseront sur fond de guerre, de racisme exacerbé, de terrorisme , de masque social .....d'esquive et de détachement , de fantasmes et de promesses non tenues ....

La plume est superbe, ingénieuse, vive, percutante , tissée de références jutes , un tableau lucide où la puissance des médias côtoie le sentiment d'appartenance ou non.... l'hypocrisie de la société , la religion et le pouvoir, les parcours de vies tumultueux ---- les élites.... les puissants ? et les autres---le monde des invisibles.---- l'interrogation et la radiographie tout au long de l'ouvrage de ce fameux "Vivre Ensemble .".....mais à quel prix?
On vibre, on se révolte, on ne lâche pas cet ouvrage complexe, explosif, actuel qui nous happe jusqu'à la dernière ligne .
J'avais beaucoup aimé " L'invention de nos vies " .


Mais ce n'est que mon avis bien sûr....
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C'est le deuxième roman de Karine Tuil que je lis et j'en ressors, encore une fois, époustouflée par son sens aigu de la psychologie et par sa façon très juste de prendre le pouls de la société.

La société ? D'abord les privilégiés, ceux qui officient entre eux, qui habitent dans des appartements de très haut standing, qui ne savent pas ce que c'est de prendre le métro : « Tu vis dans ton monde, un monde qui se limite à quelques rues dans trois arrondissements parisiens ou artères new-yorkaises, et c'est pourquoi tu n'as toujours pas compris que tu pouvais blesser des gens »
François Vély (dont le grand-père a changé « Lévy » en « Vély » pour ne plus être stigmatisé), un grand patron, baigne dans ce milieu. Il a rendu plusieurs femmes malheureuses et ne s'en soucie guère, ou du moins ne veut-il pas se l'avouer.

Et puis il y a ceux qui font partie des privilégiés tout simplement parce qu'ils côtoient les hommes politiques les plus influents – nous parlons ici du Président - . Osman et sa compagne en font partie, alors qu'Osman vient de Clichy-sous-bois, pas spécialement un quartier huppé, n'est-ce pas !
Mais il est le conseiller du président.

Et enfin il y a les durs, les forts, les héros, les militaires, dont Romain Roller, qui revient d'Afghanistan et des combats inhumains pour « le saut dans le vide, se familiariser avec les insomnies, l'ennui, la grande angoisse de l'inactivité ».

N'oublions pas la jeune, belle, vibrante journaliste-écrivaine : Marion, qui s'est construite à force de volonté et de pensée libre.

Ces quelques personnes vont être dévastées par des annonces, par des rejets, des stigmatisations. La plume de Karin Tuil s'en donne à coeur joie pour décortiquer leurs sentiments : effroi, humiliation, impuissance, tout y passe de façon magistrale. « Les blessures d'humiliation sont les pires. Pourtant, on n'en meurt pas ».
Nos personnages se rencontreront, se lieront, se repousseront, se jalouseront en une partition impitoyable et juste, qui reflète bien la vie telle qu'elle est chez ces gens-là. Et si la société s'en mêle, avec ses fameux réseaux, ses photos copiées, ses éructations violentes, c'est le carnage.

Magnifique ! Leçon de vie, et quelles vies ! Clivages, racisme, sensation d'être une victime…
Noirs, Blancs, Juifs, Musulmans, intellectuels, riches, pauvres, beaux quartiers contre banlieues et cités…quelles vies, quelle compétition perpétuelle, quelle jalousie, quel paternalisme, quel dégoût, quel mépris !
« Tu t'es retrouvé au coeur d'une rivalité malsaine que j'appelle la compétition des peines »

Je terminerai par une phrase qui, pour moi, résume tout le propos de ce roman :
« Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines quoi qu'on fasse. Essaie de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité ».

Karine Tuil, au coeur de l'Homme, au coeur de la Société. J'adore !
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Une belle étude de moeurs.
Romain, militaire de retour d'Afghanistan, rencontre Marion à Chypre, lors d'un séjour de décompression. Elle est reporter, mais surtout l'épouse d'un puissant homme d'affaires, François Vély. Romain y retrouve également Osman, son ancien éducateur, devenu conseiller du Président de la République. Tous vont se recroiser à Paris, au gré des amours, des ambitions et des déconvenues des uns et des autres.

Ce roman m'a fait l'effet d'une comédie humaine des années Sarkozy. Tout en étant plus facile (et agréable !) à lire que Balzac, Karine Tuil dresse avec une justesse acérée le portrait de notre époque, violente et mouvante. Elle épingle notamment le milieu des affaires, la classe politique, et le sort réservé aux soldats envoyés à l'autre bout du monde. Elle pointe également la montée des communautarismes, l'entre-soi des cercles d'influence, les luttes de pouvoir sournoises, et l'éveil du wokisme. Ce n'est pas franchement gai, mais c'est passionnant à lire.
Dans ce marasme, il reste peu de place pour les sentiments. Pourtant, les personnages veulent croire à l'amour, et là encore, l'auteur décrit avec une acuité inouïe le processus amoureux, et le choix réduit qui s'offre entre le désir et la raison. Ce n'est toujours pas gai, mais c'est encore plus passionnant.
A une époque où l'actualité s'accélère et freine toute réflexion, un tel roman propose un recul bien appréciable sur nous-mêmes et notre environnement. Karine Tuil m'a une nouvelle fois impressionnée par sa façon de disséquer la société française et les rapports humains. Je suis également très sensible à son écriture, fluide et "soyeuse", qui file en douceur tout au long des 500 pages.

J'ai donc énormément aimé ce roman, intelligent et d'un grand réalisme, qui confirme tout le bien que je pense de cet auteur.
Et tant pis pour l'insouciance.
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Rien à jeter!
Je referme ce roman contemporain avec regret. Karine Tuil a su me tenir captive avec une fiction magistralement crédible et des personnages modelés dans la glaise et d'un réalisme confondant.
Une alchimie surprenante pour moi, qui sature si régulièrement avec les thématiques de notre actualité quotidienne: pouvoir politique, pouvoir de l'argent, corporatisme, discriminations, inégalités économiques, intégrismes, racisme de peau, de religion, de classe... avec en décor, guerre et terrorisme.

Un grand patron aux casseroles personnelles, un militaire fracassé au retour d'Afghanistan, un jeune politicien noir, en discrimination "positive", rejeté ou/et adulé par le système élitiste "blanc" : trois personnages représentatifs qui constituent la trame en fil rouge. Autour d'eux, toutes les strates sociales cohabitent montrant s'il en était besoin combien notre société est construite de cases non miscibles. Et que le prisme identitaire est la norme, que les déclarations d'intention de mixité sont un leurre. A y regarder de près, c'est "chacun" sur son territoire et tout parle d'exclusion. Nous sommes tous responsables de cet état de fait.

Avec une réelle clairvoyance, une analyse intelligente et éclairée, un propos sans complaisance, l'art d'appuyer là où cela fait mal, l'auteur met en lessiveuse les composantes de la France du XXIème siècle, et en fait une analyse sociale minutieuse.
Ses personnages, décortiqués à l'extrême sont d'une grande densité, comme son écriture généreuse, à la fois ironique et percutante.

Un véritable docu-fiction qui démontre sans ambiguïté la perte de l'innocence et de l'insouciance en un claquement de doigts. Une belle réussite.

Un grand merci pour ce partenariat Price Minister
Matchs de la rentrée littéraire 2016 ( #MRL16) ]
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Un livre d'une rare puissance, à la fois expressive, moraliste et romanesque.

Tout au long des cinq cents pages, j'ai été captivé par l'enchaînement des péripéties, impressionné par la dramaturgie géopolitique dans laquelle elles prennent place, fasciné par la critique de la fresque sociale parisienne plantée comme décor.

Construit comme un thriller, le récit met en scène, à tour de rôle, trois hommes incarnant trois univers différents. Ces hommes – et leurs univers – s'entrecroiseront tout au long du récit et se rejoindront au final dans des circonstances qui s'avèreront tragiques, en tout cas pour l'un d'eux.

Un premier chapitre fracassant. Je l'ai lu le souffle coupé, maxillaires serrés, tous muscles noués. 2009 : retour d'expérience d'opérations en Afghanistan, en compagnie de Romain Roller, un jeune sous-officier des forces françaises. C'est l'un des trois hommes clés de l'intrigue. Prise de conscience de l'extrême sensation de vulnérabilité sur le terrain, de l'incertitude du futur immédiat, de la fragilité des destinées ; violence de la guerre, sordide de la guérilla comme de la lutte anti-guérilla. Envie de vivre, mais comment ? Peur et culpabilité. Stress post-traumatique assuré.

Deuxième personnage : Osman Diboula. Quand on est noir, en France, est-on visible ou invisible ? Pas inutile de faire l'inventaire des opportunités et des menaces. Sans avoir fait d'études, Osman est sorti par le haut d'un rôle d'animateur dans une cité de la banlieue parisienne. Grâce à son entregent et à son sens des bons offices, il a réussi à intégrer un cercle proche du Président – ... un Président parfaitement identifiable ! –. Totalement imprégné du virus de la politique, il est à l'affût du moindre coup médiatique. Mais attention aux embûches !....

François Vély, cinquante ans, richissime homme d'affaires franco-américain. Un charismatique patron du CAC 40, brillant, dominateur, ambitieux. Comme il se doit, grand amateur et collectionneur d'art contemporain. Dans le privé, c'est un homme élégant, subtil, cultivé, courtois, charmeur. Tout pour lui !... Élevé dans la religion catholique. Son père, une personnalité très honorablement connue, était né Paul-Elie Lévy... Rien ne devrait résister à François Vély. Pourtant un drame familial a déjà commencé à entraver sa marche en avant. Et il payera cher une erreur de jugement involontaire.

Ces trois hommes ont une caractéristique commune. Leurs univers – respectivement la guerre, la politique, la finance internationale – les coupent de la réalité du quotidien. Autour d'eux, les femmes sont plus pragmatiques. Elles savent faire la part des choses et prendre leurs responsabilités. Elles observent les événements avec lucidité, et même avec une certaine férocité...

Ainsi en est-il de l'auteure, Karine Tuil. Elle ne pratique pas la langue de bois, ne concède rien au politiquement correct ou à la commisération, ne manifeste aucune complaisance pour aucun bord.

Pas de complaisance envers les jeunes des banlieues qui dérivent vers la délinquance, le communautarisme, la radicalisation et la haine ; ni pour l'hypocrisie des moeurs de la grande bourgeoisie élitiste condescendante, aveugle ou insensible à ce qui se trame hors de ses cénacles.

Pas de complaisance pour les médias et la démesure insensée de leur pouvoir sur les réputations, ni pour les réseaux sociaux et leur diffusion massive de calomnies et de messages de haine.

Pas de complaisance pour les propos racistes ou antisémites, qu'ils proviennent de milieux bourgeois traditionnels ou de communautés frustrées par ce qu'elles qualifient de « deux poids, deux mesures ».

Pas de complaisance non plus pour ceux qui se jettent dans une pratique orthodoxe du judaïsme. Ni envers ceux qui, ayant pris leurs distances avec leur identité, protestent « mais je ne suis pas juif ! » au lieu de dénoncer la nature des insultes antisémites qui les visent... Au fond, retour de l'éternel débat : c'est quoi, être Juif ? Est-ce se considérer comme tel ? Est-ce être considéré comme tel par les autres, juifs ou non-juifs, antisémites ou pas ?...

L'écriture de Karine Tuil s'autorise une certaine liberté syntaxique, dans de longues phrases, au demeurant tout à fait fluides. Une petite préciosité par ci par là : quelques mots inusités, dont le sens se déduit du contexte, ce qui n'empêche donc pas la lecture de L'insouciance d'être accessible à tous.

Dans ce roman riche et complexe qui m'a passionné au point de regretter qu'il s'achève, les personnages masculins ne résistent pas au sentiment de leur culpabilité. L'attitude finale de Marion Decker, le personnage féminin principal, évoque ce que l'on appelle la résilience.

Quand nous survivons aux épreuves, aux violences, aux horreurs, nous restons meurtris, déformés, disloqués. Notre insouciance s'est envolée. Mais nous sommes vivants, ouverts à l'amour. Survivre c'est vivre, tout simplement.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Quelle fresque sociale magistrale!
Pour son dixième roman, "L'insouciance", l'auteure Karine Tuil a réalisé un travail important de documentation, notamment auprès des services de l'Armée, au sujet des soins donnés aux soldats ayant servi en Afghanistan et en Irak et souffrant de stress post-traumatique.
Dans son récit quatre personnages s'entrecroisent: Romain, un lieutenant revenu traumatisé d'Afghanistan après la mort de plusieurs de ses hommes qu'il n'a pu sauver, Marion, une jeune et séduisante journaliste mariée à François Vely, homme d'affaires influent issu d'une famille juive convertie au catholicisme, et Osman, fils d'immigrés ivoiriens, ancien éducateur social en banlieue, interlocuteur au moment des émeutes de 2005 et devenu conseiller du président de la République de droite.
On n'a aucune peine à identifier les personnages réels qui ont inspiré l'auteure ( à tel point qu'on a l'impression que seul le nom de famille a été changé..) L'entourage de l'ancien Président de la République est tellement bien évoqué (sous des noms différents) que l'on a vraiment l'impression de revivre une page de notre histoire.
Ce qui est extrêmement bien rendu dans ce livre et ce qui m'a particulièrement touchée, c'est ce portrait d'une société française marquée par le clivage ou plutôt les clivages raciaux, sociaux, religieux, des communautés qui coexistent sans vraiment communiquer et avec des a priori sur leurs voisins, une société marquée par des formes très accentuées de formatage social, à tel point que cela en devient une caricature, des élites qui ont toutes le même parcours et peu l'occasion de voir "la vie réelle".
Bref c'est un tableau pessimiste et qui nous fait réfléchir.
Le portrait de François Vély, accusé de racisme après avoir posé sur une oeuvre d'art représentant une femme noire accroupie est particulièrement féroce.
Le manager reconnaît cette faute, faute qui peut être interprétée comme un manque de respect envers une communauté, le fait de poser assis sur cette oeuvre d'art particulièrement transgressive, rien n'y fait et un certain public va jusqu'à ressortir les origines juives (et cachées) de ce patron très connu.
Livre sur la fraction sociale, l'identité, la place que chacun cherche à trouver dans une société dure et fractionnée, le sujet est bien maîtrisé et particulièrement d'actualité.
Un monde particulièrement dur se révèle à nos yeux: une société où les marques d'empathie sont bannies, un monde qui fonctionne selon un système clanique.
"On vit une époque particulièrement tourmentée, la violence a contaminé toutes les sphères de la société, y compris la sphère intime", dit Karine Tuil. C'est cette violence généralisée qui est au coeur de "L'insouciance".
Une oeuvre que j'ai trouvé magistrale.
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