J'étais un peu inquiet avant d'attaquer ce roman, vu les critiques dévastatrices que l'on trouve sur Babelio (non, pas toi Pavlik :) ). Partant avec un mauvais apriori, j'ai finalement été agréablement surpris : nous avons là un Vance SF pur jus, combinant un goût agréablement acide à des pépins difficiles à digérer si l'on n'a pas l'estomac solide.
Sur Aerlith, planète dominée par les humains mais complètement isolée, on s'est fait une spécialité d'élever pour la guerre des bestioles que l'on appelle des Dragons mais qui n'ont en fait rien à voir avec les beaux animaux de nos romans fantasy. Pourquoi on fait ça, alors que le marché du dragon n'est pas très développé ? Ça n'est pas très clair. Mais on le fait. Peut-être justement parce que, lorsque l'étoile Coralyne approche, reviennent les razzias des extraterrestres Basiques accompagnés de leurs humains modifiés. Auquel cas, on est sur une ligne scénaristique similaire à celle de la splendide Balade de Pern de Ann
McCaffrey (la comparaison s'arrête là, la poésie de Pern l'emportant de cent coudées sur ce court roman).
Hormis l'élevage des Dragons, la principale activité des éleveurs est de se faire la guerre, en opposant ses bataillons de bestioles à ceux du voisin. Ervis Carcolo et Joaz Banbeck sont ennemis héréditaires et chacun aimerait bien voir l'autre mordre la poussière une bonne fois pour toutes. Mais Banbeck a une vue à plus long terme : il sait que les Basiques reviendront et que, ce jour-là, il faudra être prêt à les recevoir. Il s'intéresse donc tout particulièrement à une race d'hommes quasi légendaire – les Sacerdotes -, au savoir réputé immense mais avec qui la communication est extrêmement difficile.
Le principal intérêt que j'ai trouvé à ce roman est, comme souvent chez Vance, le soin apporté à l'étrangeté de ses groupes sociaux : les extraterrestres Basiques et les hommes évolués nommés Sacerdotes. Les discussions entre les Banbeck et les représentants de ces deux groupes ressemblent à des dialogues de sourds. Ils sont fastidieux et la compréhension progresse lentement, avec beaucoup de frustration. Et pourtant, tout le monde utilise le français (dans la traduction). Vance est allé beaucoup plus loin dans l'idée du langage intriqué avec une conception du monde (voire la modelant) que dans
Les Langages de Pao.
Bien sûr les personnages principaux ne sont pas des modèles romantiques que l'on peut trouver touchant. Carcolo et Banbeck sont intelligents, ils savent éprouver la haine et le mépris, mais ils se rendent difficilement attachants. le dédain avec lequel Joaz Babeck traite la seule femme du roman est à mon avis superflu.
Les bisbilles entre les deux éleveurs sont aussi d'un intérêt limité. de nombreuses pages sont chargées de batailles tactiques entre escadrons de Dragons qui m'ont laissé assez froid. Je n'avais qu'une hâte, revenir à la communication avec les sacerdotes et au danger représenté par les Basiques.
J'approuve Pavlik quand il dit que cet univers aurait bénéficié à être un peu plus développé. Il reste cependant un bout de tissu qui ne détonne pas dans le patchwork de civilisations déployé par Vance.
Une remarque finale : cette critique se réfère à la version du roman que l'on trouve dans l'omnibus «
Les Maîtres des Dragons et Autres Aventures » publié chez Denoël. La traduction y a largement été remaniée.