Challenge
Jack Vance : épisode 1
Une déception que ce retour aux univers de
Jack Vance… (la deuxième après "Throy") Où est passé l'auteur qui m'a émerveilla avec son cycle de "Lyonesse" ? J'ai trouvé dans ce livre écrit en 1951 les mêmes défauts que le dernier tome de "Cadwal" écrit en 1992. du coup, je ne sais pas trop quoi en penser… vieillot ou novateur ???
Après une très courte phase de présentation des protagonistes, suite à un sabotage de leur navette l'auteur américain fait crasher les personnages sur
la Planète Géante. J'ai cru que la mise en place était boiteuse et nébuleuse, mais arrivé à la fin je l'ai relue, et finalement… SPOILER ^^
La Planète Géante est un exoplanète dont le diamètre est plus de trois fois celui de notre
bonne vieille Terre, mais en raison de la faiblesse en éléments métallique de son noyau, elle présente une gravité similaire. du coup la rareté des métaux a obligé les habitants à revenir à un niveau technologique pré Révolution Industrielle, du coup le worldbuilding oscille entre science-fiction et fantasy, les métaux étant la richesse la plus recherchée des locaux et la base de toutes les économies locales.
L'auteur se fait clairement plaisir, mais on alterne mais aussi des descriptions zoologiques d'animaux qu'on ne verra jamais, botaniques de végétaux qu'on ne verra jamais et anthropologiques de peuples qu'on ne verra jamais… Mais on retrouve de temps le génie de l'auteur qui n'a besoin que de quelques phrases pour nous embarqué dans ses univers science-fantasy baroques et colorés (même si n'ai jamais pu prendre au sérieux les méchants pas beaux venant du Beaujolais dirigés par le Barjanum),
Claude Glystra, Pianza, Cloyville, Ketch, Bishop, Darrot, les mécaniciens Corbus et Valluna ainsi que l'indigène Nancy, qui s'est entiché du leader des naufragés, doivent mener un trek de 65000 kilomètres pour rejoindre l'enclave terrienne. On est à pied, on va devoir faire face à la rudesse des locaux, de la faune, de la flore, du relief et du climat… Mais on ne doute jamais de rien, même avec les sbires de Charles Lysidder aux trousses et des traîtres au sein de la troupe !
D'ailleurs les enjeux ne sont pas clairs du tout : c'est en cours de route et indirectement qu'on nous expose, puis on n'en parlera plus jamais avant la fin… Alors si j'ai bien compris le Central Terrien a envoyé une commission, composé de cadors genre comme dans les Mission Impossible de la belle époque, renverser un tyran stalinienne qui souhaite unifier
la Planète Géante qui se trouve en dehors de la juridiction terrienne (un peu comme le Tiers Monde dans la 2e partie du XXe siècle… ^^). Car par rapports à ses prédécesseurs et ses rivaux Charles Lysidder tirent grandement avantage des métaux et des armes qu'il obtient en fournissant les nababs de la galaxie en milliers d'esclaves corvéables à merci...
On suit donc une suite de péripéties pulpiennes qui devaient bien passer à l'époque avec une publication en épisodes, mais qui aujourd'hui à lire d'une traite n'est ni très cohérente, ni très intéressante : les poursuivants, les traîtres, Heinzelman le Fléau, le griamrobot des Magiqueurs, la tyrolienne de Wittchatch, le Paradoxe de Kirstendale… Je dirais qu'à partir du moment où les personnages sont creux et les enjeux flous, tout le reste n'a pas bien marché.
Oui, les personnages sont campé à coup de cuillère et crèvent les uns après dans l'indifférence de leurs camarades et des sans doute des lecteurs qui ne aura presque jamais vu prendre vie. le seul qui sort un peu du lot est le leader Claude Glystra, hybride de d'OSS 117 version
Jean Dujardin et de
Bernard-Henri Levy : son assurance confine à la stupidité, et ses changements de positions interloquent, genre on en tue pas les prisonniers noblesse oblige mais on les troque 1 chapitre plus loin avec une tribu nomade cannibale… WTF !
De plus il incarne tous les clichés de la suffisance américaine, qui suinte l'idéologie de la Destinée Manifeste, alors que pour s'en sortir il ne fait qu'avoir recours au Guide de la Planète Géante (mais il est malin comme un singe ce Jack Vance, difficile bien souvent de distinguer le 1er degré du 2e degré ^^).
Il y a aussi une misogynie assez relou, tous les personnages féminins étant stupides et frivoles, dans le genre cagoles, ne servant bien souvent qu'à suppléer les membres de la commission dans les ingrates tâches ménagères. Et cela ne gêne absolument personne d'embarquer dans leur treck des esclaves adolescentes pour chauffer le sac de couchage et pratiquer le repos du guerrier…
Encore que l'auteur n'est pas dupe dut tout, il se moque justement de cette misogynie, et le héros se fait finalement entourlouper de A à Z par l'une de ces créatures fragiles et stupides systématiquement prises de haut… Et pan dans les dents des machos ! Malin comme un singe je vous dis ce Jack Vance… ^^
A la fin, avec la poursuite des Rebbirs et l'infiltration d'un temple oublié pour sauver une demoiselle en détresse qui auraient parfaitement pu intégrer une histoire de Conan le barbare, on passe sans transition planet opera à la sword & sorcery (la science-fantasy à la
Jack Vance s'y prête parfaitement, mais cela détonne tellement avec le reste du roman que cela m'a laissé indifférent). Puis on se lance dans une expérience psychédélique : dans ce roman c'est plusieurs fois new age avant le New Age (l'auteur est de San Francisco, la métropole américaine qui a toujours été largement en avance sur temps par rapport au reste des Etats-Unis). Enfin, l'auteur termine son récit par 2 twists de derrière les fagots :
- le barjanum était Arthur Hidders, qui était le commerçant qui accompagnait la commission, présumé mort depuis le chapitre 1 et dont on n'avait plus jamais parlé depuis…
- le véritable traître au sein de l'équipe était Nancy, qui était la nonne voilée qui accompagnait la commission, présumée morte depuis le chapitre 1 et dont on n'avait plus jamais parlé depuis…
De nos jours plus personne n'oserait faire des twists aussi mal fagotés !
Et pourtant, l'auteur m'a régalé de petites satires économiques et sociales derrière une façade politiquement correcte (sans doute l'auteur ne voulait-il pas effrayer l'Amérique bien-pensante en pleine chasse aux sorcières maccarthyste) :
- la Planète Géante est le pont de chute de tous les déçus de la civilisation galactique, comme les Etats-Unis furent le point de chute de tous les déçus de l'Ancien Monde… A recherche la liberté et à fuir les contraintes, que trouvent-ils ? le darwinisme social, la loi de la jungle (cad la loi du plus fort), la violence, la misère, l'esclavagisme… Bref l'exploitation de l'homme par l'homme dans toute sa noirceur.
Jack Vance illustre ainsi parfaitement la citation de Lacordaire : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Pas sûr que les Américains étaient prêts à se reconnaître dans cette satire de leurs propres discours idéologiques…
- ces milliardaires terriens bons citoyens la semaine, mais tyrans de leur mondes artificiels orbitaux remplis d'esclaves destinés à subir leurs caprices, leurs lubies et leurs vices, c'est une critique larvée de ces bougerais puritains et moralisateurs qui font la leçon à longueur de temps mais qui vont s'encanailler au Mexique et à Cuba, à l'époque véritable lupanar à ciel ouvert… (Tiens j'en reparlerai ultérieurement, puisque qu'on trouve exactement la même chose dans le 2e roman de Scott Lynch…)
- le Paradoxe de Kirstendale, où comment des uber richs ont du innover après avoir perdu tous leurs larbins : on est à tour de rôles maîtres et serviteurs pour sauvegarder les apparences (le snobisme poussé à son extrême ayant ainsi abouti à un strict égalitarisme ^^).
- on renvoie dos-à-dos les soviets et les politburos du tyran (allégorie à peine déguisée de l'URSS), et la bureaucratie oligarchique terrienne (allégorie un peu déguisée quand même de l'Occident), tous les deux incapables de tenir leurs promesses, tous les deux incapables d'apporter des solutions viables aux peuples qu'ils prétendent aider, et tous les deux porteurs d'un discours paternaliste qui pue l'impérialisme voire le néocolonialisme…
Et bien, ma découverte de la bibliographie de l'auteur s'annonce passionnante ! ^^