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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
*** Chronique de la rentrée 2019 # 5 ***

Sainte Rita, de Tommy Wieringa, une nouvelle surprise due à lecteur.com et les explorateurs de la rentrée. Ce livre se présente comme une chronique villageoise, un roman d'amitié et de filiation. Or, dès les premières pages, je découvre que la vie se traîne à Fagne-Sainte-Marie, petit village en perdition dans l'est de la hollande. L'amitié entre Paul et Hedwiges a le relent d'une camaraderie de gosses depuis toujours laissés pour compte par les copains d'alors. Celle, mal entretenue, entre Paul et Rita est codifiée par le bordel qui emploie cette dernière et la filiation qui unit Paul et son père Aloïs est le reliquat du naufrage familial consécutif au départ de la mère avec un russe tombé du ciel avec son avion en plein champs de maïs ! Non, vraiment, pas de quoi bondir de joie, tomber en addiction livresque ou chercher à s'identifier à tel ou tel personnage.
Il me faut donc chercher à mieux comprendre, à deviner l'intention de l'auteur ou, à défaut, me laisser interpeller par les questions que soulève ma propre lecture…
Je poursuis donc cette entrée dans l'intimité de Paul et, bonne surprise, je découvre chez Tommy Wieringa une écriture en trompe-l'oeil. Si on amalgame tout ce qui est dit sur le passé de la région et son présent, la vie communautaire d'antan et le déclin actuel des affaires, l'installation au village d'une économie chinoise sans intégration réelle de la communauté asiatique, l'exode rurale et le fossé qui se creuse entre ceux qui s'efforcent d'avoir une longueur d'avance sur leur temps et ceux qui n'arrivent pas à le rattraper, ce n'est pas l'image d'un bled de l'est hollandais que l'on perçoit, c'est une métaphore notre vieille Europe. C'est elle qui se délite ici alors qu'elle se revendique être à la pointe ailleurs. Fagne-Sainte-Marie est l'image d'un monde fatigué dans lequel les uns se perdent tandis que d'autres, opportunistes s'y retrouvent.
Et comme dans toutes les communautés restreintes mais divisées, les moteurs relationnels sont la méfiance, les rancoeurs, la jalousie, l'étalement de la puissance et le marquage des uns par les autres. Et, dans la mouvance de ces villages comme du monde, il y a toujours les esseulés, repliés sur eux, ne sachant pas trop comment se situer, bourrés de rêves mais sans l'énergie nécessaire pour les transformer en projets. Ils subissent, acceptant finalement tout jusqu'au jour où ils exploseront devant trop d'injustices ou de mépris à leur égard. Alors, ils tueront ou se feront tuer !
Au coeur de ce village, de ce monde, Paul a observé son père ayant connu une longue époque de rude vie campagnarde. Un temps où le temps ne semblait pas prendre une ride, où l'église rassemblait ses ouailles le dimanche tandis que le café lui faisait concurrence toute la semaine. Chaque hiver, il a connu sans les dominer, les canaux gelés et l'élégance de son père patineur. Il connait la récolte des pommes de terre, des navets et des choux à la sueur du front et des courbatures du travailleur. Et, sans en prendre vraiment conscience, Paul est pris, avec son village, dans une grande chaîne de dominos cascades qui tombent sous l'effet de la contagion du rêve d'une vie loin des labeurs et des labours, d'une vie tout confort où l'argent n'est plus le fruit d'un travail mais le moyen de ne plus devoir travailler. La modernité est passée par là. Pas loin en tous cas et elle a creusé un fossé inconcevable dans ce plat pays qu'est la Hollande, fossé dont il ne sortira jamais ! Il y a maintenant ceux qui vivent ailleurs, qui fuient la lourdeur des boues qui collent aux sabots et ceux qui, restés, exploitent les quelques niais comme lui qui n'ont rien compris aux trafics en tous genres : drogue, sexe, magouilles et fanfaronnades de comptoirs. Ce désert économique de l'Est hollandais, ce bled perdu au coeur même du Continent, c'est la plaie d'une Europe fatiguée, d'un cancer économique qui la vide de son sang et de son sens. Les chinois s'installent chez nous et nous exploitent, le curé est importé du Brésil et ne sauve plus les âmes, la drogue circule mieux que les ambulances et le sexe ne se partage plus, il se vend et remplit le réservoir de la voiture rouge au cheval cabré du mafieux local.
Tommy Wieringa décrit notre vieille Europe et ses dysfonctionnements, avec, au coeur du récit, ceux qui n'ont rien vu venir, ou n'ont pas pu faire face et qui se retrouvent en perdition face à l'accélération sans borne du changement. Comment trouver une place ?
L'histoire de Paul, de Hedwiges, de Rita et des autres se laisse lire d'autant que l'auteur y développe un humour subtil, avec un sens de la formule et du raccourci qui font sourire. Une belle manière d'aborder cette tranche d'histoire relative au changement, au temps qui passe alors que nous restons… Mais, ce n'est pas le plus intéressant à mes yeux. En effet, comment ne pas être sensible à ce regard de l'auteur sur la solitude de nos vieux, le manque d'aide apportée aux aidants, les blessures que la vie impose à tous ceux qui n'ont pas réussi à vivre selon le modèle consensuel qu'ils n'arrivent ni à identifier, ni à comprendre, encore moins à endosser ?
Si le lecteur accepte de ne plus attendre d'un auteur qu'il lui coupe le souffle à chaque page, qu'il le précipite dans une tension extrême et qu'il l'amène, sous addiction, à une fin inédite, toujours angoissante, inventive, sordide, apocalyptique, bref, une fin digne d'un thriller, ce roman peut ouvrir un espace de réflexion sur les modes de vie qui structurent notre quotidien et qui interpellent Sainte Rita à propos de l'aide qu'elle pourrait apporter à la cause désespérée de notre petit monde d'aujourd'hui !

Lien : https://www.lecteurs.com/liv..
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L'enfance de Paul Krüzen a été marquée par l'abandon de sa mère partie avec le premier étranger à avoir débarqué dans leur village, un Russe échappé de l'Union soviétique à bord d'un avion pulvérisateur. Après ce Russe, d'autres nouveaux venus sont apparus dans le village, arrivés d'Asie puis d'Europe de l'Est perturbant la tranquillité de la communauté. Alors de que nombreux résidents d'origine sont partis, Paul, profondément enraciné dans sa région, n'a jamais eu envie d'en partir. A cinquante ans et toujours célibataire, il habite avec son père dans leur ancienne ferme et vivote entre son commerce d'objets militaires, son pub habituel, ses visites à Rita (sa prostituée préférée) et son ami Hedwiges qui tient l'épicerie délabrée de feu ses parents. Tout est à peu près paisible jusqu'à ce qu'un Russe (encore !) fasse des siennes et mette Paul très, très en colère..

Roman mélancolique et nostalgique, Sainte Rita raconte l'histoire de solitaires, de retardataires, de marginaux, dans un environnement indéniablement sujet au changement. C'est là l'esquisse amoureuse d'un monde qui disparaît, de l'inévitabilité du destin, du petit tournant qui aveugle une vie. L'humour adoucit le désespoir silencieux, la langue à la fois simple et savoureuse sait merveilleusement bien rendre l'atmosphère bucolique du village avec de beaux détails sur la nature pour faire de cette lecture un vrai moment de plaisir.
Tissant adroitement le passé et le présent avec un rythme assez lent, Sainte Rita n'est pas un roman d'action mais la tension qui augmente lentement au fil des pages, sous la surface des événements quotidiens, tient l'intérêt en éveil jusqu'à la dernière page !
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Chronique d'une mort annoncée tant sociale que physique "Sainte Rita" est un livre étrange , quelque peu dérangeant puisque nous mettant face à face avec nos petits travers et mesquineries. Un récit au rythme lent qui nous laisse le temps de nous imprégner de l'atmosphère , lourde, de ce petit coin des Pays-Bas oublié de tous et où les habitants vivent dans l'apparence du bonheur .Une histoire banale de gens ordinaires pour qui un jour la vie dérape. Une histoire d'amitié également de celle qui se forge sur les bancs d'école. Un roman prenant aux tripes même si l'action y est quasi inexistante. Une excellente traduction du néerlandais également même si personnellement j'aurais préféré que l'on garde le nom des villages originaux comme le nom des personnages plutôt qu'une traduction française qui dénature un peu les lieux . Un très bon moment de lecture donc que ce roman critique, sombre pour ne pas dire noir et profond.
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À Fagne-Sainte-Marie, gros bourg hollandais proche de la frontière allemande, quarante ans plus tôt, en août 1975, un avion d'épandage conduit par un russe fuyant son pays s'est posé à côté de la ferme des Krüzen. de quoi bouleverser la vie du petit Paul, qui, aujourd'hui, ressent encore les effets du séisme que l'incident suscita dans sa famille… « Sainte Rita » est l'histoire tantôt grave, tantôt pleine de fantaisie, de légèreté et de cocasserie, de Paul Krüzen, vieux garçon habitant avec son père malade, devenu collectionneur et revendeur d'armes et d'objets militaires, mais aussi celle d'Hedwiges, un autre célibataire endurci, son meilleur ami, confiné dans son épicerie moribonde, et de Rita, prostituée philippine, à qui ils ont offert un médaillon à l'effigie de la sainte éponyme, patronne des causes perdues. Et ce trio de paumés, dépassés par l'arrivée de chinois à la tête des estaminets du village et l'extension de trafics divers aux mains de caïds locaux, incapables d'évoluer dans ce monde en marge mais peu à peu gangréné à son tour par la mondialisation, aurait bien besoin de l'intercession de la sainte… Rien n'y fait pourtant, et tout semble devoir aller de mal en pis ! Mais le lecteur est tout du long de ce récit séduit par l'humour pince-sans-rire, l'incongruité des situations, l'alternance baroque de la farce et du tragique, du fou rire et de la mélancolie, le ton distancié qu'utilise l'auteur pour évoquer la question angoissante de la disparition d'un certain monde rural et des liens traditionnels qui y rendaient la vie supportable. Une comédie plus profonde qu'il n'y paraît au début du texte, un très agréable moment de lecture !
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