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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un vaurien en vadrouille. C'est ainsi que se définit Simon, le héros des quatre enfants Tanner.
Simon est incapable de conserver un emploi.
Incapable ?
Voilà bien une explication qu'aurait prononcée Klaus le frère aîné si raisonnable. Balayée d'un revers de main par Simon déniant définitivement toute tentative de compromis avec ce triste frère.
Simon parle, monopolise la parole dans de longs monologues.
On l'écoute, avec la satisfaction de pouvoir enfin le comprendre et puis, tout déraille. Il fait volte-face et amorce un grand écart, il nous égare.
Il se comporte comme un enfant accumulant résolutions sans lendemain, décisions brusques et fantasques.
Voila un  livre déroutant et rédiger un avis ne s'apparente pas à une sinécure.
Dès que l'on cherche un sens,  des arguments contradictoires viennent démentir toute tentative.
- Simon est velléitaire  mais ses résolutions restent fermes ;
- Il s'enivre sous des flots de parole ininterrompues, sans cohérence forte, un peu comme de l'écume qui mousserait  et qu'on ne pourrait endiguer ou au contraire il nous assène des tirades où tous les possibles sont là mais aussi ...toutes les échappatoires ;
- Il est porté vers la rêverie et une vie idyllique mais confesse aussi son goût pour une vie modeste et ordinaire ;
- Il fait constamment preuve d'une mauvaise foi tranquille, de désinvolture, teintée d'humour et de panache mais souffre aussi de sa légèreté...
Une belle écriture qui nous associe à de délicats moments, des instants fugaces, des flottements, empreints d'étrangeté et de bonheur.
Une lecture exigeante. Il y a de quoi mettre en doute l'idée même de rationalité et la plus grande erreur serait peut-être de la rechercher. Ce serait précisément ce que fuit plus que tout Simon.
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Au moment de refermer ce livre, je me pose la question de ce que je viens de lire. Est-ce un roman? Pas vraiment. Ou alors d'un genre particulier.
Par certains côtés, il me fait penser à Bartelby, que j'ai lu récemment. le personnage principal est inadapté comme Bartleby et hante par éclipses les bureaux où il est commis aux écritures. Mais là s'arrête la comparaison, car Simon Tanner (c'est lui le personnage principal) parcourt bien d'autres milieux et surtout parle abondamment de lui, soit dans des discours adressés à d'autres, soit dans un monologue intérieur.
Simon Tanner est un jeune homme qui n'arrive pas à s'adapter au monde dans lequel il vit mais il n'en conçoit aucune amertume. Quand il est employé quelque part, il y reste peu de temps, il s'ennuie, ou devient insolent, et il est vite congédié.
Il fait partie d'une fratrie variée que je vous laisse découvrir. Il vaut mieux ne pas trop en parler d'avance. Il aime beaucoup les milieux naturels: montagnes, forêts, campagne, paysages enneigés. Mais il ne dédaigne pas non plus les villes. Il cherche sans cesse à se fixer, mais n'y arrive jamais. Il a quelques relations avec des femmes mais pas de liaisons à proprement parler. Pourtant la rédemption viendra peut-être par les femmes. Mais est-ce prudent de tout miser là-dessus?
Robert Walser a produit un écrit vraiment atypique. Son écriture est très belle, mais fort lisse, et j'ai souvent manqué d'accroche dans cette suite de réflexions sur la vie. Ses personnages sont inadaptés, chacun à leur manière, mais avec bienveillance pour les humains et pour le monde. On y trouve peu de rébellion.
Cela laisse un peu perplexe, comme ce fut le cas des premiers lecteurs de Walser. C'est très beau, mais il manque quelque chose pour nous toucher. Pour autant, je ne regrette pas du tout cette lecture.
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Bien que le titre suggère au moins deux personnages à cette histoire: Les enfants Tanner, nous allons
surtout suivre le parcours de Simon Tanner.
Simon, issu d'une famille nombreuse et aisée,à presque 20 ans, décide de voyager de villages en villages , et de villes en villes, à la recherche de sensations, il a adopté très naïvement du reste, une philosophie de la vie qui consiste à dire :" eh, bien je suis jeune , pourquoi "croupir" derrière un bureau
quand la nature richement embellie et changeante à chaque saison , me tend les bras, quand les hommes sont si amusants à côtoyer, et fort de ces principes, nous allons le suivre au cours de ce voyage naïf et initiatique. C'est un adolescent en quête de reconnaissance, un homme à peine sorti de l'enfance qui se cherche et cherche sa place dans cette société toujours en mouvement.
C'est le roman d'un "marginal qui projette sur la société un regard très philanthropique quitte à se rabaisser lui-même, tout en se "targuant d'être très intelligent (complexe de supériorité , aurait dit ma
"Prof" de philo.).Et puis de temps en temps , faute d'argent, Simon trouve un travail.mais il choisira son départ en toute liberté.
C'est avec patience et douceur qu'il faut lire cette histoire, en essayant de la replacer dans le contexte de l'époque du grand romantisme allemand.
Patience, parce que beaucoup de descriptions de la nature, au demeurant, fort belles, et un jeune Simon souvent en introspection, de longs chapitres et des bavardages un peu "philosophiques,"mais tendres, lors de son séjour chez sa soeur institutrice.
Robert Walzer, est comme le funambule sur un fil, sa folie n'est pas loin et j'ai resssenti ce côté exagéré et extatique, lumineux? Peut-être un peu trop? qui lui vaudront un internement dans l'asile de
Hérisau en 1933 jusqu'à sa mort en 1956.Retrouvé mort de froid, par des enfants, au bord d'une route,certainement suite à une de ses nombreuses promenades qu'il faisait dans la nature.
Ah, fragilité de l'esprit lorsqu'on est poète! .
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Difficile d'évoquer ce roman...

Vous avez l'impression qu'il vous mène de manière décousue d'un point à l'autre, sans réel fil conducteur, si ce n'est son héros, Simon Tanner, que l'on suit au gré de ses errements. Ce Simon est d'ailleurs un drôle de personnage. Nous faisons sa connaissance alors qu'il tente de convaincre le patron d'une librairie de l'embaucher, en lui expliquant que bien qu'il n'ait pas de références, et qu'il ait quitté ses dernières places assez rapidement parce qu'elles ne lui convenaient pas, il sera l'employé idéal...
Et il a de la faconde, Simon ! Malgré la première impression qu'il donne, d'être instable, et beau parleur, il est tellement passionné par son discours, et montre tant d'aisance dans l'argumentation, qu'il finit par convaincre... Il quittera peu de temps après la librairie.

Telle est l'existence de Simon : à vingt et un ans, il passe d'une situation à l'autre, se lassant aussi vite qu'il s'enthousiasme, occupant des places avec la vague intention d'être en accord avec ce que la société attend de lui, pour rapidement, sa lucidité reprenant le dessus, réaliser que ce chemin ne lui convient pas, que la vie, sa vie, est ailleurs...

Cadet d'une fratrie de cinq enfants, il traverse cette vie en électron libre, au jour le jour, suivant ses envies et ses inspirations, souvent soudaines. Il n'a pas d'ambition, au sens social du terme, l'argent ne l'intéresse pas, car il se contente de peu, la couleur du ciel, d'un aliment dans une assiette, le sourire d'un enfant, suffisant à le combler. Contemplatif, il est aussi un observateur attentif du monde qui l'entoure, heureux d'y vivre, tout simplement, et peu enclin à embrasser une vie d'adulte "responsable" et "rangée".
Ceux qu'ils côtoient lui reconnaissent quelque chose de spécial, sans parvenir à le définir précisément. Ils seraient tentés, face à son manque d'ambition, et à ce qui pourrait passer pour de la paresse, de le considérer avec mépris, et en même temps, il se dégage de lui une aura inhabituelle, qui exerce une forme de séduction, et laisse deviner une intelligence, un talent qu'on admire sans bien le cerner.

Les autres enfants Tanner font dans le récit des apparitions plus ou moins fugaces, Simon entretenant avec eux des relations qui vont de la distance courtoise, à une complicité profonde s'agissant de son frère Kaspar, artiste peintre, ou de sa soeur Hedwig, dont il se rapproche intimement lors d'un séjour qu'il effectue chez elle.

L'écriture de Robert Walser est remarquable. Les envolées lyriques ou les fines analyses qu'inspirent à Simon l'observation de son environnement, alternent avec d'intelligents dialogues, à l'occasion desquels les personnages expriment leurs sentiments avec justesse et précision. Attaché aux pas du héros qui le conduit tout au long de son fantasque parcours, le lecteur savoure ainsi chaque phrase, chaque mot... un vrai bonheur de lecture !
Lien : http://bookin-inganmic.blogs..
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Guère connu, ce romancier n'aura au final qu'écrit trois romans et plusieurs nouvelles. Sa particularité, outre celle d'avoir fini sa vie et pendant plus de 20 ans, dans un asile d'aliénés, d'avoir écrit vite, très vite, sans vraiment se relire, sans vraiment ciselé ses mots. Ces « Geschwister Tanner » ont été écrits entre trois et quatre semaines et le manuscrit ne comporte que 3 ou 4 ratures…un exploit au regard d'un style bien particulier, riche d'une poésie quasi fantasmatique.
Autour du principal héros, Simon Tanner, tout se déroule, tout se joue, en une espèce de road movie proche du rêve. Une personnalité forte et fragile, pleine de doute et qui place sa liberté comme élément le plus précieux, passe d'un endroit à l'autre, d'une chambre à l'autre et d'une logeuse à l'autre. A chaque occasion, de dialogues en réflexions, Simon nous fait partager sa vision du monde, sa vision de la vie et des êtres qui la composent. Cette vision semble évoluer, mais toujours retourne au point de départ, celui de pourquoi, du à quoi je sers…frappant quand l'on se sens partager des points communs de caractère, avec un héros qui peut se permettre de les vivre, même mal, jusqu'au bout, jusqu'à l'absolu.
De très belles pages, sur la liberté, sur le don, sur l'acte gratuit, sur les femmes… des pages de rêve ou le héros ne fait rien, mais prend le temps de conscientiser une inactivité source de nombreuses richesses de développement moral.
Un véritable moment de délice pour un beau roman d'un auteur à découvrir.
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Nous avons avec Simon, le personnage principal, une personne à la fois ectoplasmique et papillonnesque, savoir sans personnalité affirmée et toujours désireuse de vivre de l'air du temps, dans l'instant présent, refusant de "s'installer" dans la société et dans la vie et, par conséquent, indigente permanente, détachée des considérations matérielles. Cela n'empêche pas cette personne d'intéresser les femmes, ou des femmes tout du moins, ainsi d'ailleurs que nous, lecteurs. Mais en même temps, et surtout, ce Simon est un véritable poète voyant et chantant la beauté partout.
Eh bien il y a beaucoup d'autobiographie dans ce roman, "Les Enfants Tanner", où l'on trouve nombre d'éléments propres à Robert Walser et à sa fratrie.
L'auteur a vécu comme cela, par choix délibéré, et il s'est affirmé comme un authentique poète. Ce qui est très curieux c'est que l'on trouve dans ce roman des événements de sa vie passée, mais aussi de sa vie future. Ainsi du personnage Simon, qui entreprenait des marches de nuit, en toutes saisons, pour aller d'une ville à une autre dans un environnement de montagne, ou de semi-montagne, ou encore du jour où, marchant dans la neige l'hiver il trouve à l'orée d'une forêt le cadavre d'une connaissance, morte de froid. Or, près de cinquante ans plus tard, en hiver, Robert Walser a quitté l'asile où il vivait pour marcher dans la neige jusqu'à épuisement et jusqu'à décéder. Peut-être avait-il des obsessions qui ont transparu dans ses romans et qu'il a ultérieurement mises en oeuvre.
On l'a compris, Robert Walser avait une certaine bizarrerie, pour le moins, mais, bizarrerie, fragilité ou souffrance, n'est-ce pas le lot de bien des artistes, et même pour certains une condition profonde de leur génie ?
Toujours est-il qu'avec "Les Enfants Tanner" Robert Walser nous réjouit d'une prose lyrique, ailée même, d'extrêmes légèreté et fluidité, et donc sans verbosité excessive ni lourdeur. Nous avons même entre les mains, la plupart du temps, de la véritable poésie et de la plus haute tenue. Tous les lecteurs ne sont pas nécessairement amateurs de lyrisme ou de poésie, mais personnellement ce style m'enchante : c'est si rare ! Robert Walser a eu une carrière productive relativement courte, mais quelle beauté !
La traduction par Jean Launay sert admirablement l'oeuvre.
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Dans la famille Tanner, Simon est le plus jeune des enfants. Il a vingt ans et souffre d'un défaut de socialisation. C'est un vagabond qui mène une vie paresseuse : il vit des rencontres d'autrui pour subvenir à ses besoins. Solitaire et marginal, il refuse tout lien de subordination, et son insolence subtile le sauve des rapports de force au hasard de ses rencontres.

Simon a toutes les raisons d'en vouloir au monde social ! Essaie-t-il de nous persuader que c'est un inconvénient d'être né ? Non, notre héros n'est pas voué à l'ennui !
A la lisière du monde social, Simon est un vivant, heureux d'être dans le monde et faire parti de ce monde qu'il contemple, qu'il aime en regardant toujours d'un oeil neuf, toutes les choses qu'il découvre ! Il a le don et la capacité de s'émerveiller : en somme c'est un hédoniste et rêveur qui refuse toutes les valeurs dominantes et contraintes sociales !

Pour Simon, la morale est en fin de compte, davantage un idéal secret qu'un objet de mépris et son peu de sociabilité ne lui inspire aucun dénigrement des forces de la vie !
Bien au contraire, Robert Walser nous le présente comme un personnage qui exprime l'exaltation de vivre au temps présent.
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Je suis tombé par hasard sur cet auteur dans un autre ouvrage qui parlait de la disparition de soi. Ce qui m'a intrigué c'est la disparition étrange de Walser au cours d'une marche dans la campagne enneigée en direction des ruines du château Rosenberg en Suisse. Walser semblait hanté par la blancheur de la neige et dans ce roman, l'insaisissable Simon Tanner parti marcher dans la montagne , tombe sur un jeune homme mort de froid, couché dans la neige...Un fou, un visionnaire, un poète a n'en pas douter.
La prose de Walser est unique, la fratrie Tanner semble inspirée des personnalités multiples de l'auteur qui promène son regard sur la campagne helvétique, avec la désinvolture d'un esthète...
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Debout au milieu de ses livres, un vieil et honorable libraire s'entend dire par un jeune homme, employé quelques jours auparavant, que ce dernier ne reviendra pas travailler les jours suivants. Dans cette scène d'ouverture se trouve cristallisée une partie des thématiques de ce roman. D'un côté se trouve la société et ses attentes de stabilité et son principe vital du travail ; de l'autre, l'audace, voire l'insolence d'un individu dont la passion première est la liberté, laquelle ne peut s'accommoder d'aucune gêne, d'aucun compromis. Ce jeune homme s'appelle Simon Tanner. Il est le cadet d'une famille de cinq enfants, comprenant une seule fille, dont la mère est morte et le père fort âgé. Simon mène une vie d'errance, faite de menus travaux qui le placent au plus bas des échelons de cette société helvétique, et de tentatives hasardeuses pour se trouver un toit qui offre aussi parfois une compagnie. Son frère aîné, Klaus, est un scientifique reconnu, qui place le respect des conventions sociales au-dessus de toute chose. Kaspar est un peintre paysagiste. Frère adoré de Simon, il impressionne celui-ci par son goût esthétique, sa maîtrise technique et par une personnalité qui, par bien des aspects, ressemble à celle de Simon. Emil est le frère invisible, l'aliéné, l'ancien modèle de tous ayant connu la déchéance psychologique, morale et physique. de lui on ne connaîtra presque rien, sauf ce que voudront bien en dire deux hommes discutant dans une taverne. Hedwig, la soeur, est institutrice dans un petit village suisse. Modeste par ses moyens, elle est tant une soeur parfois moqueuse qu'une petite mère aimante pour Simon qu'elle héberge trois mois. Tout à la fois récit autobiographique que récit contemplatif, relation d'une vie simple et pauvre que manifeste pour une liberté sans concessions, Les enfants Tanner interroge ainsi la difficile, car complexe, relation de l'individu avec la société.

Le titre, Les enfants Tanner, laisse entendre au lecteur qu'il s'agit d'un roman choral. En réalité, ce roman est centré autour du personnage de Simon qui, par bien des aspects, est effectivement resté un enfant. Ne peut-on voir, dans le choix de ce titre, la marque d'une certaine humilité de l'auteur ? Car le récit tient beaucoup à la vie propre de l'auteur, Robert Walser, dont la soeur était institutrice et l'un des frères était peintre. Robert Walser connut, lui aussi, une jeunesse d'errance au tournant des dix-neuvième et vingtième siècles, et la matière de ses Enfants Tanner tient sûrement de ses propres impressions de jeunesse. Biographie de l'homme avant l'écrivain, le roman apparaît déjà comme le témoignage d'une jeunesse de refus, refus de la vie rangée, refus de la soumission à un ordre, mais jeunesse dans laquelle on sent déjà poindre des fragilités. Celles-ci conduiront Robert Walser aux frontières de la folie, non sans avoir laissé auparavant une oeuvre écrite qui marqua ses contemporains, parmi lesquels Walter Benjamin et Franz Kafka. Les enfants Tanner fut écrit quasi d'une seule traite en deux mois, lorsque Robert Walser résidait chez son frère à Berlin. de ce récit en un jet dont la production reflète un unique chemin de pensée, on remarque d'abord la densité - peu de dialogues, de longs monologues où la pensée se déroule, étrangement sinueuse mais aboutie - et la symétrie, avec ces dix-huit chapitres réguliers qui relatent autant d'épisodes de la vie de Simon. L'action, ou plutôt les événements ponctuant le récit, ne sauraient cependant résumer le livre. Évidemment, le parcours de Simon est intéressant : libraire puis scribe dans une banque dans une grande ville qu'on devine être Zürich, hôte passager ou bien permanent chez son frère Kaspar ou sa soeur Hedwig, puis à nouveau scribe dans une maison servant d'imprimerie manuscrite à des clients forts divers, le jeune homme marque surtout ceux et celles qui le croisent et demeurent marqués par ce que d'aucuns appelleraient de l'insolence, mais qu'il pourrait aussi qualifier d'innocence. Néanmoins, le roman est aussi un récit contemplatif, dans lequel les paysages suisses sont décrits avec simplicité, et pourtant la force de ces détails font que l'on voit aisément se dessiner les versants boisés des Alpes helvétiques, ou bien les forêts enneigées qui viennent jusqu'à la lisière des villes. Si la nature est dangereuse - ainsi Simon retrouve-t-il le cadavre gelé du bon ami de Hedwig, et lui-même manque, à la fin du livre mais aussi lorsqu'il s'en va rendre visite à son frère Kaspar, d'être surpris par la nuit ou par le froid -, elle est aussi un refuge pour ce grand enfant qu'est Simon. La nature est ici opposée à la ville. Les paysages grandioses, à cause desquels Simon ne voit pas l'intérêt de voyager trop loin de la Suisse, valent mieux que les cours grises des logements urbains. le rythme effréné de la ville - les logements coûtent cher et nécessite d'avoir un emploi - paraît bien absurde à côté de ces villages où trois mois passent comme trois jours. La nature est enfin l'écrin idéal de la rêverie ; rêverie associée à l'enfance, à l'innocence, et donc à Simon.

Le roman de Robert Walser est le récit d'une existence marquée par la pauvreté. Point de honte, certes, mais point d'espoir non plus. Simon apparaît à ses interlocuteurs comme il est ; il ne cherche pas à cacher sa modestie, et cette absence de gêne déconcerte ceux et celles qui le croisent et remarquent ses gestes qui trahissent d'abord son éducation et sa culture. Simon vit d'expédients et d'emplois alimentaires pour lesquels il n'a aucune inquiétude, ni à les trouver, ni à les quitter. A cause de cela, sa situation financière ne s'améliore guère, mais qui s'en alarme, hormis Klaus, le frère-père qui craint que Simon ne devienne jamais quelqu'un ? Pourtant, à la manière d'un enfant, Simon n'a pas ces craintes. A ses propres yeux, il est quelqu'un, et, si ce n'était sa modestie, il trouverait à sa petite personne une authenticité, une unicité qui le distingue du commun des mortels. Bien des personnages qu'il croise le remarquent, en particulier les femmes. Orphelin de mère (comme Walser d'ailleurs), Simon fait forte impression tant chez Klara, une riche bourgeoise de Zürich, que chez sa logeuse ou bien chez sa dernière hôte, tenant pension ou auberge dans un coin reculé au-delà de la ville. Toutes sont attirées par ce jeune homme qu'elles ont le sentiment, ou l'envie, de devoir protéger. Avec elles, Simon recrée un lien maternel, y compris avec sa soeur, qui symboliquement le chasse de chez elle, comme une mère dont l'enfant devrait, un jour, quitter le foyer. Quant à ses modèles masculins, Simon les trouve chez ses frères : le rigoureux Klaus, le génial Kaspar. Emil, le fou, est oublié. Mais en voudrait-on à un enfant de ne pas se souvenir de cela ? Car Simon, le jeune homme de vingt ans, a gardé les habitudes de réflexion d'un enfant. Sa vision du monde ne fait pas des règles sociales et sociétales des éléments obligatoires en dehors desquels toute vie respectable est impossible. On ne saurait dire que Simon est inconscient de ce que l'on attend d'un jeune homme comme lui ; au contraire, à plusieurs reprises, il tente de se convaincre qu'il lui faudra se mettre au travail sérieusement. Jamais ses velléités ne sont suivies d'effets. Velléitaire, procrastinateur, aboulique, les sévères qualificatifs ne manqueraient pas pour décrire le caractère de Simon. Cela, ce serait cependant oublier la dimension principale : son attrait immodéré pour la liberté.

Vie pauvre, vie dans avenir, mais vie libre. Simon ne fait pas de caprices lorsqu'il quitte ses emplois. Il n'est pas plus un assisté lorsqu'il est hébergé trois mois chez sa soeur. Tout cela est l'expression d'une liberté. Celle-ci tient d'abord au refus des conventions sociales. Simon ne fait pas ce que l'on attend de lui, car il se place, en tant qu'individu, au-dessus de la société qui ne le peut régir. Pour autant, il ne dénigre pas le choix raisonnable que fait la majorité de ses concitoyens. Sa franchise affichée dès les premiers échanges qu'il a avec ses interlocuteurs (avec le libraire, avec Klara, avec sa logeuse ...) le mettent toujours sur un pied d'égalité avec eux, car, indiquant qu'il sait ce qu'ils attendent de lui, et déclarant tout net sa situation et ses attentes, il les met dans une position qui les oblige à révéler leur humanité profonde. Point de calcul avec Simon : tout est connu à l'avance. Ainsi la liberté individuelle ne signifie pas la supériorité d'un individu sur les autres, mais bien plutôt son humilité. Cette humilité le protège et ainsi le rend libre. Simon ne peut être asservi ni par des besoins matériels, que résoudrait une soumission aux conventions sociales, ni par une mise au défi de son égo. Pourtant, force est de constater que cette rébellion, ce refus de grandir, met Simon au-dessus de la mêlée du monde et en fait un être supérieur. Peu s'y trompent, en le croisant, jusqu'à son frère Klaus qui avoue l'inutilité de ses inquiétudes. Cependant, Simon, comme Robert Walser, cache bien mal des fragilités - et en premier lieu, la fragilité de sa situation matérielle - qui annoncent, peut-être, des temps difficiles. Car l'homme n'est qu'un homme, et que toute proclamation affirmée ou tue de liberté se heurte bien souvent aux affres matériels ou physiques communs à tous. Quant à la liberté, encore faut-il la maîtriser. Dans l'un des derniers dialogues entre Simon et Klaus, le frère aîné indique à son cadet combien épuisante est une liberté qui ne s'attache jamais à rien, vraiment. L'apprentissage de cette dernière est difficile, comme l'est l'intégration de l'individu à la société. Walser l'éprouva douloureusement.
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Voilà un roman bien difficile à critiquer ! C'est une amie qui m'avait fait découvrir Robert Walser avec son Retour dans la neige, dont les descriptions poétiques de villes suisses recouvertes de neige m'avait émue...

Avant d'entrer dans le vif du sujet, un petit rappel sur la vie de l'auteur : issu d'une fratrie de huit enfants, Robert Walser a exercé de nombreux emplois, dont celui de journaliste, avant d'être interné dans une clinique psychiatrique pendant près de trente années : le 25 décembre 1956, il s'échappe de la clinique pour une promenade jusqu'à épuisement ; il sera retrouvé mort dans la neige.

Revenons aux enfants Tanner, que l'on découvre au fur et à mesure du roman par le prisme de Simon, le plus jeune : Hedwig, la seule femme, institutrice, Klaus, le médecin responsable et sérieux, Kaspar, le peintre de génie, et Emile, au destin tragique.

Si les portraits de personnages sont nombreux, le roman se raconte par Simon, qui devient peu à peu par son inconstance incessante le seul point d'ancrage du récit ; la lecture même des enfants de Tanner se confond avec la vie de Simon, qui semble être une longue promenade parfois rêvée, parfois réelle, si souvent sublimée. On se perd dans des réflexions philosophiques autour du travail, de l'âge, de ce qui relève du nécessaire et du plaisir. On se plait (ou pas) à faire corps avec Simon, être contemplatif par excellence : de la nature d'abord, dont les descriptions sont véritablement exquises et transcendantes, des femmes ensuite, auxquelles il voue une admiration sans borne et se plait à obéir, et finalement, et surtout, de lui-même : une bonne partie des Enfants de Tanner relève en effet de circonvolutions autour d'une sorte de justification des propres actes de Simon, de dissertation sur sa vie, sans cesse mise-en-scène ; cette agitation spirituelle et intérieure finit par couper le personnage principal de toute capacité d'action réelle, qui se meut en discours où transparaît finalement la conscience de sa propre futilité.

Et que c'est énervant, ce romantisme absurde, cette fulgurance intellectuelle et cette platitude de l'action ! Quelle lenteur ! Toute ma lecture se sera faite par à-coups, jusqu'à la fin, magistrale, qui met en scène le cinquième membre de la famille dont on sentait planer l'ombre jusque-là. L'on referme le bouquin et l'impression qui subsiste est celle d'avoir rencontré l'auteur, sans parvenir pourtant à l'effleurer : on se sent imprégné de Walser, sans savoir s'il se cachait derrière Simon, derrière le mort, ou derrière Emile...Probablement tous les trois.
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