Paris-Brest

Alors je ne sais plus aujourd’hui quel jour plus qu’un autre a voulu que les choses changent, mais je sais que désormais dans ma tête tout se mélange comme un très long présent qui porte à force égale les années et les heures, que l’idée de Paris et le vent dans les rues, que le rire de Kermeur et les marées furieuses, tout se tient là, sous mon crâne, comme les parois d’une bibliothèque qu’on aurait renversée.

Il avait bien fallu que je rende certains évènements plus attrayants, disons, plus dramatiques qu'en réalité, et c'est pour ça que dans mon roman familial [...] il avait d'abord fallu que ma grand-mère soit morte.

On dirait que dans la Marine, on les recrute selon le format de leur squelette, ou bien un certain type d’exercices physiques, ou bien un certain régime alimentaire, a fini par sculpter leur corps de cette même taille longiligne et curieusement aviaire, oui c’est ça, ils ressemblent, c’est exactement ça, à des oies, à des dindons ou à des canes, et les enfants par dizaines, car on fait beaucoup d’enfants dans la Marine, font autant de petits canetons.

Tout le monde devrait faire le point sur son histoire familiale, ai-je pensé, particulièrement un 20 décembre, c'est à dire un jour où il est important d'être soutenu dans l'épreuve d'aller passer Noël en famille, y compris les gens qui se disent heureux d'y aller, tandis qu'au fond d'eux-mêmes, comme tout le monde ils rêvent d'écrire un roman sur leur propre famille, un roman qui en finit avec ça, les veilles de Noël et les parenthèses mal fermées.

Elle a réfléchi longtemps. [...] Elle a réfléchi d’autant plus longtemps qu’elle savait depuis le début qu’elle allait dire oui. Elle n’a pas réfléchi pour savoir si elle dirait oui ou non, elle a réfléchi à comment justifier auprès d’elle-même qu’elle dirait oui. (p.26)

Et sans doute il ne fut pas déçu que ma mère ouvre elle-même la porte, figée là comme une bougie froide, tellement surprise évidemment, tellement vexée aussi qu'il ose faire ça, frapper à la porte et la soutenir du regard, obligée qu'elle fut d'être presque polie... Alors lui, je ne sais pas, comme plein d'indifférence, à son tour on aurait dit qu'il se baissait tranquillement puis qu'il les ramassait, chaque phrase gisante au sol, et qu'il y répondait... Un temps on a cherché l'un et l'autre de quoi on parlerait, le long des lignes courbes qui regagnaient la ville et la mémoire de nous comme une nappe souterraine qui ne voulait pas resurgir, la mer presque énervante à force de rester calme, la mer déshonorante à force d'être immobile.

[...]mais quand il m'en a parlé cette fois là, je lui ai dit que je savais déjà, que je ne sais pas comment mais quelque chose en moi savait.

C'est un pur hasard que tout tombe le même jour mais c'est peut-être normal que sur le nombre de fois où dans une vie les choses se bousculent pour cause de mort ou de déménagement, c'est peut-être normal que de temps en temps il y ait une ironique et violente coïncidence.

Après les choses sont allées très vite. Tout ce qui a de l'importance dans la vie va très vite, n'est-ce-pas?

Normalement à un certain âge les enfants quittent le nid familial mais pas le contraire, pas les parents qui abandonnent les enfants sur place, mais toi maman, tu m'as abandonné là, dans le nid familial, alors que je n'étais pas encore sec derrière les oreilles.