Envie de plonger dans les eaux bleues des îles
Komodo pour des vacances reposantes et me voilà partie avec
David Vann pour une semaine dans un lieu enchanteur, dans un des plus beaux spots de plongée du monde.
Au programme, retrouver sa famille et partager des moments privilégiés dans un environnement idyllique, se détendre en profitant du soleil et des plages de sable fin, et surtout, savourer des plongées exceptionnelles, inoubliables.
Mais lorsque l'on connaît les romans de
David Vann, il faut s'attendre à ce que le programme soit totalement perturbé.
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Le lecteur accompagne Tracy qui part avec sa mère rejoindre son frère en Indonésie. Ce voyage est sensé les rapprocher, mais les tensions apparaissent tout de suite et montent crescendo, alimentées par l'hostilité de Tracy pour son frère, exacerbée par la grisaille de son quotidien, sa fatigue psychologique, son incapacité à tout contrôler, sa vie de couple inexistante, et ses enfants tyranniques.
« Ce voyage censé nous rapprocher tous les trois me pousse à croire qu'on ferait mieux de se noyer ».
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David Vann dresse un portrait au vitriol de cette femme malheureuse et insatisfaite pour qui j'ai eu de la peine au départ. Quelle image elle a d'elle-même et des autres !
« J'empoigne un bourrelet de graisse et le fais rouler sur toute la longueur de mon ventre comme une protubérance, un criminel indésirable, et j'ai envie de partir, de sauter et de m'enfuir, mais tous mes organes sont stockés là. »
Son sentiment d'abandon, de ne pas être aimée et de ne pas mériter la bienveillance, le respect et la compassion l'éloigne des autres. Son irascibilité constante, ses propos acerbes, sa méchanceté repoussent les autres créant une bulle de solitude autour d'elle. Je n'ai pas vraiment compris le comportement amer de Tracy qui rejette la médiocrité de sa petite vie insipide sur les autres.
« Ils ne feront rien pour moi. Jamais.
Ils n'ont rien fait pour moi.
Il n'y a aucune limite à ce qu'ils vont me faire.
Ma douleur n'est pas réelle à leurs yeux. »
Venue profiter d'une merveilleuse semaine de plongée, je suis restée à distance de sa souffrance, de son indécence, de sa vulgarité, n'attendant que les plongées, soulagée d'échapper à cette ambiance triviale et malsaine.
Moments de magie, moments de quiétude sous l'eau au milieu des poissons, sensations de légèreté, de sérénité, de liberté.
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De la terre ferme, on ne peut imaginer la beauté et la diversité des paysages sous-marins. Une fois immergé, un monde de couleurs et de vie se déploie devant moi.
Les merveilleuses descriptions de l'auteur me font oublier cette famille antipathique et je m'émerveille des magnifiques récifs coralliens, des myriades de poissons tropicaux, de la profusion de couleurs, de la visibilité parfaite.
Le rêve pour tout plongeur passionné est de nager au milieu des requins et des raies mantas.
Des rencontres inoubliables.
« …je vois une raie nager droit sur moi, juste au-dessus du sable, son immense ventre blanc et le battement de ses ailes. Comme si dieu descendait enfin sur Terre, après toutes ces décennies d'attente. Un vol doux, et bouleversant. »
Et je retarde le moment où je vais remonter à la surface. Envie de prolonger encore quelques instants le plaisir de ces rencontres éphémères.
D'habitude, j'aime partager le moment que je viens de vivre avec les autres plongeurs.
Mais aujourd'hui, aucune envie de remonter sur le bateau, subir cette ambiance détestable, avaler sans envie des plats infects, monotones, sans aucune convivialité.
Et puis, c'est le choc, la consternation.
Il s'est passé quelque chose d'affreux sous l'eau pendant que j'étais sur un petit nuage, admirant avec mon binôme les poissons-crapauds, les tortues, les poissons-fantômes, les minuscules nudibranches aux couleurs flamboyantes.
Alors que le milieu sous-marin m'a comblée, il a été pour cette famille une descente dans la haine, l'amertume, la rancune, l'aversion, et la colère.
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Je ne comprends pas comment des plongeurs inexpérimentés ont pu s'inscrire à des plongées réputées difficiles pour la violence des courants entre les passes.
Je ne comprends pas l'attitude hautaine et irrespectueuse des moniteurs et le manque d'encadrement des plongées.
Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas eu une première plongée dite de réadaptation pour vérifier son équipement et le niveau des plongeurs.
Je ne comprends pas l'attitude de Tracy et ce déchaînement de violence qui s'est ensuivie et qui, à mon sens, est infondée.
« Notre petite cellule familiale qui voudrait tout soigner, quand les blessures elles-mêmes auraient pu être évitées. Rien de tout ceci n'aurait dû arriver. »
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La violence dans la cellule familiale est au coeur de ce récit et cette ambiance pesante et malsaine m'a suivie après avoir tourné la dernière page.
En effet, l'auteur n'a pas son pareil pour parler de la violence des liens familiaux et disséquer la psychologie des familles dysfonctionnelles et en particulier cette mère démissionnaire qui s'est laissée engluer dans une vie insatisfaisante jusqu'au point de rupture. L'écriture est acérée comme un long couteau « de bonne qualité, lourd et aiguisé ».
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J'ai donc un ressenti mitigé pour cette lecture et j'en suis la première désolée.
Je reconnais que
David Vann cultive avec beaucoup d'efficacité le malaise chez le lecteur, il sait aussi créer des moments de tension, mais j'ai été déçue par le dénouement et surtout il m'a manqué l'essentiel pour aimer vraiment ce roman, comprendre l'héroïne.
A la violence verbale, psychologique et physique de cette mère au bord du burn-out, je n'ai envie de retenir que la grâce des raies mantas et la nage placide et légère des requins. Je préfère retourner à la mer.
« Leur oeil, c'était le détail le plus fascinant, dis-je. L'oeil du requin… Comme une bille en or avec une fente noire, comme si ce n'était qu'une surface, sans profondeur, et pourtant infiniment profonde. »
Ce n'est bien sûr que mon avis personnel et n'engage que moi. Je vous encourage à aller lire les avis des autres lecteurs qui ont eu un ressenti bien différent du mien.