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Critique de jlvlivres


César Vallejo, de son nom complet César Abraham Vallejo Mendoza, est un poète péruvien (1892-1938), peut-être même le plus grand poète sud-américain.
« Poèmes humains » suivis de « Espagne, écarte de moi ce calice », traduits par François Maspero, (2011, le Seuil, La Librairie du XXIe siècle », 420 p.) vient avec une préface de Jorge Semprun.
Natif de Santiago de Chuco, dans le centre du pays, mais à 3500 m d'altitude, c'est un « cholo », métis de descendants d'espagnols blancs et d'indiens, ses grands-mères étant des Indiennes Chimu. Dernier d'une famille de onze enfants, on le destine tout d'abord à être prêtre. « J'étais le plus jeune de onze enfants et j'ai grandi dans une maison saturée de dévotion religieuse ». Mais cela ne lui convient pas. Il doit travailler pour payer ses études. « Entre 1908 et 1913, j'ai démarré et arrêté plusieurs fois mes études collégiales, dans le même temps de travail en tant que tuteur et dans le département des comptes sur une grande plantation de sucre. A la plantation de sucre, j'ai vu des milliers de travailleurs arrivant dans la cour à l'aube pour travailler dans les champs jusqu'à la nuit pour quelques cents par jour et une poignée de riz ». Il poursuit ses études, malgré son manque d'argent. Mais il gardera de cette période le souvenir d'une population illettrée, exploitée par des bourgeois plus vénaux que travailleurs. Il en tirera « Tungstène », récit des mines du métal du même nom.
Il quitte l'Ecole de Médecine et ses études pour soutenir une thèse sur « le romantisme dans la poésie castillane ». Il commence à écrire des poèmes qu'il publie en 1919 sous le titre « Les Hérauts noirs ». Puis, il va être arrêté injustement à Trujillo, pour être intervenu dans un conflit. Cet épisode le marque à jamais.il arrive à Paris le vendredi 13 juillet 1923, sans un sou. « S'il pleuvait cette nuit, je me retirerais à mille ans d'ici ». C'est là qu'il va écrire « Poèmes Humains » suivis de « Espagne, écarte de moi ce calice ». Une cinquantaine de poèmes pour la période 1923-1937 et une cinquantaine d'autres entre septembre et décembre 1937. Une quinzaine d'autres poèmes forment le recueil « Espagne, écarte de moi ce calice ».
Entre temps, il poursuit son engagement militant avec sa participation au Congrès International des écrivains solidaires avec le régime soviétique. Pourtant il se méfie de « l'effet Potemkine », ce ministre de Catherine II, dite la « Grande Catherine » qui n'hésitait pas à faire construire des villages factices, façon décors de théâtre, sur le parcours de l'impératrice, pour lui montrer le bonheur des campagnes russes. Sacré Gregori Potemkine, qui ajoutait même parfois des feux d'artifice, comme lors d'un voyage en Crimée en 1787. « On a déjà répandu le conte ridicule qu'on faisait transporter sur notre route des villages de carton de cent lieues à la ronde ; que les vaisseaux et les canons étaient en peinture, la cavalerie sans chevaux, etc. » comme le rapporte Charles-Joseph Lamoral, prince de Ligne. Plus tard, l'« Intourist » et ses homologues sous Staline, disposaient d'hôtels, de villages de vacances, de restaurants, de boutiques « beriojki » et de wagons de chemin de fer confortables, propres. Dans ces hôtels, le chauffage, les ascenseurs et l'eau courante, chaude et froide, fonctionnaient correctement. Ils étaient réservés à une clientèle particulière et à la « nomenklatura », laquelle veillait à éviter les contacts des touristes avec la population ordinaire. Cette dernière ne se plaignait pas non plus, sous peine d'être considéré comme de la « propagande contre-révolutionnaire ».
André Gide se souviendra de son voyage en URSS. Avec Jef Last, Pierre Herbart, Louis Guilloux, Eugène Dabit, ils participent à la joyeuse équipée. Ils arrivent à Moscou quatre jours avant les funérailles de Maxime Gorki. en 1936. Suprême honneur, André Gide prononce un éloge funèbre de l'écrivain officiel du régime, le 18 juin sur la place Rouge. Ce n'est pas encore l'appel. Mais dans les jours qui suivent, c'est la grande désillusion. le « Retour de l'U.R.S.S. » suivra (1937, Gallimard, 124 p.). « Que le peuple des travailleurs comprenne qu'il est dupé par les communistes, comme ceux-ci le sont aujourd'hui par Moscou ». C'est sans appel, malgré la date du discours sur la Place Rouge.
Sa vie reste attachée au service de la lutte populaire, véritable « agonie » collective à laquelle César Vallejo identifia la sienne propre. Il y mêle un vocabulaire et des symboles chrétiens pour exprimer la douleur humaine. On peut aussi invoquer les recours de l'écrivain aux symboles de la Passion qui reviennent souvent comme la crucifixion, les épines, le bon et le mauvais voleur, le calice. On peut citer aussi ses poèmes dédiés aux mineurs péruviens, symboles d'une humanité supérieure dont la dialectique est déchirante « saben... / bajar mirando para arriba, / saben subir mirando para abajo » (Ils savent... / descendre en regardant en haut, / ils savent monter en regardant en bas ». Les critiques parlent d'« humanisme chrétien » à propos de « Poemas humanos ».

Les « Poèmes humains » sont des poèmes de l'exil, écrits de 1923 à 1937. Ils correspondent aux conséquences de son arrestation et emprisonnement à tort à Trujillo. Il reste sous la menace d'un procès, ce qui lui vaudra des ennuis, même après son expulsion en France. « J'ai abhorré cette vie. Je voudrais partir de là, échapper à tout, ne rien effleurer ni être effleurer par rien, n'être en aucun endroit, n'être avec rien ». Parti pour l'Europe, il ne reviendra jamais au Pérou.
A Paris, il arrive un vendredi 13 sans un sou, il a perdu la plupart de ses amis. « Ils sont tous morts // […] Mort, un vieux borgne, j'ai oublié son nom, mais il dormait au soleil du matin, assis devant la porte de la quincaillerie du coin // […] Morte, mon éternité et je suis là, qui la veille. ». Il tombe malade des poumons et est soigné à l'hôpital, et apprend, de plus, la mort de son père. « Ce n'est pas plaisant de mourir, monsieur, si l'on ne laisse rien dans la vie et si rien n'est possible dans la mort, sauf ce qu'on laisse dans la vie ! / Ce n'est pas plaisant de mourir, monsieur, si l'on ne laisse rien dans la vie et si rien n'est possible dans la mort, sauf ce qu'on laisse dans la vie ! / Ce n'est pas plaisant de mourir, monsieur, si l'on ne laisse rien dans la vie et si rien n'est possible dans la mort, sauf ce qu'on a pu laisser dans la vie ! ». Un très dur moment de sa vie.
Au fond il n'a jamais eu vraiment de chance. « Je suis né un jour / où Dieu était malade. / Tous savent que je vis, / que je suis mauvais : mais ils ne savent rien / du décembre de ce janvier. // Car je suis né / un jour où Dieu était malade. / Il est un vide / dans mon air métaphysique / que personne ne palpera : / le cloître d'un silence / qui parla à fleur de feu. // […] Je suis né un jour / où Dieu était malade, / gravement. » publie t'il dans « Les Hérauts noirs ». Et pour sa mort ce sera « Pierre Noire sur une Pierre Blanche » dans « Poèmes Humains ». « Je mourrai à Paris par un jour de pluie / un jour dont j'ai un jour déjà le souvenir. / Je mourrai à Paris - je n'en ai pas honte – / peut-être un jeudi d'automne, comme aujourd'hui. // Ce sera un jeudi, car aujourd'hui, jeudi / que je prose ces vers, mes os me font tant souffrir / et de tout mon chemin, jamais comme aujourd'hui, / je n'avais su voir à quel point je suis seul ».

En 1927, il publie cependant « Contre le secret professionnel » et intervient au Congrès des Ecrivains Antifascistes de Madrid. Il y définit sa conception de de l'art poétique. Il y attaque tous les écrivains sud-américains de sa génération. de Jorge Luis Borges, à Gabriela Mistral. Il concrétise son manifeste en sept points. « Nouvelle orthographe, nouvelle calligraphie du poème, nouveaux éléments, nouvelle machine à faire des images, nouvelles images, nouvelle conscience cosmogénique, nouvelle conscience politique et économique ». Et il développe en citant ses amis. « J'accuse donc ma génération de poursuivre les mêmes méthodes de plagiat et de rhétorique que les générations passées qu'elles prétendent renier ».
« Les responsables de ce qui se passe dans le monde, c'est nous, les écrivains, parce que nous possédons une arme formidable, qui est le verbe ». Ce qui suppose, et là, il accuse les autres auteurs sud-américains, de ne pas se servir de leurs écrits pour dénoncer ces inégalités. « Dans la majorité des cas, noud les écrivains, nous ne sommes pas héroïques, nous n'avons pas l'esprit de sacrifice ». Et il en appelle aux paroles du Christ « mon royaume est de ce monde, mais il est aussi de l'autre ».
Il se radicalise et voyage, notamment en Union Soviétique. Ce qui lui vaut de nouveaux ennuis. Il est expulsé de France, va en Espagne et écrit « Tungstène » sur la vie des mineurs et des indiens, le plus souvent analphabètes, au Pérou.
Puis survient la guerre d'Espagne.

« Espagne, écarte de moi ce calice » est constitué de 15 poèmes écrits à partir de 1937, de fait entre le 03 septembre et 10 novembre 1937.
Après la proclamation de la IIe République (1931), les tensions entre Espagnols culminent avec l'insurrection des Asturies (1934) et les troubles civils du printemps 1936, après la victoire électorale contestée du « Frente Popular ». le soulèvement militaire et civil du camp nationaliste débute le18 juillet 1936 et signe le début de la guerre. Celle-ci se termine par la victoire des nationalistes qui établiront l'« État espagnol », dictature de 36 ans, dirigée par Franco avec le titre de « Caudillo ». La transition démocratique n'intervient qu'à la suite de la mort de Franco en novembre 1975. La guerre civile d'Espagne est le prélude et sert de répétition pour la seconde guerre qui débute le 01 septembre 1939.
Début octobre 1936, Franco envoie ses troupes au sud, vers Tolède, afin de laisser à Madrid d'organiser la défense que les nationalistes atteignent en novembre 1936. C'est une défense acharnée, rue par rue avec le slogan de la Pasionaria, « ¡No pasarán ! »). Autour de la capitale s'organisent les batailles du Jarama et de Guadalajara en février-mars 1937. le front reprend dans le Pays basque et les Asturies, avec une campagne autour de Bilbao, entourée par d'une « Ceinture de Fer ». En août, les combats se déplacent vers Santander, puis, fin 1937 le combat pour Teruel avec des conditions très rudes en raison du grand froid. Par la suite, il y aura la bataille de l'Èbre (juillet 1938) avec des pertes importantes du côté républicain. le sort du conflit est alors scellé : la Catalogne tombe février 1939, puis Madrid. À Madrid, près de 15 000 personnes auraient été fusillées. de même à Paracuellos et Torrejón de Ardoz, à Malaga. À partir de mars 1937, les victimes des massacres des républicains vont davantage concerner le camp républicain lui-même.
Aux côtés des républicains, des volontaires venus du monde entier, souvent communistes, marxistes, socialistes ou anarchistes, mais aussi des anti-fascistes plus modérés, se sont engagés sous le nom de Brigades internationales. Environ quarante mille étrangers, venus de 53 pays différent. En particulier, ils forment le Brigade Abraham Lincoln, et la colonne Durruti dans laquelle s'engage Simone Weil.

On pourra lire avec intérêt, car c'est très bien écrit, les 6 tomes de « le Labyrinthe Magique », (2009-2011, Les Fondeurs de Briques, 2270 p.), en tout, soit 19 cm, avec des couvertures en trois couleurs, rouge, or et violet, aux couleurs du drapeau de la 2eme république espagnole. Par la suite, Max Aub participe au tournage de « Sierra de Terruel » avec André Malraux. On peut critiquer le film qui était bien un film de propagande, mais il va faire que Max Aub change sa forme d'écriture en adaptant les procédés du cinéma.
Dans le sixième tome « Campo de los Almendros » il y a cette question à propos de « Guernica », à savoir qui, du cheval ou du taureau, représente la République et les fascistes. « Picasso n'a jamais répondu à la question de Juan Larrea : qu'est-ce qui représente le fascisme dans « Guernica », le cheval ou le taureau ?». La réponse et simple, et comme il est dit plus loin « lui-même ne le sait pas et il s'en fiche ». Pas forcément, on dira plutôt « Il sait la réponse si évidente qu'il s'en fiche ».
Le bombardement de Guernica par les avions de la légion Condor allemande et par l'Aviation Légionnaire italienne a lieu le lundi 26 avril 1937, un jour de marché. Max Aub, alors attaché culturel de l'ambassade d'Espagne à Paris, lui commande, pour le compte du gouvernement républicain, un « mural » pour le futur pavillon espagnol de l'Exposition universelle qui doit ouvrir à Paris, de mai à novembre. Picasso travaille nuit et jour pendant un mois, sous le regard de la photographe Dora Maar, sa compagne d'alors. Ce sera « Guernica », toile en noir, gris et blanc de 7 mètres de long, qui est maintenant exposée au Museo Reina Sofia à Madrid. Il faut aller la voir et rendre hommage à Pablo Picasso.
On distingue deux groupes dans la composition pyramidale. L'un est composé de trois animaux : le taureau, le cheval blessé et l'oiseau ailé en arrière-plan à gauche. le second groupe comprend les êtres humains : un soldat mort et des femmes. L'une en haut à droite tient une lampe et se penche à la fenêtre ; la mère à gauche pleure en tenant son enfant mort. Celle de droite coure et se précipite. Et enfin celle tout en haut à droite qui crie vers le ciel, les bras levés alors que sa maison brûle derrière elle. Picasso explicite sa toile ainsi : « Ce taureau est un taureau et ce cheval est un cheval. Si vous attribuez une interprétation à certains éléments de mes peintures, il se peut que cela soit tout à fait juste, mais je ne souhaite pas livrer cette interprétation ». Michel Leiris, le poète la commente ainsi, bouleversé par « quelque chose d'inoubliablement beau. Picasso nous envoie notre lettre de deuil : tout ce que nous aimons va mourir ».
« Espagne, écarte de moi ce calice » commence avec un long poème d'environ 170 vers intitulé « Hymne aux volontaires de la République ». Par la suite, les poèmes sont plus courts. Mais d'emblée, César Valléjo rend hommage aux combattants de l'Estramadure, puis de Talavera, Guernica bien sûr, « A Madrid, à Bilbao, à Santander / les cimetières ont été bombardés / et les morts immortels des tombes, / les os toujours en veille et l'épaule éternelle, / les morts immortels, en sentant, en voyant, en entendant / si infâme le mal, si morts les vils agresseurs / […] / ils ont cessé de pleurer, ils ont cessé / d'espérer, ils ont fini / de souffrir, ils ont fini / de vivre, ils ont fini, enfin, d'être mortels ! » et le poème se termine sur « Malaga qu'aujourd'hui je pleure ! / Malaga que je pleure et pleure encore ! »
« La voilà qui passe ! Appelez là ! C'est son flanc ! / La voilà, la mort, qui passe à Irun : / ses pas d'accordéon, des obscénités, / son mètre du suaire que je t'ai dit, / son gramme de ce poids que j'ai tu… oui, ce sont eux ! ». Voilà pour « L'image espagnole de la mort ». ou encore « le roulement de tambours funèbre sur les décombres de Durango » avec son refrain qui revient « Père cendre qui montes de l'Espagne » et qui revient « Père cendre qui t'élèves du feu », « Père cendre, arrière-petit-fils de la fumée » et qui se termine « père cendre, Espagnol, notre père // Père cendre qui vas vers l'avenir / que Dieu te sauve, te guide et donne des ailes, / Père cendre qui vas vers l'avenir ».
On retiendra de César Vallejo son obsession pour son pays. On rapporte que ses dernières paroles sont « España, me voy a España ». C'est plus significatif que le fait qu'il soit mort un Vendredi Saint de 1937, malgré son attachement au fait religieux. Il y bien sûr ses « Poèmes Humains », mais surtout ceux sur la guerre d'Espagne.
Il sera enterré au cimetière Montparnasse. Sur sa tombe, Georgette Valllejo afait graver. « J'ai tant neigé pour que tu dormes ».
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