Même ses gâteaux préférés ont un arrière-goût de périmé. Ce doit avoir ce goût-là, la tristesse.
Françoise reste silencieuse: elle n'est pas d'accord avec sa mère. Si l'on continue d'éduquer les fillettes ainsi, on fabrique une nouvelle génération d'inégalité, avec la ménagère d'un côté et M. Tout-Puissant de l'autre.
Après plus de quatre semaines de silence, d'absence, retour à la case départ... A la case orphelin, en un sens. Comme au Monopoly : aller directement en prison sans toucher vos 20 000 francs. Et passez votre tour ! Jean ne le sait pas encore, mais c'est ce jour-là que sa vraie vie d'homme a commencé : quand il a cru, pour la dernière fois, ce que lui disaient les adultes.
C'est comme ça. Ceux que tu aimes le plus vont et viennent, repartent et reviennent, en prenant un bout de ton coeur à chaque fois.
Quand l'heure est au linge que l'on replie, aux billets de train qui se rangent pour apprivoiser le chemin du retour, Jean enchaîne les soupirs, appuie son regard sur chacun, comme pour immortaliser un moment où il a été heureux, vraiment heureux.
La jeune mère claque la porte derrière elle et repart. Lui reste, seul, chez sa grand-mère.
Pour l'été. Pour toujours.
Jean ne le sait pas encore, mais, ce jour de juillet 1968, sa nouvelle vie commence.
Jean a la vie dont il rêvait, la meilleure vie possible, compte tenu des circonstances. Mieux vaut tard que jamais, penseront certains. Comme au bon vieux temps, aurait dit Mémé Lucette.
Des Noëls comme ça, il n'en souhaite à personne !
En relisant "Chers parents", "je suis content", "je pense à vous", Jean hallucine. Comment a-t-il bien pu accepter d'écrire ces mots auxquels il ne croit pas ? Gaston n'est pas - et ne sera jamais - un père pour lui. Il s'en fait la promesse.
En parcourant les quelques lignes, Jean découvre les joies de la gueule de bois. Il a dessoûlé aussi vite qu'il a attendu ce courrier des siècles.