Entendons-nous bien dès le départ : je ne suis pas du tout spécialiste de l'Égypte antique, je me suis principalement nourrie à ce sujet d'oeuvres grand public entre les BD Papyrus,
Alain Surget (Thuya je crois qu'elle s'appelle son héroïne), quelques documentaires jeunesse et plusieurs sagas de
Christian Jacq, qui paraît-il n'est pas toujours très exact (voire largement pire). Tout ça j'ai bien aimé, et comme j'ai repéré beaucoup de choses qui se croisaient j'ai une représentation de l'Égypte antique globale certainement bien trop homogène mais j'espère pas tout à fait aux fraises quand même, et si c'est le cas bah tant pis, je suis prête à revoir mes connaissances.
Sur ce point je n'ai pas été déçue : Waltari nous embarque de Thèbes, que Sinouhé aime énormément, et qui nous est décrite avec beaucoup de détails et d'émotion, de même que les bords du Nil, ce qui donne lieu à un certain nombre de passages poétiques, lyriques même parfois. Il nous fait découvrir aussi un peu le reste de l'Égypte, Babylone, la Syrie, la Crète, Mitanni (en Mésopotamie également). Si le fil conducteur reste la vie de Sinouhé les événements politiques et économiques du pays de Kemi (l'Égypte, ça je m'en souvenais 😉 ) sont omniprésents tantôt en arrière-plan tantôt au premier selon l'action de Sinouhé parmi les Grands :
les pharaons Aménophis III et son fils Akhenaton, puis le général Horemheb, jusqu'à l'avènement de Ramsès après le décès de Toutankhamon. Alors oui c'est sûr c'est un peu la période la plus représentée de l'histoire du pays, et 60 ans sur quelques milliers c'est un peu court… En même temps cela reste une période de grands troubles et grands changements pour l'Égypte, en même temps qu'elle met en scène des personnages que tout le monde connaît plus ou moins, donc ça reste un terreau fertile pour une bonne histoire. J'ai en effet apprécié qu'on me réexplique à nouveau tout ce qui s'est passé sur cette période historique, le pourquoi et le comment (même si j'imagine que Waltari a pu prendre des libertés), et le tout reste dense et riche en aventures autant qu'en références et explications historiques. L'immersion est donc plutôt réussie dans sa globalité.
Cependant j'ai eu plusieurs soucis pour apprécier pleinement ma lecture.
Déjà, le livre aurait pu s'intituler : Les Malheurs de Sinouhé. Ce type est bête comme ses pieds, d'une naïveté affligeante, et j'ai passé pas mal de temps à avoir envie de lui coller des baffes. La gentillesse c'est bien, mais c'est bien aussi de ne pas laisser tout le monde te marcher dessus ! Entre la courtisane qui lui « vole » tout avec sa permission, ses mauvais choix politiques qu'il n'assume pas complètement, sa manie de tomber amoureux de toutes les femmes qui passent (ce qui est déjà chiant en soi pour le lecteur) sans pour autant aller jusqu'au bout dans ses relations, ou bien perdre ceux qu'il aime en faisant des choix tellement mauvais qu'on se demande s'il a deux neurones qui se connectent… Et en plus il n'arrête pas de s'apitoyer sur son sort. C'est juste hyper frustrant.
Allez je retourne à mon petit laïus (trop) habituel : où sont les personnages féminins bordel ? Je parle bien de personnages qui ont une profondeur, un caractère, pas de simples motivations amoureuses/sexuelles pour le héros (présentes) ni de bonniche (présente aussi, même qu'elle s'appelle Muti, je me demande si le lecteur doit rapprocher ça de « Mutti » (« maman » en allemand) ou mutsi (« maman » en finnois) ?) ni de mère (également). Je vous épargnerai aussi les très nombreuses occurrences de femmes qui servent de « divertissement » aux hommes, qu'ils soient maris, amants, clients de maisons closes ou… violeurs. Oui, oui. Lors d'un pillage de guerre, les hommes se « divertissent » avec les femmes de la ville vaincue. On peut mettre ça sur le dos du traducteur, ou de l'auteur, j'en sais rien. Enfin, je pencherais quand même pour un minimum de responsabilité de la part de l'auteur.
En fait Sinouhé a l'air de se ficher complètement que des femmes soient violées pas loin de lui, ou de les traiter lui-même comme des objets ou d'exploiter leurs « rôles sociaux » assignés, alors qu'il exprime de la pitié pour les pauvres, de la compassion pour les malades, qu'il encourage ses amis masculins à évoluer ou à se faire respecter… et qu'il chouine aussi beaucoup sur lui-même.
Enfin hormis leur aspect historique je n'ai trouvé aucun personnage réellement intéressant ou consistant. le nain Kaftah, ressort comique du narrateur, a réussi sa mission sur moi – mais de justesse – et cela ne peut pas rattraper à mes yeux le fond bassement sordide plus qu'épique, les héros qui sont loin d'en être, la succession de crimes, d'intrigues vicieuses (même si je conçois très bien cet aspect puisqu'on est sur un thème politique assez fort), et de figures archétypales sans âme. J'ai franchement été pas loin de m'ennuyer sur ce bouquin, et je me suis rendue compte après qu'il avait 40 ans de moins que ce que je pensais ! J'avais en fait retenu la date de naissance de l'auteur, et déplorais que ça ait quand même mal vieilli…
L'auteur semble conclure avec un Sinouhé en même temps vaguement repentant de ses erreurs et de ses crimes – oui parce qu'en fait il y a un moment où il commence à faire des mauvais choix non plus par gentillesse mais par peur ou autres motivations, et tombe dans une spirale immorale – qui dresse un portrait plutôt amer de lui-même même s'il se dit satisfait des quelques moments de bonheur qu'il a vécu. Certains lecteurs trouveront probablement dans ce livre, qui n'est pas mal écrit non plus, une fresque humaine émouvante et réaliste ; pour ma part cela ne m'a ni plu ni convaincue tant je n'ai pas réussi à comprendre ou accepter les choix du héros qui se pose en éternelle victime, ni sa vision des choses, même si Waltari a par ailleurs su me faire voyager.
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