Magnifique, mais…
La mise en scène de cet ouvrage se retrouve dans l'excellent ouvrage «
Forbidden » de
Tabitha Suzuma, mais en moins crédible.
Le père passe tous les six mois pour laisser une grosse liasse de billets et s'en va ; un lycée et un collège qui ne demandent pas de contact direct avec les parents ; une fillette de 10 ans qui pense les mêmes mots qu'un grand adolescent en révolte : « j'aimerais bien que Wilfried soit en train de rire avec moi devant le gros pif de cette vieille dame bossue. Si l'institutrice croit que je vais apprendre sa récitation de débiles pour ses beaux yeux… Quelle veine tout de même que cette vieille bique soit malade (ni Malika ni Wilfried n'ont que des mots trop durs pour les vieux)! ».
L'auteur a fait de Malika une enfant surdouée capable d'analyser son entourage avec une finesse extraordinaire pour son âge ; difficile d'imaginer aussi qu'une gamine puisse inviter un inconnu dans un bar, ou qu'elle puisse avec son frère de 15 ans aller négocier tous les meubles précieux de l'appartement avec un antiquaire ; difficile d'expliquer dans un appartement depuis longtemps vidé de la présence d'adultes, la présence de cachets à ce point toxiques que deux seulement suffiraient à faire mourir en quelques minutes le corps adolescent du grand frère s'il voulait en faire usage.
Enfin, Wilfried peut prendre le corps tout fluet de sa jeune soeur en pleurs, la poser dans son lit pour qu'elle s'y console et s'endorme. Que cette gosse, petite donc, encore impubère, au corps immature, puisse désirer des rapports sexuels aboutis laisse un peu perplexe.10 ans pour Malika, c'est peut-être la période où l'auteur a affectivement souffert au paroxysme, mais lui en donner quatre de plus aurait été mieux.
Cependant, on pardonnera volontiers ces invraisemblances tellement l'auteur a magnifiquement rendu les révoltes adolescentes, leurs peurs et leur incompréhension du monde alentour. Elle célèbre les amours d'enfants, leurs tendresses ferventes et authentiques qui sont aussi belles que les nôtres, peut-être même plus car ils ne maîtrisent en rien l'avenir pour assurer leur survivance.
L'élan amoureux de Malika est tel qu'il érode petit à petit les résistances de son grand frère, et l'emmène bientôt par des chemins de haute crête vers le don absolu et mutuel de soi-même. Aux coeurs et aux âmes qui fusionnent, les corps d'eux-mêmes s'invitent à en faire l'écho. « Malika s'est relevée et m'a embrassé sur la tempe, puis dans le cou. Les larmes continuaient à couler de ses yeux, sans bruit, comme des petites perles. Tout se brouilla... qui m'embrassait et enlevait mes vêtements peu à peu avec une naïveté et une innocence que je ne lui avais jamais connu ». Dès lors, la complicité et l'empathie totale font que « il n'y avait rien à dire. Les paroles, elles n'étaient pas à leur place entre nous. Il n'y avait que des sourires. Voilà. Oui, on se parlait en sourires, c'était vraiment mieux que des mots ». Désormais, Wilfried ne craint plus d'emmener lui-même sa jeune soeur dans ces lieux de ferveurs incandescentes, puisque elle l'y avait invité précédemment .
Valérie Valère évoque l'union physique avec une poésie et une immense pudeur. « Je me lève et je l'embrasse sur les lèvres, elle a des lèvres si douces, je passe ma main sous ses cheveux, la glisse dans son cou… Un frisson sur sa peau, une tendresse dans son regard, une autre façon de demander, une autre façon de remercier… Une autre façon d'aimer. Et puis, tout s'en va et tout revient, la ronde folle commence et n'arrête plus de tourner, les visages se brouillent, les corps se mêlent, je ne sais plus qui je suis mais ça n'a pas d'importance, il y a un merveilleux paysage imaginaire illuminé de soleil et un visage irréel auréolé de lumière ».
Hélas, leur île d'amour flotte sur le dégoût viscéral et réciproque du monde qui l'entoure. Difficile d'imaginer une fin heureuse pour ces tendresses illicites qui, puisque authentiques, ne retirent rien à personne, mais que refuse un monde trop normatif.
Superbe.