Bienvenue sur Pao ! le monde du consensus mou, de la réforme à petite dose et de la résistance passive. Quand le paonnais n'est pas content il ne manifeste pas bruyamment, non, il fait le dos rond, met de la mauvaise volonté à son travail, ne paye plus ses impôts et attend que ça passe. Imaginez 15 milliards de personnes agissant de la sorte...Aiello le sait bien, lui qui est Panarque, que le paonnais ne doit pas être bousculé. Mais en coulisse Bustamonte, l'Ayudor (une sorte de premier ministre) complote et rêve devant le miroir, le matin en se rasant : "Moi Panarque..." Finalement, il finit par assassiner Aiello et prend le pouvoir. Béran, héritier légitime, âgé de 9 ans, doit s'enfuir sur la planète Frakha où demeure l'Institut des Sorciers de Frakha : individualistes, avides de savoir, mégalomanes, fins stratèges portés sur les sciences et agrémentés de diverses augmentations tels le laser qui jaillit du doigt, les perceptions décuplés, la capacité de voler...Le seigneur Palafox, un des plus puissants "dominies" de l'Institut, prend Béran sous son aile, on ne sait jamais, un héritier légitime ça peut toujours servir, et entreprend de l'éduquer. Parallèlement Bustamonte, qui s'est auto-proclamé Panarque, doit faire face aux tribus exorbitant réclamés par les Brumbos de la planète Batmarsh, sorte de barbares de l'espace qui, contrairement aux paonnais, sont experts dans l'art de la guerre. Il demande alors de l'aide à Palafox qui conçoit un plan très ambitieux basé sur l'idée qu'un esprit humain, et plus largement un peuple, est conditionné par sa langue. Si la langue paonnaise ne permet pas à la population d'avoir l'esprit guerrier, alors il faut en créer une nouvelle...
J'ai globalement apprécié ce court roman de Vance, je peux même dire que c'est celui que j'ai préféré depuis que j'ai débuté le challenge
Jack Vance. Je trouve qu'il réussit à donner une identité forte et une vrai couleur au peuple paonnais, ainsi qu'aux dominies de Frakha. Ce sont ici les hommes qui sont auscultés et non la planète. Certes, l'idée que les catégories de langages détermine le fonctionnement des facultés mentales de l'homme (l'hypothèse de Sapir-Whorf, dixit Walktapus) est le prétexte de cette histoire mais elle ne me semble, finalement, que secondaire, par rapport aux questions d'ordre sociales, politiques, voir philosophiques que soulève le récit. Qu'est-ce qui fonde l'identité nationale et l'unité d'un peuple ? Quels modes de gouvernance sont les plus appropriés pour faire évoluer une société sans heurts, si tant est que cela est possible ? Qu'est-ce qui légitime le pouvoir ? Est-ce la tradition ou la compétence ? La notion de classe sociale, voir de caste, est aussi questionnée, à travers les groupes spécialisés que Palafox cherchent à mettre en place. le pacifisme est-il une utopie ? A la lecture du livre, il semble bien que la réponse est oui. Finalement, les stricts questions de linguistique et de psychologie n'ont que secondairement fait écho chez moi.
La confrontation entre Béran et Palafox me semble être le fil conducteur de l'histoire et c'est vraiment deux visions qui s'affrontent. Ce duel m'est apparu plutôt bien mis en scène. Un mot, pour finir, sur la misogynie, souvent présente, a priori, dans l'oeuvre de Vance. Elle apparait dans ce roman moins évidente, Béran finissant, à la longue, par s'émouvoir de la marchandisation des femmes culturellement admise par Frakha et Palafox.
L'ambition ultime de ce dernier démontrera la folie de son projet et il restera, pour moi, comme un personnage fort. Certes, un style plus ambitieux et un background davantage développé aurait pu faire des "Langages de Pao" une grande oeuvre de sf mais je ne boude pas mon plaisir quand celle-ci, en plus de distraire, ambitionne de nous faire réfléchir.
Note : 3,5/5