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Qu'est-ce que servir le peuple pour un chinois durant la révolution culturelle ? Jusqu'où cela va-t-il ? Jusqu'au sacrifice de soi ? Jusqu'à trahir ? Jusqu'à l'absurde ? Telles sont les questions que posent Lianke Yan dans ce petit roman jubilatoire dans lequel l'auteur souvent nous interpelle directement afin de mieux souligner l'absurdité ou la cocasserie des situations engendrées par le régime communiste. Si nous nous éloignons de la poésie presque animiste qui m'avait enchantée dans « Les jours, les mois, les années » et dans « Un chant céleste », il est bon de retrouver la plume de l'auteur plus caustique, plus féroce que jamais.

Étudiant et serviteur modèle, servile, Wu Dawang est un homme qui a le sens du devoir, sens d'autant plus exacerbé qu'il a promis à son beau-père et à sa femme de monter vite les échelons et de devenir cadre du parti, promesse faite lors de ce mariage arrangé, aussi redouble-t-il de zèle et d'obéissance.
Il connait les citations de Mao Zedong par coeur, et récite, tels des mantras, les formules et aphorismes adéquats à qui l'interroge. A tel point d'ailleurs que si on enlevait de son cerveau les slogans peints sur les murs et les discours imprimés dans les journaux et les livres ou proclamés dans les haut-parleurs, Wu Dawang serait un homme vide qui n'a pas réussi pour le moment à trouver le bonheur conjugal, sa femme étant très froide et distante, ne désirant que son ascension sociale. Parler peu et travailler avec ardeur sans jamais se plaindre, tel était le principe qui règle sa vie. En bon élève obéissant, il redouble d'effort pour « servir le peuple » du nom du slogan maoïste de 1944. D'ailleurs ses efforts portent leurs fruits, il devient cuisinier du Colonel et de sa jeune et belle épouse Liu Lian. Il cultive leurs légumes et leur fait les repas. Liu Lian se retrouve souvent seule, le colonel étant très occupé.

« Ainsi, lorsque le colonel vaquait à ses occupations, il ne restait dans cette maison construite par les Soviétiques que Liu Lian, la femme du colonel, âgée de trente-deux ans, et Wu Dawang, l'ordonnance faisant office de cuisinier, âgé de vingt-huit ans. C'était comme si, dans un immense jardin, il n'était resté qu'une jolie fleur et un sarcloir ».

Liu Lian, sous prétexte d'avoir besoin de lui, l'attire dans sa chambre dans laquelle elle lui fait clairement comprendre ce qu'elle souhaite. Voici notre Wu Dawang tiraillé entre l'attrait pour cette femme somptueuse qui le désire ardemment et l'honnêteté qu'il se doit d'avoir vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, tiraillement décrit avec sensualité et grivoiserie par l'auteur qui atteindra un summum lorsque, d'abord luttant contre ses désirs, il apprend que Liu Lian a exprimé son mécontentement auprès des autorités, elle souhaite le renvoyer car il a désobéi et n'a pas bien « servi le peuple », ce qui compromet ses ambitions et la promesse faite à sa femme…Vaudeville à la sauce pékinoise que Lianke Yan maitrise de main de maitre, je me suis régalée…

« du coin de l'oeil, il regarda dans la direction de Liu Lian ; ce n'était plus un arc-en-ciel qu'il voyait. Ses yeux le brûlaient et la douleur devenait intolérable. Au moment où il détournait les yeux, le souffle gonfla le haut de la chemise de nuit et, pris au dépourvu, il ne put s'empêcher d'apercevoir ses seins. Ils étaient gros, blancs, aussi ronds que s'ils avaient été tracés au compas et aussi appétissants que les petits pains cuits à la vapeur dont le colonel était si friand. le colonel et sa femme étaient des gens du Sud, ils appelaient ces petits pains des mantous et ils les adoraient. Ce fut donc l'image des mantous qui vint à l'esprit de Wu Dawang lorsqu'il aperçut les seins de Liu Lian, et il faillit tendre le bras pour les saisir. Heureusement, dans sa jeunesse, il était allé au collège et l'armée avait fait de lui un homme à l'idéal élevé qui jouissait de la confiance et de l'estime du colonel et de tout le régiment, un homme résolu à consacrer sa vie tout entière au combat pour le communisme ».

Lianke Yan détourne le slogan maoïste et « servir le peuple » devient de façon très drôle le devoir de satisfaire les désirs sexuels de la femme du colonel. La fable prend peu à peu une allure féroce : pour alimenter ce brasier et entretenir le désir, pour éloigner le spectre de l'ennui et de l'habitude dans lequel cas il n'aurait pas réussi à « servir le peuple », le couple illégitime s'aperçoit que plus ils détruisent et saccagent des symboles liés à Mao Zedong (portraits et sculptures cassés, livres d'aphorismes déchirés…), plus la peur terrifiante que cela provoque alimente un désir se faisant incandescent…

C'est hilarant, jubilatoire, c'est satiriquement drôle ! Vous imaginez bien que ce livre a été, et est toujours, interdit en Chine. Quelle insolence et quel courage de la part de l'auteur d'avoir écrit avec autant d'originalité et de liberté de ton cette satire contre l'ordre social ubuesque provoqué par la révolution culturelle et le maoïsme, et contre les mariages arrangés.

J'imagine Lianke Yan rire en écrivant ce livre. Et son rire aurait eu « le bruit d'un glaçon tombant sur la braise »…

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J'ai beaucoup d'admiration pour Lianke Yan, son courage, son esprit rebelle... "Bons baisers de Lénine" et "le rêve du village des Ding" sont pour moi des modèles d'oeuvres dissidentes. Ces romans étaient forts, durs, prenant pour sujets des thèmes graves. Au contraire de ces récits, "servir le peuple" a un ton léger, souriant et grivois. Ce qui n'atténue en rien la force du propos. S'il n'a pas la charge émotionnelle des romans dramatiques de l'auteur, s'il ne suscite pas le même sentiment de colère, "servir le peuple" est un jeu de massacre jubilatoire.

Wu Dawang est ordonnance et cuisinier au service d'un colonel de l'armée. Lorsque ce dernier s'absente, Wu Dawang et la fmme du colonel, Liu Liang, vont entamer une liaison passionnée. Première offense envers l'establishment chinois : le slogan maoïste "servir le peuple" est détourné, prenant ici le sens de devoir satisfaire sexuellement la femme du colonel. Par la suite, le couple illégitime découvre, en cassant par accident un tableau de citations du grand timonier que ce geste quasi-blasphématoire enflamme leurs sens, décuple l'intensité de leurs ébats et de leur plaisir. S'ensuit un passage très drôle où le cuisinier tout en besognant fougueusement sa partenaire, piétine avec tout autant d'ardeur le tableau de citations. Et Lianke Yan ne s'arrêtera pas à cette scène. le lecteur sera abasourdi par un chapitre hallucinant où les amants pris d'une frénésie érotico-destructrice saccagent tout ce que la caserne peut contenir d'objets en rapport à Mao. Tout y passe, les portraits ont les yeux crevés, les sculptures ont le nez défoncé, les bols et assiettes arborant les slogans du régime sont brisés, les pages des livres d'aphorismes arrachées... On imagine bien la jubilation de l'auteur lorsqu'il a écrit ces cinq pages délirantes. Bien entendu, ces outrages ont valu au livre d'être interdit en Chine.

Le reste du récit est plus sage. "Servir le peuple" n'a pas la force émotionnelle des drames de Lianke Yan mais rien que pour l'audace et la folie de ces passages à rendre dingues les membres du parti communiste chinois, rien que pour saluer le courage de cet homme qui fut militaire et écrivain officiel de l'armée avant de devoir s'exiler, ce roman mérite le détour.

Challenge Multi-défis 2016 - 50 (un livre dont le titre contient un verbe à l'infinitif)
Challenge ABC 2016-2017 - 8/26
Challenge Petits plaisirs 2016 - 47
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Servir le peuple est un court roman satirique jubilatoire toujours interdit en Chine, depuis sa parution dans un bimestriel en 2005.
A l'époque, "le Département de la Propagande du Comité central du Parti communiste chinois juge, que le roman dénigre Mao et son "noble but de se mettre au service du peuple", qu'il nuit à l'image de l'armée, qu'il porte atteinte à l'idée de révolution, que ses scènes de sexualité débridée sont de nature à semer le trouble dans les esprits et, enfin, qu'il fait l'apologie de concepts occidentaux erronés" ( Courrier International du 27/4/2005).
Vous vous dites les Chinois exagèrent, ils censurent pour un oui pour un non...Heu peut-être mais là non. Il fallait être sacrément culotté pour publier un roman aussi insolent !
L'action se déroule pendant la Révolution culturelle. Wu Dawang est un jeune soldat d'origine paysanne tellement zélé qu'il a été affecté au service de son colonel. Celui-ci, très soucieux de faire des économies, l'a choisi car il cumule avantageusement les fonctions d'ordonnance et de cuisinier. Wu Dawang semble extrêmement servile et, à celui qui s'en étonne, il répète inlassablement la formule militaire qu'il a apprise du Grand Timonier : "se mettre au service de l'officier, c'est se mettre au service du peuple". Un jour, le colonel part pour deux mois dans un séminaire à Pékin. le laissant seul avec Madame, trente deux ans. "C'était comme si, dans un immense jardin, il n'était resté qu'une jolie fleur et un sarcloir".
J'ai beaucoup aimé ce livre. D'abord il est complètement iconoclaste. Il désacralise l'armée, la révolution, Mao. Un jour l'amant brise sans faire exprès une statue en plâtre du grand Timonier. A l'époque, une maladresse pareille aurait été prise sans aucun doute comme un acte anti-révolutionnaire gravissime. Là au contraire elle décuple la libido des deux amants qui s'en donnent à coeur joie en foulant aux pieds les objets du culte en veux-tu en voilà. Il s'en prend aussi à l'ordre social sclérosé et au mariage arrangé. Si Wu est aussi zélé, c'est qu'il n'a pas le choix. Il s'est engagé, a fait des promesses. Il lui faut servir l'armée pour espérer pouvoir quitter sa condition misérable de paysan et accéder au statut de citadin. Mais les places sont rares, il faut donc avoir des relations. Et l'on comprend que servir le peuple revient à se servir soi-même J'ai aussi bien apprécié la complicité que crée l'auteur avec son lecteur en lui présentant les ficelles et la dramaturgie de son récit. Et puis l'écriture est formidable, pleine de métaphores bucoliques à la sauce révolutionnaire. Elle mêle avec bonheur l'ironie douce, le sarcasme et la bouffonnerie.
Bref un livre épatant superbement traduit.
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Wu Dawang, agé d'une vingtaine d'années, a laissé au village sa femme et son fils pour rejoindre l'armée où il est l'ordonnance d'un colonel pour lequel il travaille également comme jardinier. Liu Lian, la femme du colonel, à peine trente ans, a repéré le jeune homme et par stratagème se l'attache comme cuisiner le menaçant, s'il refuse, de le faire renvoyer dans sa famille. Wu, docile et conditionné ”pour servir le peuple”, s'acquitte de ses taches avec obéissance et déférence. Liu se fait de plus en plus pressante et, pendant l'absence de son mari, continue son entreprise de séduction, alternant menaces et gestes provoquants, laissant le jeune homme d'abord hesitant mais assez rapidement consentant. Débute alors une relation passionnelle, attisée par la transgression de tous les préceptes de l'éthique, de la morale et de la politique pronés par le régime communiste.

Servir l'exemple est un récit transgressif - Lianke Yan est interdit de publication en Chine - un récit dans lequel le jeune Wu, programmé pour servir les idéaux communistes dans l'armée, se trouve manipulé par une jeune femme, qui va non seulement lui faire découvrir l'amour passionnel, mais profondément remettre en question les fondements et les croyances dans lesquels tout chinois est baigné et conditionné dès l'enfance. de destruction du buste représentant Mao, aux images et livres politiques foulés aux pieds, les deux amants vont, au joug imposant de ”servir le peuple”, préfèrer leur bonheur individuel, un bonheur qui ne peut perdurer bien longtemps.
Lianke Yan livre un récit original sur le sujet de la transgression, une variation dont j'ai trouvé l'écriture (ou la traduction) assez maladroite, un style assez enfantin, la psychologie des personnages est assez bien rendue mais ils restent assez froids - un sentiment dû à une narration assez distante. Une petite déception donc, mais intéressant pour connaître le moule et le conditionnement continuel que subissent les individus, niés par le système politique.
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Un roman (et un auteur) découvert grâce à mes amies babeliotes hordeducontrevent et mh17.

Absolument étonnant et en même temps réjouissant que de lire un tel ouvrage, écrit dans un pays tout ce qu'il y a de totalitaire, et qui, il faut bien le constater, le devient encore plus avec le pouvoir de Xi Jinping.

Il fallait vraiment un bonne dose de courage pour oser écrire ces pages, et on peut comprendre que ce livre soit toujours interdit en Chine depuis sa parution en 2005, et que l'auteur ait été chassé de l'armée en 2002 pour la publication d'un autre roman, Bons baisers de Lénine.
Je me demande d'ailleurs comment cet écrivain peut encore résider à Pékin, comme l'indique sa biographie.

Car cette histoire est absolument jubilatoire, menée par un auteur qui pratique avec brio l'humour pince-sans-rire, qui nous sert de façon parodique des paroles de Mao ou d'autres dignitaires du régime chinois, à commencer par le titre Servir le peuple, qui est tourné en dérision pour prendre ici une connotation bien particulière.

A une époque qui doit se situer dans les années 1960 , le jeune Wu Dawang, issu de la paysannerie, est un soldat modèle, zélé à l'extrême, connaissant par coeur les phrases du petit Livre Rouge, et voulant par sa docilité au service de l'armée devenir cadre et pouvoir ainsi résider avec sa famille en ville. Comme il est aussi exceptionnellement doué pour la cuisine, le Colonel de son régiment le recrute pour lui servir à la fois d'ordonnance et de cuisinier.
Ce colonel est marié avec une très belle femme plus jeune que lui, Liu Lian qui trouve Wu Dawang bien séduisant, et lui laisse entendre que Servir le peuple, c'est aussi servir la femme d'un gradé.
Le Colonel part en mission à Pékin pour deux mois, laissant le champ libre à la belle. Après avoir été réticent, car il est marié, notre héros succombe et c'est une liaison torride qui s'installe, et quand un «coup de mou » survient dans leurs ébats, les amants s'aperçoivent que la destruction des « icônes » du régime, portrait ou buste en plâtre de Mao, maximes affiches au mur, etc.. stimule à chaque fois leur libido, et chacun des amants, pour retrouver l'excitation, surenchérit avec une volupté rageuse en se prétendant le meilleur ou la meilleure « contre-révolutionnaire ».
Mais le Colonel doit bientôt revenir, et Wu Dawang quitte sa belle qui lui annonce être enceinte de ses oeuvres.
La dernière partie du roman est un peu moins réussie, plus incertaine, mais j'ai trouvé la fin suggérée par l'auteur plutôt belle, je n'en dis pas plus.

On comprend que ce roman satirique qui tourne en ridicule les maximes et objets sacrés du communisme chinois, n'ait pas plu du tout aux autorités du pays.

J'ai beaucoup aimé aussi l'écriture du roman, surtout dans la première partie, avec son choix de citations détournées de leur sens, ses métaphores comiques.

En conclusion, grâce à Babelio, encore une belle découverte, et une forte envie de lire d'autres livres de l'auteur, il paraît d'ailleurs qu'il a écrit des romans forts et émouvants, et d'autres très poétiques
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Servir le peuple !, mot d'ordre de la Révolution culturelle voulue par Mao, et de ce roman pour le moins provocateur et dérangeant pour le Parti…Car Lianke Yan n'y va pas de main morte pour tourner le slogan en complète dérision. Wu Dawang, soldat méritant de 28 ans, a été choisi par le colonel commandant son régiment pour cumuler des fonctions d'ordonnance et cuisinier. Et chez le colonel, au centre de toutes les attentions, une pancarte scandant « Servir le peuple ! ». Voilà la solennelle consigne qui lui est laissée lorsque le colonel part en mission pendant deux mois…laissant le « petit Wu » entre les mains, qui vont bientôt se montrer expertes, de sa jeune et ravissante épouse de 32 ans, Liu Lian. Car pour elle, « Servir le peuple », c'est venir lui donner du plaisir sexuel. C'est qu'elle se sent bien frustrée, car « le colonel n'est pas un homme » : quinquagénaire passe encore, mais il a eu le malheur de prendre une balle dans les noix au cours de sa prestigieuse carrière. Wu est d'abord troublé, mais ne résiste pas bien longtemps lorsque la belle prend le pli de déposer au sol la fameuse pancarte pour lui signifier la montée de désirs impératifs...dès lors, il ne peut que rappliquer du potager pour la gâter.
Et Wu s'acquitte si bien de sa tâche que des sentiments ne tardent pas à naître entre lui et la maîtresse des lieux (« sa grande soeur »), au point que les différences sociales s'effacent. C'est le début d'une véritable passion. Les deux ne pensent plus qu'à s'étreindre, et ça devient délirant ! Après avoir cassé accidentellement une statuette en plâtre de Mao, ils vont, après avoir tremblé deux secondes devant les conséquences, s'en donner à coeur joie pour bousiller et piétiner toutes les figures et symboles du pouvoir. En plus, la mise à sac se fait à poil, les deux amants ayant décidé de passer en permanence leur dernière semaine avant le retour du colonel dans la tenue d'Eve et Adam. Mais tout cela va bientôt devoir prendre fin…Wu Dawang est malheureux, mais comme il est raisonnable et ambitieux, espère que sa protectrice tiendra sa promesse de lui donner comme cadeau d'adieu une sécurité de situation pour lui et sa famille (car il est marié et a un enfant, le bougre !).
Mais qu'y a-t-il dans le coeur et l'esprit de la femme de pouvoir Liu Lian, et quel destin attend ces personnages dans les changements qu'apportera la Révolution culturelle ?

Une histoire contée avec rythme, sans temps mort, que l'auteur mène en sachant maintenir le suspense, en maniant un humour provocateur qui n'a évidemment pas fait plaisir aux autorités chinoises…car Mao et sa Révolution culturelle, y sont moqués assez explicitement. Cependant, ce roman m'aura moins séduit que l'émouvant et dur « Les jours, les mois, les années », et même que la fable assez ésotérique « Un chant céleste ». En effet le style m'a parfois paru un peu lourd, les adjectifs qualificatifs employés très communs, même s'il y a par moment de belles séquences. L'auteur-narrateur prend le parti du conteur qui interpelle directement le lecteur, en anticipant toujours la suite, du style « Et que croyez-vous qu'il arriva »… « mais ce que Wu ne savait pas c'est que… ».

Un bon Lianke Yan quand même, dont le ton me rappelle une fois de plus Mo Yan. Ce ton est plus corrosif chez Lianke, qui place le curseur plus loin dans la violation du politiquement correct.
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le 8 septembre 44, lors d'une allocution, Mao Zedong, pas encore au pouvoir , a employé l'expression servir le peuple et en a donné sa description. L'histoire nous prouvera que le peuple Chinois fut servi et bien comme il faut entre les famines, les purges ,les dazibaos, les politiques délirantes , la corruption...

YanLianke, l'auteur du formidable le rêve du village des Ding, s'appuie sur cette expression pour nous proposer un roman nerveux, jubilatoire , tout en dérision . "Servir le peuple" est une expression inscrite sur une pancarte dans la maison du colonel. Ce dernier, impuissant, s'absente deux mois et sa belle et jeune épouse tente de charmer l'ordonnance de son mari...


Lianke nous propose une oeuvre que l'on a du mal à imaginer issu d'un ancien membre du parti, tellement, même si la légèreté est omniprésente, les symboles du Maoïsme sont mis à mal, piétinés , transgressés, la sexualité "détabouée". On imagine la réaction des dignitaires locaux, même si le livre date de 2005.

Il y a autre chose dans ce livre , les héros étant constamment obligé de justifier leurs actes par rapport aux doctrines officielles. Lianke montre bien que quelque soit le biais choisi par les protagonistes, tout se justifie, tout est explicable , même des comportements irrationnels.
Il y aussi une histoire qui est celle de la Chine du XXème siècle , celle qui pousse les gens à consacrer une vie à améliorer leur sort, ici obtenir un "Hukou ", papier officiel permettant à des villageois de pouvoir s'installer en ville. Ce problème est d'ailleurs toujours d'actualité .
On est donc au delà du pied de nez au régime à travers une histoire (dé)culottée.Un très bon moment avec ce livre magnifié par l'écriture simple de Lianke.
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8 septembre 1944, devant le comité central du PC. le grand camarade Mao Zedong prononça une allocution, devenue célèbre depuis, sur le thème « Servir le peuple », le leitmotiv de la révolution culturelle. Je résume, je fais court, j'extrapole : les chinois sont un grand peuple et s'ils sont aussi grand, c'est parce qu'ensemble, ils avancent, ensemble ils s'entraident, ensemble ils se soutiennent. Ensemble, ils vivent et s'effacent pour servir les autres, servir le peuple. C'est sur ce précepte que la Chine pourra s'élever, grandir et devenir puissante, que la Chine pourra construire des jouets en plastique pour 12.5 centimes de € ou des tee-shirts à l'effigie du maître spirituel (Camarade Mao, pas camarade Dalaï-Lama) pour 0.5 $. Depuis, ce texte est devenu aussi sacré que les sutras des moines bouddhistes exilés sur les sommets enneigés de l'Himalaya. Il s'affiche sous les bustes du camarade Mao, Il s'affiche sur les murs de chaque édifice public, des casernes, des restaurants ou des maisons de plaisir.

Wu Dawang est cuisiné dans l'armée. C'est par sa motivation et son implication dans la devise « Servir le peuple » que Wu grimpera grades et échelons sociaux de la grandeur chinoise. Tellement zélé, il s'aventurera sans retenue dans les propositions indécentes de Liu Lian – la femme du colonel ! Baiser la femme du colonel étant bien évidemment une application très stricte de « servir le peuple ». Je ne peux même pas en vouloir à camarade Wu, Tante Liu étant si belle, si jeune, même nue ! « Même nue, elle gardait la pureté et la noblesse d'un Bouddha. » Franchement, ça donne envie ! D'autant plus que Grande Soeur Liu a un appétit féroce et insatiable. Pauvre Wu !

Yan Lianke se(r)vit ici une lecture politiquement incorrecte, totalement subversive et franchement jubilatoire par moment. Je ne résiste pas aux plaisirs de la chaire, alors lorsque les ébats peuvent servir de cause politique, mon esprit de la compassion va en ce sens. Oui pour servir le peuple. Oui à faire l'amour. J'en deviens même addictif à cette devise : faire l'amour pour servir le peuple, voilà la devise que j'affiche chez moi. Vive le Camarade Mao !

J'adresserai un dernier message aux Camarades Babeliennes féminines : Toutes à poil. C'est pour le bien de la révolution. La révolution ne passera que par le SEXE. Brulez le petit livre rouge et déshabillez-vous !

[...]
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Wu Dawang est un soldat modèle, un peu par conviction révolutionnaire, beaucoup parce que pour épouser la fille qu'il convoitait, son père lui a fait signer un engagement de monter en grade dans les trois ans sous peine de mourir à l'armée sans jamais plus revenir.

Ceci dit, son zèle va être mis à rude épreuve en devenant l'ordonnance du colonel. Quand ce dernier s'en va pour plusieurs semaines, sa femme estime que Wu est tout désigné pour la satisfaire sexuellement. Wu refuse dans un premier temps, s'attirant les foudres de l'épouse, qui se plaint de son manque de dévouement. Sans bien savoir ce dont il est question, les instructeurs, craignant que ce mécontentement ne rejaillisse sur eux, l'exhorte à « servir le peuple », quoi qu'on lui demande : « Tu profites de l'absence du colonel pour ne pas servir correctement son épouse ! le colonel participe à un séminaire d'étude. S'il n'a pas l'esprit tranquille, il ne pourra pas travailler et étudier correctement pour se préparer au combat. Et si le colonel ne peut se préparer correctement, c'est tout un régiment qui sera insuffisamment préparé, et si un régiment est affaibli, c'est l'armée tout entière qui s'affaiblit ». Vaincu par cet argument, Wu se plie sans trop rechigner à ce qu'on attend de lui.

Ce qui n'était que purement sexuel au départ devient au fil du temps un lien affectif. Les deux amants finissent par passer des jours entiers nus dans la maison, avec pour aphrodisiaque des actes toujours plus contre-révolutionnaires : briser une statue de Mao, déchirer ses livres redonne en un tournemain force et vigueur à Wu.

On comprend facilement que mêler Mao de cette façon aux étreintes du couple adultère n'a pas plu aux autorités chinoises, qui se sont empressées d'interdire la vente du livre. le pied-de-nez aux autorités est assez amusant, mais je ne me suis pas senti suffisamment concerné pour apprécier pleinement ce livre.
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C'est marrant. Il y a deux mois, je ne connaissais pas du tout YAN Lianke, écrivain Chinois, et aujourd'hui, j'ai envie de lire tout ce qu'il a fait.
J'avais déjà été scotché par « Bons baisers de Lénine ». J'ai donc voulu continuer.
Et là, dans « Servir le Peuple », à nouveau, j'ai été piégé. YAN Lianke m'a happé dans cette nouvelle histoire paraissant pourtant bien anodine.
Voici en quelques phrases ce qui se passe dans ce livre. Un bon militaire Chinois du nom de Wu Dawang a une discipline très rigoureuse quant à l'idéologie du Parti Communiste Chinois. Rien ne peut le faire dévier de la philosophie du Grand Timonier.
C'est pour cela, d'ailleurs, qu'il a été choisi par le Colonel de la caserne pour assurer chez lui ses travaux quotidiens : cuisine, jardinage...
Tout se passe à merveille jusqu'au jour où le dit Colonel doit partir pour Pékin pour deux mois. Notre Wu Dawang va,donc, se retrouver seul avec la femme de son chef, laquelle a besoin qu'on y prête un peu (et même beaucoup) d'attention. Les grands principes du serviteur de notre Colonel vont quelque peu être ébranlés.
L'histoire peut paraître banale, classique. Et pourtant ! YAN Lianke a un talent fou pour nous parler de ses congénères. Il nous fait entrer, en quelque sorte dans l'intimité de ces Chinois. Dans ce pays où la censure fait rage, notre auteur n'a pas peur d'égratigner le pouvoir en place, ceci par des moyens biaisés.
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