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Le récit débute à Savannah, dans l'état de Géorgie, sud-est des Etats-Unis. Dans le quartier des esclaves de la plantation de coton appartenant à John Morris Dutton, des hommes et des femmes se tiennent immobiles autour de la case de Netta. La pleine lune monte à l'horizon. Netta va quitter ce monde à l'âge de 29 ans. Caline se tient auprès d'elle tout en agitant la palme, elle réfléchit : « pour une esclave, il vaut mieux ne pas avoir d'enfants parce que les enfants, ils risquent toujours d'être vendus ou de mourir et aussi parce que les enfants, ça vous tue quant on en a trop ». Netta a eu quinze enfants les uns derrière les autres et sa dernière couche aura eu raison de sa vie.

Netta, consciente de son état, ne veux pas mourir sans avoir revu sa petite Viry, cette belle petite fille à la peau blanche qu'elle a eue avec le Maître. C'est maman Sukey qui élève la petite car Jake, le mari de Netta, ne l'aime pas. Frère Ezekiel arrive, il porte la petite sur ses épaules suivi de maman Sukey. Grand-mère Ticey, tante Sally, Grandpa Tom, May Liza, ils sont treize à entourer la mourante. Grand-mère Ticey se demande ce que la petite Viry va devenir. C'est elle qui a mis au monde, la petite bâtarde et Mamselle Liliane. Elles se ressemblent comme des soeurs jumelles, Madame Maîtresse n'acceptera jamais de garder la petite bâtarde à la Grande Maison.

Ce fut entre la nuit et le jour que Netta rendit son dernier souffle. de toutes les cases, des lamentations accompagnèrent le cantique de frère Ezekiel :

Un jour bientôt,
La mort viendra frapper à ma porte,
La mort viendra frapper à ma porte,
La mort viendra frapper à ma porte,
Oh, Seigneur !
Oh, Seigneur !
Que fera ton serviteur ?


Voilà ce sont les premières pages de cet immense livre que nous laisse Margaret Walker ! Sublime n'est pas assez puissant comme adjectif ! Je remercie vivement « Stockard » d'avoir su si bien rédiger son commentaire car sans elle, je serais passée à côté de la vie de cette petite Viry qui est l'arrière grand-mère de l'auteure.

C'est la grand-mère de Margaret, Elvira Ware Dozier qui vivant avec sa famille, lui a raconté la vie de sa mère, une ancienne esclave en Géorgie. de cette tradition orale, Margaret s'est inspirée pour écrire Jubilee qui de ce fait, est devenu le premier roman noir américain véritablement historique, contribuant ainsi à transmettre les racines folkloriques africaines de la vie noire américaine. Elle fut la première femme noire américaine à obtenir le prix prestigieux « Yale Série of Younger Poets » pour son recueil « For my people ».

Parut en 1966, ce livre est considéré comme un classique de la littérature afro-américaine. Margaret a effectué des recherches sur la vie des esclaves et leur place dans la guerre civile, consulté les registres de naissance. Elle a mis trente ans pour écrire « Jubilee ». Elle-même mariée à un vétéran handicapé, elle connait la difficulté d'élever quatre enfants tout en enseignant au Jackson State College du Mississipi, tout en travaillant à l'obtention de son doctorat. Non seulement elle porte un projet mais de surcroit, elle le vit. C'est certainement ce qui donne cette puissance à son écriture qui est d'une grande fluidité, très animée, réaliste, immersive.

Je vais vous faire une confidence, c'est la première fois que j'éprouve, dès les premières lignes, cette émotion assez troublante « je me suis sentie chez moi, je connaissais, un peu comme quelqu'un qui revient chez lui », je ne peux pas expliquer ce ressenti.

Alors, cette plongée en plein XIXème siècle, dans cette plantation de coton, fut pour moi une grande émotion. J'ai accompagné Viry dans son enfance, son adolescence, son amour pour Randall Ware, j'ai serré les poings avec elle, je me suis mise en colère, je me suis révoltée, j'ai pleuré, j'ai aimé, j'ai prié, en un mot, j'ai vécu dans la plantation Dutton et je ne sais pas comment, là encore, on peut se reconstruire après toutes ces horreurs.

Chère Margaret Walker, j'imagine que Viry doit être très fière de vous là où elle est. Elle qui rêvait de voir ses enfants aller à l'école, recevoir de l'instruction !

Viry c'est aussi une personnalité forte, une femme qui se veut libre, une mère comme on les aime aussi, dotée d'un courage exemplaire, consciente de la valeur de l'instruction qu'elle souhaite pour ses enfants, un coeur gros comme ça ……. Et un pouvoir de résilience hors du commun. Un portrait de femme magnifique !

Ce n'est pas un livre triste. Viry ne baisse jamais les bras, elle chante des cantiques, c'est là où elle puise sa force de vivre, c'est un véritable « negro spiritual » qui traverse ce livre.

Ce livre est aussi historique dans sa composition. La première partie relate l'enfance de Viry, son adolescence, sa rencontre avec l'Amour et le quotidien dans la plantation.
La deuxième partie fait place à la guerre de Sécession et là encore, Margaret retrace l'histoire de cette guerre fratricide ne ménageant aucun des camps, sachant parfaitement sans parti pris, dessiner les souffrances, les atrocités qui touchent les deux camps et la troisième partie, s'attache à la reconstruction bien difficile de la Nation et les épreuves que vit une population exsangue, la naissance d'un ostracisme virulent, violent, comme le KKK et sur la nouvelle vie de Viry, ancienne esclave, à la recherche d'une nouvelle terre en compagnie d'Innis Brown, son dernier mari.

Il y aurait encore beaucoup à écrire sur cette oeuvre qui est traversé par un véritable souffle homérique et qui nous donne à aimer une héroïne exceptionnelle, d'une sagesse, d'une bonté intacte malgré les épreuves. Au départ, je m'imaginais l'offrir à l'aînée de mes petites filles adolescentes mais il y a des moments éprouvants mieux vaut être averti et démarrer par « Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur » de Harper Lee.

« I have a dream » discours de Martin Luther King du 28 août 1963

« Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque Etat, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les non-Juifs, les Protestants et les Catholiques, pourront se donner la main et chanter les paroles du vieux Negro Spiritual « Enfin libres, enfin libres, grâce en soit rendue au Dieu tout puissant, nous sommes enfin libres ».
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🎶 Let my people go 🎶
Dans la plantation où vit Vyry, en Géorgie, le frère Zeke et les esclaves se retrouvent en cachette pour chanter l'attente du Jubilé, qui verra proclamé l'affranchissement de tous les habitants du pays, et leur espoir de voir Dieu envoyer un nouveau Moïse pour les libérer de l'esclavage.
En 1960, Lincoln, «ce nouveau Moïse», est élu Président et veut abolir l'esclavage. Les États du Sud font sécession. La guerre est terrible, mais les Nordistes sont vainqueurs et le rêve de Vyry se réalise: elle est libre. Elle pleure de joie, ses enfants, Jim et Minna, dansent et chantent
🎶 On est libres comme des oiseaux!
Jubilé, liberté! 🎶
Mais la liberté ne fait pas tout - être libre d'avoir sa maison brûlée par le Ku Klux Klan, ce n'est pas exactement l'ultime jubilation. Même si Vyry a eu de la chance si on compare ça au sort d'une de ses voisines, promise à une mort atroce, enduite de goudron brûlant et recouverte de plumes par le KKK. de façon générale, avec son mari, Innis, notre héroïne se heurte à une hostilité terrible de la part des Blancs pauvres convaincus que «les nègres allaient ramasser toutes les bonnes terres».
Vyry s'efforce et arrive à ne pas se faire rancir par toute cette violence et cette animosité raciste. Il y a une dimension spirituelle dans ce personnage, un plaidoyer contre la haine, une luminosité qui demeure malgré les coups durs, malgré la cruauté de ce bas monde.
Un beau personnage inspiré à Margaret Walker par son arrière-grand-mère, qui comme Vyry était la fille d'une esclave et de son propriétaire.
Une histoire pleine des fracas de l'histoire et du réconfort des negro-spirituals.
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Lecture recommandée par enjie77 que je remercie. L'histoire se passe en Géorgie et dans l'Alabama au siècle de l'abolition de l'esclavage et du Ku Klux Klan. le rôle principal est tenu par Vyry, ascendante de l'écrivaine. Elle naît d'une esclave noire qui meurt à sa naissance et du Maître blanc, qui aura la même année une fille avec sa bourgeoisie. Les deux soeurs se ressemblent physiquement mais auront un statut bien opposé. Vyry deviendra, elle aussi, esclave sur la plantation. On la voit devenir femme et être témoin des violences et du racisme. Deux amours et des enfants dont son voeu le plus cher est qu'ils aillent à l'école. Une longue lecture avec de terribles passages de tortures. Portrait d'une battante sur fond historique.
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En Géorgie, au mieux du XIXeme siècle, la petite Viry, dont la mère esclave est décédée, grandit sur la plantation de son père John Dutton, grand propriétaire blanc. Ce dernier vit avec sa femme et leur deux enfants et entreprend une carrière politique. Cuisinière et appréciée pour ses talents, elle est souvent maltraitée par Salina Dutton, qui supporte mal cette enfant, très blanche de peau et fille illégitime de son mari. Après des années de prospérité, les abolitionnistes du Nord commencent à diffuser leurs idées de liberté, s'attaquant de front aux États du Sud, qui s'arcqueboutent sur des interprétations fallacieuses de la Constitution et de la Bible pour légitimer leurs positions esclavagistes. Nord et Sud vont désormais s'affronter dans une guerre qui va bouleverser le destin de Viry et celui les propriétaires des plantations du Sud.

Jubilee retrace près de quarante ans de la vie d'une jeune fille qui traverse les périodes troubles du sud des États-Unis. Née esclave, son père, le Maître de la plantation l'ignore complètement. Devenue très bonne cuisinière, elle est au service du couple Dutton, mais cela ne l'exonère pas des sévices réservés aux esclaves en fuite ou de vivre dans leurs cabanes dépourvues de tout confort, jouxtant le domaine de la plantation qui s'étend à perte de vue, entourée de champs de coton et de canne à sucre.
Margaret Walker évoque la vie de Viry, et analyse finement la mentalité profonde du Sud des États-Unis. Elle décrit l'état d'esprit des propriétaires Blancs qui n'hésitent pas à séparer parents et enfants lors de ventes aux enchères de leurs esclaves et celui de ces derniers, leurs dures conditions de vie mais aussi la solidarité, l'importance de la religion qui leur permet de toujours conserver espoir, la cruauté des sévices infligés et la peur toujours maintenue pour contraindre les esclaves, les empêchant de songer à l'évasion. Les rares Noirs libres doivent être chapeauter par un tuteur blanc et même s'ils ont la liberté de déplacement, celle-ci reste fragile et sujette au paiement annuel d'une redevance élevée, qui, en cas de non-paiement signifie la perte du statut de Noir libre.
Jubilee est une fresque qui permet une compréhension du Sud des États-Unis, sans pathos et Margaret Walker reussit à dépeindre les mentalités passées sans transposer la mentalité actuelle sur les faits de l'époque, de même, elle respecte la façon de parler des esclaves peu éduqués, donnant a son récit toute sa crédibilité.
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«  Il voit venir la mort,
L'oiseau qui se lamente dans les ombres
Du soir. »
«  Un de ces jours, un beau matin clair,
J'aurai mes ailes et je m'envolerai dans l'air. »

Deux citations significatives de ce témoignage déchirant, très fort, marquant , le récit de l'auteure Margaret Walker contant le destin de son arrière grand- mère: Vyry, esclave , fille d’une esclave noire morte à 29 ans lors d’une fausse couche et d'un maître blanc dont le destin douloureux se confond avec la très longue marche vers la LIBERTÉ .
C’est la vraie vie de Vyry , grandissant dans un milieu hostile , en proie à la haine de sa maîtresse Salina, sa cruauté et son mépris quotidien, elle ressemble à sa fille Liliane , cheveux et teint clair pour une métisse.

Elle vivra des moments très difficiles , conditions de vie très dures, punition par le fouet, pendue par les pieds dans une armoire.
Rien ne la rebutera, partagée entre son amour de jeunesse et son époux , passionnément dévouée aux autres et à ses enfants.
Marquée par la douleur pétrie de bon sens , de courage, d’une profonde honnêteté , d’une dignité naturelle , sans aucun orgueil , dotée d’une lumière intérieure elle n’aura de cesse de croire en la vie, mais aussi et surtout le désir intense de voir ses enfants libres et éduqués .

Forte, elle ne baissera jamais les bras.

Le sujet est difficile : la liberté ne fut pas offerte aux Noirs américains , il a fallu la conquérir de haute lutte, guerre de sécession, atrocités qui traversent les deux camps, terreur du
Ku KLUX, KLAN , incendies de la maison, inondations, haine inextinguible des Blancs, pouvoir exorbitant des mêmes propriétaires blancs , rancœurs des blancs pauvres ....

L’auteure retrace avec clarté et honnêteté l’histoire de la guerre de Sécession .
Vyry chante sans cesse pour accompagner ses tâches..
L’écriture est parfaitement maîtrisée , lyrique, poétique accompagnée de couplets chantés par Vyry , alliant finesse , sensibilité et richesse des descriptions de l’esclavage à la reconstruction., sur la longue route de l’indépendance si chèrement acquise .
Un bel hommage déchirant et instructif , si bien construit qu’on le dévore , un ouvrage monument considéré comme «  L’autant en emporte le vent » des Noirs américains .

Je dois cet immense plaisir à Nathalie , merci beaucoup à elle .
Chacun devrait le lire.
Il m’a mis les larmes aux yeux . Je ne sais pas si j’ai trouvé des mots assez forts pour caractériser ce récit ...histoire d’amour, de guerre , de douleur et d’ESPOIR ...
Vyry : une figure inoubliable ..
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"L'Autant en emporte le Vent des Noirs américains" promettait la couverture. Rien que ça ? Ok, on va voir alors et sans perdre de temps, c'est parti on débarque dans cette immense plantation de Georgie pile au moment de la naissance d'Elvira Dutton, qu'on n'aura jamais vraiment l'occasion d'appeler ainsi et qui sera pour nous et pour tout le monde Vyry.
Vyry, une mulâtre fille d'une esclave qui meurt à sa naissance et du maître de la plantation à qui elle doit un teint si clair que beaucoup, au détour d'un chemin et de sa vie, la prendront pour une Blanche. Mais sur la plantation, une goutte de sang noir suffit à faire une esclave et sa couleur de peau ne compte pas quand dès son plus jeune âge, elle entre au service de la grande maison pour servir sa demi-soeur, fille de John Dutton, maître blanc de la plantation et de Salina, sa femme qui, connaissant l'ascendance de Vyry, n'aura pas assez de toute sa vie pour l'étriller et l'humilier à chaque fois que l'occasion se présentera, c'est à dire à chaque fois qu'elle en aura envie, c'est à dire... tout le temps.
Et ainsi se passent les premières années parmi les autres esclaves que Vyry voit se faire battre, vendre, parfois tuer et à l'instar de ses congénères, elle ravale ses larmes, son impuissance et son désespoir... jusqu'à l'arrivée de Randall Ware, un Noir né libre qui souhaite l'épouser et racheter sa liberté. Peine perdue. Vyry ne sera jamais à vendre (rien que d'écrire ça, ça fiche comme un vertige)
Il faudra qu'elle attende la guerre de Sécession et l'accouchement du treizième amendement pour pouvoir quitter la plantation.
Malheureusement et comme elle s'en rendra vite compte, cette Liberté promise reste encore et toujours à conquérir. Soit, il n'y a plus de maître, de régisseur et de surveillants mais il y a le ku klux klan, il y a le racisme qu'un décret et autres lois n'ont jamais éradiqué, il y a les perdants de cette guerre qui refusent la reddition d'Appomattox, en bref, on passe de l'esclavage à la ségrégation et si Vyry et les siens font l'expérience d'une certaine liberté au sens où quand ils trouvent du boulot, un salaire si minime soit-il leur revient enfin, la terreur est, elle, toujours bien présente entre meurtres, lynchages, intimidations et habitations réduites en cendre. Free at last, hein ?!

Malgré le sujet difficile, c'est un bel hommage à son arrière grand-mère sous forme de negro spiritual littéraire que nous propose Margaret Walker qui, en passant, nous offre un témoignage inédit de l'avant, pendant et après guerre de Sécession vu par les Noirs. Avec son écriture parfaitement maîtrisée alliée à la richesse de ses descriptions, elle nous transporte sans peine dans le Dixieland, de l'esclavage à la reconstruction, sur une route de l'Indépendance qui semble ne jamais finir d'être pavée.

Alors oui, il y a du Autant en emporte le Vent dans ce Jubilee, mais pas que... Finalement, Margaret Walker, c'est un peu la rencontre d'Alice Walker avec Margaret Mitchell.
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J'ai ce roman depuis des années dans ma bibliothèque (depuis 1989 pour être exacte !) et je n'avais encore jamais pris le temps de le lire. Or, après la relecture du roman de Kathryn Stockett « La couleur des sentiments », je cherchais une lecture similaire. Et puis en regardant les lectures de mes ami(e)s babéliotes, j'ai lu le commentaire enthousiaste d'Annette55 sur ce roman (merci à elle !). Et je suis allée, derechef, le dénicher dans ma bibliothèque pour le lire et, même, le dévorer.

La quatrième de couverture le présente comme le « Autant en emporte le vent » noir. Pour avoir lu Margaret Mitchell, effectivement on trouve des ressemblances puisque sont évoquées les années de la Guerre de Sécession et celles de la reconstruction. Mais les ressemblances s'arrêtent là car « Jubilee » c'est d'abord et surtout la vie de Viry, fille d'une esclave et d'un maître blanc, qui nous est racontée. le fait qu'elle soit née blanche et qu'elle ressemble comme deux gouttes d'eau à l'autre fille de John Sutton, ne change rien à sa condition : esclave, elle est, esclave, elle le demeurera. Cette leçon lui est durement apprise, et pendant des années, Viry ne croit pas à la liberté dont on lui parle. Sa rencontre avec Randall Ware, homme noir libre qui lui promet mariage et liberté, ne changera rien à sa situation. Lui-même en danger, il la quitte, la laissant sur la propriété des Sutton. Alors certes, la guerre de Sécession va changer la donne et apporter cette liberté tant attendue mais la paix n'apportera pas le bonheur tant espéré. Margaret Walker a très bien décrit ces années difficiles d'après-guerre qui montre des sudistes vaincus, amers et violents, considérant toujours que les noirs sont des êtres inférieurs, regrettant que l'esclavage ait été aboli. Viry et son deuxième mari en font l'amère expérience, eux qui errent à travers l'Alabama, à la recherche d'un endroit où ils pourraient s'installer sans être en butte à la violence du KKK. Ce qui ressort de cette lecture c'est le portrait de Viry, une femme de caractère, pleine d'empathie pour les autres qui, jamais ne cède à la haine, jamais ne ploie face à l'adversité, qui, toujours, lutte pour des lendemains meilleurs.

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C'est une histoire essentielle pour moi: l'histoire de Vyry, qui connaît tous les méfaits de l'esclavage, mais qui ne cesse de vivre avec foi et avec courage.

Dans ce récit, le lecteur voit naître Vyry dans une plantation. Elle est à la fois la fille d'une belle noire et du "maître" blanc de la plantation.
Toute petite, elle perd sa mère morte peu après sa naissance.
Elle doit aussi faire face à la jalousie de la maîtresse de maison qui la déteste farouchement: en effet elle ressemble un peu trop à Liliane, sa propre fille. La Maîtresse blanche va punir un jour Vyry enfant, en l'enfermant dans un placard, suspendue par les bras ... la petite ne tarde pas à s' évanouir.. A 7 ans, elle travaille déjà.. et elle a cassé une assiette de porcelaine...

Vyry est élevée par Maman Sukey, puis par Tante Sally, la cuisinière, qui lui apprend son métier. Mais elle doit encore connaître des séparations: Maman Sukey meurt brusquement de maladie, et Tante Sally, la cuisinière qui l'a gardé près d'elle, est vendue.
L'esclavage, c'est aussi le fait de ne pas savoir si l'on ne sera pas séparé de ses proches et de ceux qu'on aime tant...

De l'esclavage, naît une foule d'injustices. Mais toute sa vie, Vyry lutte à sa façon: elle travaille et elle chante, de toute sa voix. Elle rencontre son mari Rendall Ware, et elle connaît enfin un peu de répit dans ses bras.

Puis celui-ci s'échappe vers le Canada à la recherche de la liberté. Mais ils ne peuvent pas se retrouver.
Vyry doit longuement attendre pour trouver à son tour la liberté. Elle essaie sans cesse de s'en sortir, mais doit faire face à de nombreux coups du sort (une inondation de sa ferme construite dans une zone inondable, et un incendie causé par le Ku Klux Klan).

Malgré tout, elle ne perd jamais courage, élève ses enfants et ne cesse de se remettre à l'ouvrage. Elle ne cesse jamais de redresser la tête, de garder sa dignité et de chanter.

Ce livre est une ode à la liberté, comme Vyry qui ne cesse de croire et de garder la foi: il est un roman poignant, un chant vers la liberté.
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« Jubilee » se situe en grande partie en Georgie dans le sud des états-unis, sensiblement à la même période (traversée par la guerre de Sécession) que « Autant en emporte le vent ». L'auteure y raconte la vie de Vyry, son arrière grand-mère, née esclave dans une plantation.

La servitude, la peur et la souffrance sont constitutives de l'existence des esclaves, à la merci de leur maître et de sa famille, du régisseur du domaine, des surveillants et des Blancs en général. Épuisement au travail, punitions corporelles pouvant entraîner la mort, brimades et humiliations sont leur lot. Ils ne bénéficient d'aucun droit ; ils sont achetés, vendus, séparés de leurs enfants et de leurs famille au bon vouloir de leurs propriétaires. Face aux Blancs, ils sont totalement impuissants.
La maltraitance des esclaves est physique et morale ; au mieux, ils sont considérés par leur maître comme un avoir.

La guerre de sécession, qui durera 4 ans, va scinder le pays en deux : le Nord abolitionniste et le Sud esclavagiste. Considérée au début comme une « aventure » par les sudistes convaincus de leurs bons droits, cette guerre très meurtrière laissera le sud exsangue.
La majorité des sudistes considérera que les Noirs sont responsables du conflit et de ses conséquences.

Enfin devenus libres, les Noirs continueront à vivre dans la peur et à subir les mêmes violences que par le passé. En effet, les lois concernant les droits civiques et le droit à l'éducation (qui devaient accompagner l'abolition de l'esclavage) ne seront pas appliquées. Loin de devenir des citoyens à part entière, les Noirs seront traqués par le Ku Klux Klan, né quelques mois après leur libération, et ils seront victime du racisme ordinaire de personnes conditionnées de tout temps à les considérer comme des êtres inférieurs.

Les esclaves avaient été « formés » pour travailler et obéir. Il leur avait été formellement interdit d'apprendre à lire et à écrire, de s'instruire. Ils avaient été maintenus dans la plus grande ignorance.
Libérés, ils ne disposent en fait d'aucun moyen pour lutter contre les exactions de toutes sortes dont ils seront victimes.

Ce roman de Margaret Walker, qu'illumine le personnage de Vyry, si humaine et si digne, met en évidence que la liberté ne fut pas offerte aux Noirs américains. Il leur fallut la conquérir.
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Margaret Walker a composé à partir de la vie de son arrière-grand-mère une fresque inédite de l'histoire de l'Amérique au XIX è siècle du point de vue des Noirs Américains. Et c'est magistral !
« Jubilee » est un gospel, dont les voix s'élèvent ténues d'abord, pleines de douleur, célébrant la puissance divine dans l'espoir qu'elle libère de leurs chaînes ces esclaves que l'on exploite sans vergogne dans une grande propriété du Sud-Est de la Géorgie. C'est chez les Dutton que naît Vyry, fille d'une esclave et de son maître John dont elle a hérité la peau claire. Orpheline à la naissance, ce sont les esclaves de la cuisine qui l'élèvent, dans les parfums de poulet frit et de tous les mets que Vyry ne tarde pas à préparer elle-même.
A travers les yeux de cette jeune esclave, c'est toute un système de violence et de soumission que nous raconte avec beaucoup de pudeur Margaret Walker. Mais au milieu de ces voix, Vyry découvre peu à peu des notes d'espoir, celles de frère Ezechiel, prédicateur ou de Randall Ware, forgeron libre, qui introduisent le souffle d'une liberté possible, venue du Nord abolitionniste. Douloureuse idée qui vient troubler Vyry, qui se plaît à rêver d'une autre vie pour elle et ses enfants.
C'est la guerre de Sécession, décrite dans toute son horreur, qui précipite le destin de Vyry : elle doit maintenant composer son propre chant, improviser une nouvelle partition, celle d'une esclave libérée. C'est la plus grande réussite du roman à mon sens : alors que l'oppression dont elle était l'objet disparaît légalement, le personnage de Vyry s'individualise, avec ses rêves propres, ses projets, ses combats et ses échecs aussi. Elle s'appartient, enfin.
Mais les mentalités, elles, n'évoluent pas au rythme des batailles perdues et le Sud esclavagiste n'a pas dit son dernier mot : Vyry et sa famille se heurtent à la furie des suprémacistes blancs incarnée par les membres du Ku Klux Klan. Réussira-t-elle à concrétiser ses rêves, une maison à elle, un travail rémunéré, l'école pour ses enfants, une vie décente en somme ?
Oh que j'ai adoré ce chant d'espoir et de courage, amplifié par la beauté et l'émotion de la dernière partie du roman. Mais Walker ne nous laisse pas nous faire d'illusion : la lutte pour les droits civiques ne fait que commencer en cette fin de siècle pour Vyry, sa famille et tous les Noirs Américains.
Ce roman intelligent, construit brillamment et tellement fort est à découvrir de toute urgence!
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