L'enfant/
Jules Vallès
C'est en 1876 que
Jules Vallès alors âgé de 44 ans, en exil à Londres, commença la rédaction de ce qui allait être une trilogie intitulée « Jacques Vingtras » : L'enfant, le Bachelier, L'insurgé. Trois volumes dont le premier est ici en question.
En exil car il avait été condamné le 4 juillet 1872 à mort par contumace pour l'incendie présumé d'un immeuble à Paris en 1870. Il avait été arrêté en août 1870 pour avoir manifesté contre le régime impérial, puis libéré. En octobre il s'était joint à l'insurrection contre la Défense Nationale à l'annonce de la défaite de Sedan. Impliqué dans l'insurrection de la Commune dès mars 1871 et sachant en danger il fuit par la suite en Angleterre. Et il écrit…
La quatrième de couverture résume toute la détresse de Jacques, le héros de ce récit autobiographique :
« À tous ceux qui crevèrent d'ennui au collège ou qu'on fit pleurer dans la famille, qui pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents, je dédie ce livre. » Signé :
Jules Vallès.
Dans un style non dépourvu d'humour, de subtilité et de sensibilité, Vallès nous conte cette enfance martyre qu'il a connu et il sait le faire avec les mots qui conviennent : son style est évolutif en fonction de l'âge. de simples dans l'enfance les mots deviennent plus chargés de rancoeur à l'adolescence.
Fils de professeur de collège et d'une paysanne,
Jules Vallès, encore enfant en 1840 raconte :
« Ma mère dit qu'il ne faut pas gâter les enfants et elle me fouette tous les matins. Quand elle n'a pas le temps le matin, c'est pour midi et rarement plus tard que quatre heures… Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce une paysanne qui m'a donné son lait ? Je n'en sais rien. Quel que soit le sein que j'ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j'étais tout petit : je n'ai pas été dorloté, tapoté, baisotté ; j'ai été beaucoup fouetté"
Il convient de lire au second degré bien souvent ce que Vallès exprime.
« Il faut bien avouer que ma mère est logique. Si on bat les enfants, c'est pour leur bien, pour qu'ils se souviennent, au moment de faire une faute, qu'ils auront les cheveux tirés, les oreilles en sang, qu'ils souffriront, quoi !...Je suis tombé sur une mère qui a du bon sens, de la méthode….J'ai été jusqu'ici le tambour sur lequel ma mère a battu, elle a essayé sur moi des roulées, et des étoffes, elle m'a travaillé dans tous les sens, pincé, balafré, tamponné, bourré, souffleté, frotté, cardé et tanné…Je sentais bien que cela faisait plaisir à ma mère de me faire du mal ; qu'elle avait besoin de mouvement et pouvait se payer de la gymnastique sans aller au gymnase…Je ne connaissais que le calus de ses doigts, l'acier de ses yeux et le vinaigre de sa voix… »
Cette mère bornée, vulgaire, d'extraction modeste et qui veut prendre l'ascenseur social et paraître, est une femme méchante animée de pulsions sadiques et Jacques quoique le premier de la classe subit les remontrances et les coups sans broncher. Une sorte de jalousie anime cette mégère irascible.
Père et mère sont des êtres complexés de par leurs origines sociales et des tortionnaires névrosés.
À la suite d'un différent conjugal, son père qui jusque là était loin d'égaler sa mère dans sa rage contre Jacques en étant plutôt lâche, devient acariâtre et se met à le frapper également.
« J'aurais été un ange qu'on m'aurait rossé aussi bien en m'arrachant les plumes des ailes, car j'avais résolu de me raidir contre le supplice, et, comme je dévorais mes larmes et cachais mes douleurs, la fureur de mon père allait jusqu'à l'écume…De temps en temps, ils se raccommodent et me battent tous les deux à la fois ! »
Tout au long de ce calvaire, Jacques pourtant conserve du respect et de la gratitude pour ses parents et continue de bien étudier.
Jusqu'au jour où devenu un jeune homme, Jacques annonce à sa mère venue lui rendre visite à Paris où il étudie qu'il n'aime pas ses parents et ne veut plus les voir. Et il regrette aussitôt ses paroles quand il voit les larmes de sa mère…Un face à face pathétique entre mère et fils.
La frustration de Jacques se situe à tous les étages de sa vie et cette persécution explique sans doute que
Jules Vallès se révoltera contre l'ordre établi et l'interdit en devenant un insurgé lors de la Commune de Paris en 1871.
Le ton des dernières pages du livre exhale un parfum de révolte totale après la lecture d'ouvrages historiques révolutionnaires et l'exaltation de Jacques face à la misère du peuple et l'injustice dont est victime le monde ouvrier fait de lui un futur militant motivé et décidé.
Un récit poignant et sombre de 400 pages de violences morales et physiques.