AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Jean-Michel Jasienko (Traducteur)
EAN : 9782757813621
608 pages
Points (26/03/2009)
4.29/5   73 notes
Résumé :

Considéré comme l'Autant en emporte le vent des Noirs américains, cette vaste épopée raconte l'histoire de Vyry, l'arrière-grand-mère de Margaret Walker: esclave, fille d'esclave et d'un maître blanc, son destin se confond avec la longue marche vers la liberté. Partagée entre son amour de jeunesse et son époux, passionnément dévouée à ses enfants, Vyry incarne la promesse d'un monde nouveau.

Que lire après JubileeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
4,29

sur 73 notes
5
9 avis
4
8 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
0 avis

Le récit débute à Savannah, dans l'état de Géorgie, sud-est des Etats-Unis. Dans le quartier des esclaves de la plantation de coton appartenant à John Morris Dutton, des hommes et des femmes se tiennent immobiles autour de la case de Netta. La pleine lune monte à l'horizon. Netta va quitter ce monde à l'âge de 29 ans. Caline se tient auprès d'elle tout en agitant la palme, elle réfléchit : « pour une esclave, il vaut mieux ne pas avoir d'enfants parce que les enfants, ils risquent toujours d'être vendus ou de mourir et aussi parce que les enfants, ça vous tue quant on en a trop ». Netta a eu quinze enfants les uns derrière les autres et sa dernière couche aura eu raison de sa vie.

Netta, consciente de son état, ne veux pas mourir sans avoir revu sa petite Viry, cette belle petite fille à la peau blanche qu'elle a eue avec le Maître. C'est maman Sukey qui élève la petite car Jake, le mari de Netta, ne l'aime pas. Frère Ezekiel arrive, il porte la petite sur ses épaules suivi de maman Sukey. Grand-mère Ticey, tante Sally, Grandpa Tom, May Liza, ils sont treize à entourer la mourante. Grand-mère Ticey se demande ce que la petite Viry va devenir. C'est elle qui a mis au monde, la petite bâtarde et Mamselle Liliane. Elles se ressemblent comme des soeurs jumelles, Madame Maîtresse n'acceptera jamais de garder la petite bâtarde à la Grande Maison.

Ce fut entre la nuit et le jour que Netta rendit son dernier souffle. de toutes les cases, des lamentations accompagnèrent le cantique de frère Ezekiel :

Un jour bientôt,
La mort viendra frapper à ma porte,
La mort viendra frapper à ma porte,
La mort viendra frapper à ma porte,
Oh, Seigneur !
Oh, Seigneur !
Que fera ton serviteur ?


Voilà ce sont les premières pages de cet immense livre que nous laisse Margaret Walker ! Sublime n'est pas assez puissant comme adjectif ! Je remercie vivement « Stockard » d'avoir su si bien rédiger son commentaire car sans elle, je serais passée à côté de la vie de cette petite Viry qui est l'arrière grand-mère de l'auteure.

C'est la grand-mère de Margaret, Elvira Ware Dozier qui vivant avec sa famille, lui a raconté la vie de sa mère, une ancienne esclave en Géorgie. de cette tradition orale, Margaret s'est inspirée pour écrire Jubilee qui de ce fait, est devenu le premier roman noir américain véritablement historique, contribuant ainsi à transmettre les racines folkloriques africaines de la vie noire américaine. Elle fut la première femme noire américaine à obtenir le prix prestigieux « Yale Série of Younger Poets » pour son recueil « For my people ».

Parut en 1966, ce livre est considéré comme un classique de la littérature afro-américaine. Margaret a effectué des recherches sur la vie des esclaves et leur place dans la guerre civile, consulté les registres de naissance. Elle a mis trente ans pour écrire « Jubilee ». Elle-même mariée à un vétéran handicapé, elle connait la difficulté d'élever quatre enfants tout en enseignant au Jackson State College du Mississipi, tout en travaillant à l'obtention de son doctorat. Non seulement elle porte un projet mais de surcroit, elle le vit. C'est certainement ce qui donne cette puissance à son écriture qui est d'une grande fluidité, très animée, réaliste, immersive.

Je vais vous faire une confidence, c'est la première fois que j'éprouve, dès les premières lignes, cette émotion assez troublante « je me suis sentie chez moi, je connaissais, un peu comme quelqu'un qui revient chez lui », je ne peux pas expliquer ce ressenti.

Alors, cette plongée en plein XIXème siècle, dans cette plantation de coton, fut pour moi une grande émotion. J'ai accompagné Viry dans son enfance, son adolescence, son amour pour Randall Ware, j'ai serré les poings avec elle, je me suis mise en colère, je me suis révoltée, j'ai pleuré, j'ai aimé, j'ai prié, en un mot, j'ai vécu dans la plantation Dutton et je ne sais pas comment, là encore, on peut se reconstruire après toutes ces horreurs.

Chère Margaret Walker, j'imagine que Viry doit être très fière de vous là où elle est. Elle qui rêvait de voir ses enfants aller à l'école, recevoir de l'instruction !

Viry c'est aussi une personnalité forte, une femme qui se veut libre, une mère comme on les aime aussi, dotée d'un courage exemplaire, consciente de la valeur de l'instruction qu'elle souhaite pour ses enfants, un coeur gros comme ça ……. Et un pouvoir de résilience hors du commun. Un portrait de femme magnifique !

Ce n'est pas un livre triste. Viry ne baisse jamais les bras, elle chante des cantiques, c'est là où elle puise sa force de vivre, c'est un véritable « negro spiritual » qui traverse ce livre.

Ce livre est aussi historique dans sa composition. La première partie relate l'enfance de Viry, son adolescence, sa rencontre avec l'Amour et le quotidien dans la plantation.
La deuxième partie fait place à la guerre de Sécession et là encore, Margaret retrace l'histoire de cette guerre fratricide ne ménageant aucun des camps, sachant parfaitement sans parti pris, dessiner les souffrances, les atrocités qui touchent les deux camps et la troisième partie, s'attache à la reconstruction bien difficile de la Nation et les épreuves que vit une population exsangue, la naissance d'un ostracisme virulent, violent, comme le KKK et sur la nouvelle vie de Viry, ancienne esclave, à la recherche d'une nouvelle terre en compagnie d'Innis Brown, son dernier mari.

Il y aurait encore beaucoup à écrire sur cette oeuvre qui est traversé par un véritable souffle homérique et qui nous donne à aimer une héroïne exceptionnelle, d'une sagesse, d'une bonté intacte malgré les épreuves. Au départ, je m'imaginais l'offrir à l'aînée de mes petites filles adolescentes mais il y a des moments éprouvants mieux vaut être averti et démarrer par « Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur » de Harper Lee.

« I have a dream » discours de Martin Luther King du 28 août 1963

« Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque Etat, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les non-Juifs, les Protestants et les Catholiques, pourront se donner la main et chanter les paroles du vieux Negro Spiritual « Enfin libres, enfin libres, grâce en soit rendue au Dieu tout puissant, nous sommes enfin libres ».
Commenter  J’apprécie          8119
🎶 Let my people go 🎶
Dans la plantation où vit Vyry, en Géorgie, le frère Zeke et les esclaves se retrouvent en cachette pour chanter l'attente du Jubilé, qui verra proclamé l'affranchissement de tous les habitants du pays, et leur espoir de voir Dieu envoyer un nouveau Moïse pour les libérer de l'esclavage.
En 1960, Lincoln, «ce nouveau Moïse», est élu Président et veut abolir l'esclavage. Les États du Sud font sécession. La guerre est terrible, mais les Nordistes sont vainqueurs et le rêve de Vyry se réalise: elle est libre. Elle pleure de joie, ses enfants, Jim et Minna, dansent et chantent
🎶 On est libres comme des oiseaux!
Jubilé, liberté! 🎶
Mais la liberté ne fait pas tout - être libre d'avoir sa maison brûlée par le Ku Klux Klan, ce n'est pas exactement l'ultime jubilation. Même si Vyry a eu de la chance si on compare ça au sort d'une de ses voisines, promise à une mort atroce, enduite de goudron brûlant et recouverte de plumes par le KKK. de façon générale, avec son mari, Innis, notre héroïne se heurte à une hostilité terrible de la part des Blancs pauvres convaincus que «les nègres allaient ramasser toutes les bonnes terres».
Vyry s'efforce et arrive à ne pas se faire rancir par toute cette violence et cette animosité raciste. Il y a une dimension spirituelle dans ce personnage, un plaidoyer contre la haine, une luminosité qui demeure malgré les coups durs, malgré la cruauté de ce bas monde.
Un beau personnage inspiré à Margaret Walker par son arrière-grand-mère, qui comme Vyry était la fille d'une esclave et de son propriétaire.
Une histoire pleine des fracas de l'histoire et du réconfort des negro-spirituals.
Commenter  J’apprécie          552
En Géorgie, au mieux du XIXeme siècle, la petite Viry, dont la mère esclave est décédée, grandit sur la plantation de son père John Dutton, grand propriétaire blanc. Ce dernier vit avec sa femme et leur deux enfants et entreprend une carrière politique. Cuisinière et appréciée pour ses talents, elle est souvent maltraitée par Salina Dutton, qui supporte mal cette enfant, très blanche de peau et fille illégitime de son mari. Après des années de prospérité, les abolitionnistes du Nord commencent à diffuser leurs idées de liberté, s'attaquant de front aux États du Sud, qui s'arcqueboutent sur des interprétations fallacieuses de la Constitution et de la Bible pour légitimer leurs positions esclavagistes. Nord et Sud vont désormais s'affronter dans une guerre qui va bouleverser le destin de Viry et celui les propriétaires des plantations du Sud.

Jubilee retrace près de quarante ans de la vie d'une jeune fille qui traverse les périodes troubles du sud des États-Unis. Née esclave, son père, le Maître de la plantation l'ignore complètement. Devenue très bonne cuisinière, elle est au service du couple Dutton, mais cela ne l'exonère pas des sévices réservés aux esclaves en fuite ou de vivre dans leurs cabanes dépourvues de tout confort, jouxtant le domaine de la plantation qui s'étend à perte de vue, entourée de champs de coton et de canne à sucre.
Margaret Walker évoque la vie de Viry, et analyse finement la mentalité profonde du Sud des États-Unis. Elle décrit l'état d'esprit des propriétaires Blancs qui n'hésitent pas à séparer parents et enfants lors de ventes aux enchères de leurs esclaves et celui de ces derniers, leurs dures conditions de vie mais aussi la solidarité, l'importance de la religion qui leur permet de toujours conserver espoir, la cruauté des sévices infligés et la peur toujours maintenue pour contraindre les esclaves, les empêchant de songer à l'évasion. Les rares Noirs libres doivent être chapeauter par un tuteur blanc et même s'ils ont la liberté de déplacement, celle-ci reste fragile et sujette au paiement annuel d'une redevance élevée, qui, en cas de non-paiement signifie la perte du statut de Noir libre.
Jubilee est une fresque qui permet une compréhension du Sud des États-Unis, sans pathos et Margaret Walker reussit à dépeindre les mentalités passées sans transposer la mentalité actuelle sur les faits de l'époque, de même, elle respecte la façon de parler des esclaves peu éduqués, donnant a son récit toute sa crédibilité.
Commenter  J’apprécie          410
"L'Autant en emporte le Vent des Noirs américains" promettait la couverture. Rien que ça ? Ok, on va voir alors et sans perdre de temps, c'est parti on débarque dans cette immense plantation de Georgie pile au moment de la naissance d'Elvira Dutton, qu'on n'aura jamais vraiment l'occasion d'appeler ainsi et qui sera pour nous et pour tout le monde Vyry.
Vyry, une mulâtre fille d'une esclave qui meurt à sa naissance et du maître de la plantation à qui elle doit un teint si clair que beaucoup, au détour d'un chemin et de sa vie, la prendront pour une Blanche. Mais sur la plantation, une goutte de sang noir suffit à faire une esclave et sa couleur de peau ne compte pas quand dès son plus jeune âge, elle entre au service de la grande maison pour servir sa demi-soeur, fille de John Dutton, maître blanc de la plantation et de Salina, sa femme qui, connaissant l'ascendance de Vyry, n'aura pas assez de toute sa vie pour l'étriller et l'humilier à chaque fois que l'occasion se présentera, c'est à dire à chaque fois qu'elle en aura envie, c'est à dire... tout le temps.
Et ainsi se passent les premières années parmi les autres esclaves que Vyry voit se faire battre, vendre, parfois tuer et à l'instar de ses congénères, elle ravale ses larmes, son impuissance et son désespoir... jusqu'à l'arrivée de Randall Ware, un Noir né libre qui souhaite l'épouser et racheter sa liberté. Peine perdue. Vyry ne sera jamais à vendre (rien que d'écrire ça, ça fiche comme un vertige)
Il faudra qu'elle attende la guerre de Sécession et l'accouchement du treizième amendement pour pouvoir quitter la plantation.
Malheureusement et comme elle s'en rendra vite compte, cette Liberté promise reste encore et toujours à conquérir. Soit, il n'y a plus de maître, de régisseur et de surveillants mais il y a le ku klux klan, il y a le racisme qu'un décret et autres lois n'ont jamais éradiqué, il y a les perdants de cette guerre qui refusent la reddition d'Appomattox, en bref, on passe de l'esclavage à la ségrégation et si Vyry et les siens font l'expérience d'une certaine liberté au sens où quand ils trouvent du boulot, un salaire si minime soit-il leur revient enfin, la terreur est, elle, toujours bien présente entre meurtres, lynchages, intimidations et habitations réduites en cendre. Free at last, hein ?!

Malgré le sujet difficile, c'est un bel hommage à son arrière grand-mère sous forme de negro spiritual littéraire que nous propose Margaret Walker qui, en passant, nous offre un témoignage inédit de l'avant, pendant et après guerre de Sécession vu par les Noirs. Avec son écriture parfaitement maîtrisée alliée à la richesse de ses descriptions, elle nous transporte sans peine dans le Dixieland, de l'esclavage à la reconstruction, sur une route de l'Indépendance qui semble ne jamais finir d'être pavée.

Alors oui, il y a du Autant en emporte le Vent dans ce Jubilee, mais pas que... Finalement, Margaret Walker, c'est un peu la rencontre d'Alice Walker avec Margaret Mitchell.
Commenter  J’apprécie          3911
«  Il voit venir la mort,
L'oiseau qui se lamente dans les ombres
Du soir. »
«  Un de ces jours, un beau matin clair,
J'aurai mes ailes et je m'envolerai dans l'air. »

Deux citations significatives de ce témoignage déchirant, très fort, marquant , le récit de l'auteure Margaret Walker contant le destin de son arrière grand- mère: Vyry, esclave , fille d’une esclave noire morte à 29 ans lors d’une fausse couche et d'un maître blanc dont le destin douloureux se confond avec la très longue marche vers la LIBERTÉ .
C’est la vraie vie de Vyry , grandissant dans un milieu hostile , en proie à la haine de sa maîtresse Salina, sa cruauté et son mépris quotidien, elle ressemble à sa fille Liliane , cheveux et teint clair pour une métisse.

Elle vivra des moments très difficiles , conditions de vie très dures, punition par le fouet, pendue par les pieds dans une armoire.
Rien ne la rebutera, partagée entre son amour de jeunesse et son époux , passionnément dévouée aux autres et à ses enfants.
Marquée par la douleur pétrie de bon sens , de courage, d’une profonde honnêteté , d’une dignité naturelle , sans aucun orgueil , dotée d’une lumière intérieure elle n’aura de cesse de croire en la vie, mais aussi et surtout le désir intense de voir ses enfants libres et éduqués .

Forte, elle ne baissera jamais les bras.

Le sujet est difficile : la liberté ne fut pas offerte aux Noirs américains , il a fallu la conquérir de haute lutte, guerre de sécession, atrocités qui traversent les deux camps, terreur du
Ku KLUX, KLAN , incendies de la maison, inondations, haine inextinguible des Blancs, pouvoir exorbitant des mêmes propriétaires blancs , rancœurs des blancs pauvres ....

L’auteure retrace avec clarté et honnêteté l’histoire de la guerre de Sécession .
Vyry chante sans cesse pour accompagner ses tâches..
L’écriture est parfaitement maîtrisée , lyrique, poétique accompagnée de couplets chantés par Vyry , alliant finesse , sensibilité et richesse des descriptions de l’esclavage à la reconstruction., sur la longue route de l’indépendance si chèrement acquise .
Un bel hommage déchirant et instructif , si bien construit qu’on le dévore , un ouvrage monument considéré comme «  L’autant en emporte le vent » des Noirs américains .

Je dois cet immense plaisir à Nathalie , merci beaucoup à elle .
Chacun devrait le lire.
Il m’a mis les larmes aux yeux . Je ne sais pas si j’ai trouvé des mots assez forts pour caractériser ce récit ...histoire d’amour, de guerre , de douleur et d’ESPOIR ...
Vyry : une figure inoubliable ..
Commenter  J’apprécie          4013

Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Le 20 février 1864, la veille du jour où Kevin allait être libéré, une bataille eut lieu à Ocean Pond. Ce fut un étrange coup du sort, un combat décidé à l'improviste - une erreur du commandement. Les hommes furent brusquement alertés et disposés en ordre de bataille. Tout se passa si rapidement que la plupart se trouvèrent face à l'ennemi avant même d'avoir compris ce qu'on exigeait d'eux. Kevin, alors âgé de plus de trente ans, n'était guère entouré que d'adolescents sans expérience, qui jamais encore n'avaient pris part à aucun engagement. Le destin leur réservait une autre surprise : ils affrontaient une compagnie appartenant à une brigade de l'Union qui, pour la première fois, réunissait des combattants blancs et des combattants noirs. Et les jeunes garçons du Sud, terrifiés à la vue de ces adversaires noirs, poussaient des jurons enragés. Kevin, quant à lui, n'avait pas peur et n'éprouvait aucune colère. Il avait l'impression de contempler les évènements de très loin, avec le détachement d'un spectateur que tout cela ne concernait pas directement. Soudain, il trébucha et se trouva face à face avec un géant noir. Le soldat tenait sa baïonnette pointée vers Kevin mais celui-ci ne s'en émut pas ; ce qui le bouleversa ce fut l'expression de haine sur le visage du nègre. Kevin souleva sa baïonnette pour se défendre, et cependant qu'il atteignait son adversaire à l'aine, il sentit une lame qui lui déchirait l'abdomen ; se raidissant, il saisit d'une main l'arme du nègre et appuya vigoureusement sur son propre fusil. L'assaillant bascula en arrière avec un cri perçant et Kevin, luttant contre la douleur, retira la lame enfoncée dans son ventre. Pressant la blessure des deux mains, il se traina péniblement vers l'arrière avec l'espoir de se retrouver en sécurité et aux soins d'un médecin, avant d'avoir perdu connaissance. Pour le moment, il gardait tout son esprit mais la douleur ne diminuait pas ; il sentait le sang chaud qui jaillissait entre ses mains et le voyait s'écouler le long de la jambe. Soudain, sans plus savoir où il était, il s'étendit de tout son long et à sa grande surprise, il s'entendit dire : "Oh, mon Dieu, pitié, mon Dieu!".

Page 236 (Je pense à Rimbaud - "Le dormeur du Val") Kevin ne voulait pas de cette guerre!
Commenter  J’apprécie          200
Les six esclaves, tous des mâles, étaient torse nu. Pour vêtement, ils n'avaient qu'un pantalon de coton en loques, coupé aux genoux et retenu à la taille avec une cordelette. Et la corde qui les liait entre eux était également nouée à la taille comme une seconde ceinture. Les pieds nus, ils allaient lentement sur le sol marécageux, parmi les ronces et les herbes coupantes ; ils ne se souciaient pas des écorchures mais évitaient soigneusement les serpents. Ils entraînaient avec eux un nuage de mouches, de moucherons et de moustiques qu'ils essayaient vainement de chasser de leurs mains alourdies par les chaînes. Tous, sauf le plus jeune, étaient luisants de sueur. Le plus jeune, celui qui tombait, avait la peau sèche et tendue sur les os. Une longue cicatrice traversait son visage. Le fouet avait aussi labouré son dos où la chair formait un épais bourrelet par-dessus la plaie refermée. Le garçon n'arrêtait pas de geindre ; tantôt il soupirait une plainte assourdie, pareille à un faible râle, tantôt sa voix s'élevait, criant une mélopée inarticulée. Agacé, Grimes recommença à le frapper puis il se ravisa ; après tout, ils allaient bientôt arriver à la plantation.
Commenter  J’apprécie          385
Déjà s'annonçait le temps des récoltes. Le coton, le maïs, la canne à sucre prospéraient sous le soleil de juillet. C'était un été de Georgie - de longues journées arides et des nuits brèves adoucies de brume. C'était un été que Vyry n'oublierait jamais. Elle avait accepté de revoir Randall Ware et s'était donnée à lui. Elle n'aurait pu dire, à la fin de l'été, combien de nuits ils avaient passés ensemble à s'aimer dans les champs. Elle n'aurait pu exprimer exactement ce qu'elle ressentait ; elle subissait, sans chercher à se l'expliquer, la passion tumultueuse qui les unissait. Elle avait cessé de se défendre contre lui car elle avait découvert qu'il la délivrait de tous ses cauchemars terrifiants. Elle ne se réveillait plus au milieu de la nuit en pleurant et en appelant maman Sukey ou tante Sally. Vaincue par la force et la douceur de l'amour, elle ne pensait plus à l'horrible mort de Grandpa Tom, à Lucy marquée au fer rouge, à ces deux femmes pendues face à la foule. Le passé n'existait plus et le présent se trouvait réduit à l'instant immédiat. Les souvenirs douloureux s'étaient estompés, elle les avait oubliés ; isolée, écrasée sous le tendre poids d'un corps noir comme la nuit, elle ne connaissait que le mouvement régulier du plaisir. Elle ne s'expliquait pas pourquoi elle avait abandonné toutes ses résolutions et cédé à l'étreinte fougueuse de ces bras de fer ; pourquoi, sans attendre la liberté et le mariage, elle avait écouté l'appel insinuant de l'été. Elle demeurait silencieuse ; elle ne disait pas à Randall Ware qu'entre ses bras, elle avait trouvé la paix ; elle ne s'avouait pas combien elle tenait à cet amour qu'il lui donnait et qu'elle lui rendait. Et Randall Ware n'était pas plus bavard que Vyry.

Page 127 - La saison des récoltes.
Commenter  J’apprécie          220
Des fois, on jugerait bien que les nègres sont l’œuvre du diable et maudits par Dieu. Ils sont mauvais, ils sont bornés ; et, plus ils sont noirs, plus ils sont mauvais ; tous des paresseux, tous des menteurs ! Le Maître, M. Dutton, il les traite bien les nègres, parce qu’il croit que c’est des enfants sans défense et qu’ils n’ont pas de tête ; mais la vérité, c’est qu’ils sont complètement mauvais ; et, rapport à la tête, ils ont la tête carrée. Si on veut se faire entendre d’un nègre, le meilleur moyen c’est le fouet.
(Chapitre 2)
Commenter  J’apprécie          210
- C'est pas des occupations pour toi, dit-il avec mauvaise humeur, de traîner par tout le pays chez ces racailles de Blancs pauvres, à leur vendre des œufs. Jai décidé que je te conduis plus en ville parce que ça suffit comme ça!

- Ecoute bien, Innis Brown, je danse pas comme tu siffles si ta musique me plaît pas! Et je saute ma gigue même si tu chantes autrement!

page 405 - (J'adore!)
Commenter  J’apprécie          290

autres livres classés : esclavageVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Autres livres de Margaret Walker (2) Voir plus

Lecteurs (230) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3179 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}