Le récit débute à Savannah, dans l'état de Géorgie, sud-est des Etats-Unis. Dans le quartier des esclaves de la plantation de coton appartenant à John Morris Dutton, des hommes et des femmes se tiennent immobiles autour de la case de Netta. La pleine lune monte à l'horizon. Netta va quitter ce monde à l'âge de 29 ans. Caline se tient auprès d'elle tout en agitant la palme, elle réfléchit : « pour une esclave, il vaut mieux ne pas avoir d'enfants parce que les enfants, ils risquent toujours d'être vendus ou de mourir et aussi parce que les enfants, ça vous tue quant on en a trop ». Netta a eu quinze enfants les uns derrière les autres et sa dernière couche aura eu raison de sa vie.
Netta, consciente de son état, ne veux pas mourir sans avoir revu sa petite Viry, cette belle petite fille à la peau blanche qu'elle a eue avec le Maître. C'est maman Sukey qui élève la petite car Jake, le mari de Netta, ne l'aime pas. Frère Ezekiel arrive, il porte la petite sur ses épaules suivi de maman Sukey. Grand-mère Ticey, tante Sally, Grandpa Tom, May Liza, ils sont treize à entourer la mourante. Grand-mère Ticey se demande ce que la petite Viry va devenir. C'est elle qui a mis au monde, la petite bâtarde et Mamselle Liliane. Elles se ressemblent comme des soeurs jumelles, Madame Maîtresse n'acceptera jamais de garder la petite bâtarde à la Grande Maison.
Ce fut entre la nuit et le jour que Netta rendit son dernier souffle. de toutes les cases, des lamentations accompagnèrent le cantique de frère Ezekiel :
Un jour bientôt,
La mort viendra frapper à ma porte,
La mort viendra frapper à ma porte,
La mort viendra frapper à ma porte,
Oh, Seigneur !
Oh, Seigneur !
Que fera ton serviteur ?
Voilà ce sont les premières pages de cet immense livre que nous laisse
Margaret Walker ! Sublime n'est pas assez puissant comme adjectif ! Je remercie vivement « Stockard » d'avoir su si bien rédiger son commentaire car sans elle, je serais passée à côté de la vie de cette petite Viry qui est l'arrière grand-mère de l'auteure.
C'est la grand-mère de Margaret, Elvira Ware Dozier qui vivant avec sa famille, lui a raconté la vie de sa mère, une ancienne esclave en Géorgie. de cette tradition orale, Margaret s'est inspirée pour écrire
Jubilee qui de ce fait, est devenu le premier roman noir américain véritablement historique, contribuant ainsi à transmettre les racines folkloriques africaines de la vie noire américaine. Elle fut la première femme noire américaine à obtenir le prix prestigieux « Yale Série of Younger Poets » pour son recueil « For my people ».
Parut en 1966, ce livre est considéré comme un classique de la littérature afro-américaine. Margaret a effectué des recherches sur la vie des esclaves et leur place dans la guerre civile, consulté les registres de naissance. Elle a mis trente ans pour écrire «
Jubilee ». Elle-même mariée à un vétéran handicapé, elle connait la difficulté d'élever quatre enfants tout en enseignant au Jackson State College du Mississipi, tout en travaillant à l'obtention de son doctorat. Non seulement elle porte un projet mais de surcroit, elle le vit. C'est certainement ce qui donne cette puissance à son écriture qui est d'une grande fluidité, très animée, réaliste, immersive.
Je vais vous faire une confidence, c'est la première fois que j'éprouve, dès les premières lignes, cette émotion assez troublante « je me suis sentie chez moi, je connaissais, un peu comme quelqu'un qui revient chez lui », je ne peux pas expliquer ce ressenti.
Alors, cette plongée en plein XIXème siècle, dans cette plantation de coton, fut pour moi une grande émotion. J'ai accompagné Viry dans son enfance, son adolescence, son amour pour Randall Ware, j'ai serré les poings avec elle, je me suis mise en colère, je me suis révoltée, j'ai pleuré, j'ai aimé, j'ai prié, en un mot, j'ai vécu dans la plantation Dutton et je ne sais pas comment, là encore, on peut se reconstruire après toutes ces horreurs.
Chère
Margaret Walker, j'imagine que Viry doit être très fière de vous là où elle est. Elle qui rêvait de voir ses enfants aller à l'école, recevoir de l'instruction !
Viry c'est aussi une personnalité forte, une femme qui se veut libre, une mère comme on les aime aussi, dotée d'un courage exemplaire, consciente de la valeur de l'instruction qu'elle souhaite pour ses enfants, un coeur gros comme ça ……. Et un pouvoir de résilience hors du commun. Un portrait de femme magnifique !
Ce n'est pas un livre triste. Viry ne baisse jamais les bras, elle chante des cantiques, c'est là où elle puise sa force de vivre, c'est un véritable « negro spiritual » qui traverse ce livre.
Ce livre est aussi historique dans sa composition. La première partie relate l'enfance de Viry, son adolescence, sa rencontre avec l'Amour et le quotidien dans la plantation.
La deuxième partie fait place à la guerre de Sécession et là encore, Margaret retrace l'histoire de cette guerre fratricide ne ménageant aucun des camps, sachant parfaitement sans parti pris, dessiner les souffrances, les atrocités qui touchent les deux camps et la troisième partie, s'attache à la reconstruction bien difficile de la Nation et les épreuves que vit une population exsangue, la naissance d'un ostracisme virulent, violent, comme le KKK et sur la nouvelle vie de Viry, ancienne esclave, à la recherche d'une nouvelle terre en compagnie d'Innis Brown, son dernier mari.
Il y aurait encore beaucoup à écrire sur cette oeuvre qui est traversé par un véritable souffle homérique et qui nous donne à aimer une héroïne exceptionnelle, d'une sagesse, d'une bonté intacte malgré les épreuves. Au départ, je m'imaginais l'offrir à l'aînée de mes petites filles adolescentes mais il y a des moments éprouvants mieux vaut être averti et démarrer par «
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur » de
Harper Lee.
«
I have a dream » discours de
Martin Luther King du 28 août 1963
« Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque Etat, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les non-Juifs, les Protestants et les Catholiques, pourront se donner la main et chanter les paroles du vieux Negro Spiritual « Enfin libres, enfin libres, grâce en soit rendue au Dieu tout puissant, nous sommes enfin libres ».