LE LIERRE
Lorsque la pourpre et l’or, d’arbre en arbre, festonnent
Les feuillages lassés de soleil irritant,
Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s’étend
Le lierre humide et bleu, dans les combes d’automne.
Il s’y tasse comme une épargne; il se recueille
Au cœur de la forêt comme en un terrain clos,
Laissant le froid givrer ses ondoyants îlots
Disséminés au loin sur une mer de feuilles.
Pour le passant distrait, il boude et il décline
Le régulier effort des œuvres et des jours ;
Pourtant, seul sous la terre, il allonge toujours
Le tortueux réseau de ses courbes racines.
Sa force est ténébreuse et ne se montre pas
Elle est faite de volonté tenace et sourde
Qui troue, en s’y cachant, tantôt l’argile lourde,
Tantôt le sable dur, tantôt le limon gras.
D’après le sol changeant, il ruse ou bien s’exalte ;
Il se prouve rapide ou lent, brusque ou sournois ;
Son chemin, tour à tour, est sinueux ou droit ;
Il connaît le détour, mais ignore la halte.
Et dès le printemps clair, si quelque tronc ardent
Étage auprès de lui ses branches inclinées,
Il l’assaille et en mord l’écorce ravinée,
Avec l’acharnement de ses milliers de dents.
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN