« le bruit qu'elle faisait lui sembla aussi doux que la poussière, quand elle s'élève et retombe ».
Telle est la sensation de douceur et de sérénité éprouvée après avoir lu «
Un chant céleste » de
Lianke Yan. Quelle merveille que la littérature chinoise ! Deuxième récit de
Lianke Yan lu et, comme pour «
Les jours, les mois, les années » ce conte m'a envoutée. Quelle poésie dans l'écriture, quel dépaysement, quel décalage avec notre culture ! La force de cette fable tient en l'entrelacement étonnant d'une très belle poésie des sens, mêlant l'infiniment grand à l'infiniment petit, d'une truculence dans le ton employée par l'héroïne, de sentiments à la fois très pragmatiques et d'une grandeur extrême, du fantastique lorsque le fantôme d'un mari défunt vient errer auprès de sa femme, et enfin ajoutons une vision sans concession mais somme toute tendre de la mentalité des campagnards chinois. Un mélange savoureux qui fait de ce récit une petite pièce d'orfèvrerie.
Nous retrouvons dans ce livre la campagne chinoise et la culture du maïs si emblématique dans «
Les jours, les mois, les années », où il était presque un personnage à part entière. « Sur les champs, à l'infini, tiges vertes et feuilles sèches faisaient un couvert, on y pénétrait comme dans une mer (…) Les soies pourpres des épis se désagrégeaient, poussière bondissante qui dans la lumière se balançait, oscillant dans un sens puis l'autre sur le chemin de crête ».
C'est l'histoire de You Sipo, femme énergique, déterminée, au caractère fort, très dur parfois, et mère de quatre enfants…tous simples d'esprit ! les « quatre idiots » comme tout le monde les nomme. Elle travaille comme une forcenée dans les champs pour subvenir aux besoins de sa famille depuis que son mari, You Shitou, désespéré par la situation tragique des siens, s'est jeté dans la rivière, « tué par la peur de l'avenir ». Il faut dire qu'ils n'ont pas de chance, alors qu'ils avaient tout pour être heureux, leurs trois premières filles sont nées simples d'esprit et le petit quatrième, né sain, est devenu idiot suite à une forte fièvre alors qu'il avait un an et demi. Les enfants ne seront jamais nommées et toujours appelées la Première, la Deuxième, et ainsi de suite même lorsque leur mère les interpelle. On sent chez You Sipo une certaine colère envers son mari qui non content d'être à l'origine de ce fléau pense-t-elle (l'un des membres de sa famille était épileptique) les a lâchement abandonnés. « La mère des tarés », comme ils l'appellent au village, se bat comme elle peut, et a déjà réussi tant bien que mal à marier ses deux premières filles à des hommes esseulés de villages reculés. Mais il y a urgence, il lui faut marier la Troisième, la plus idiote de ses trois filles, elle a des envies croissantes et le dernier ne pense qu'à la tripoter, pour le plus grand plaisir de la jeune femme de vingt-huit ans désormais.
« Elle se retourna, et effectivement vit le Quatrième en train de courir après une Troisième à la chemise déchirée dont les seins gonflés et blancs comme des têtes de lapin brinquebalaient aussi allègrement que s'ils avaient voulu s'échapper. Bouche bée, elle constata que sa fille se les laissait empoigner par son frère sans que la moindre honte, la plus petite gêne s'affiche sur son visage ».
Cela ne sera pas simple, d'autant plus qu'elle ne veut pas la marier à un idiot mais à quelqu'un de sain d'esprit, un «gens- complet ». Il va falloir user de persuasion pour lui prouver qu'il fera une bonne affaire, peut-être même donner tout ce qu'elle possède, à moins de trouver un remède miracle…et il semble que la solution qui permettrait de soigner ses enfants soit une décoction d'os humains et de cervelle…Je ne vous en dit pas plus mais cette courte histoire est passionnante.
L'écriture est une merveille, Linke Yan met à l'honneur tous les sens de façon subtile et utilise métaphores et images à foison :
« Dans les champs, les pousses du blé donnaient l'impression d'avoir en une nuit tapissé l'univers, elles verdoyaient avec vigueur, presque noires dans la campagne, au dos des arêtes et dans les ravines. Un parfum limpide flottait dans l'air ».
Concernant l'entrelacement évoquée en préambule, voyez un peu l'antagonisme entre ces deux passages, cette virilité face à la femme devenue objet dans le premier (ce sera elle en fait qui va se servir de lui de façon très rusée), et la somptuosité de la nature dans le second :
« Je vais te labourer ce champ mieux qu'un boeuf ne le ferait, te briser les mottes aussi menu que si elles avaient été passées à la meule, mais toi, tu vas rester comme ça, et tu me laisseras tourner la tête ou la lever pour que je puisse te voir. - Vas-y , avait répondu You Sipo. - Quand j'aurai fini, avait repris l'homme, je t'ensemencerai le champ pour l'automne, et tout ce que je te demanderai, ce sera de coucher avec moi sur l'arête cette nuit. - Epargne ta salive et dépêche-toi de te mettre au travail. »
« Les étoiles étaient assez rares, mais la lune si ronde et pleine qu'on l'eût dit sur le point d'exploser. Et sa lumière si blanche qu'on aurait distingué la moindre fourmi aventurée dans la nuit ».
Il y a de la magie chez
Lianke Yan, poésie élevée au rang d'art, humour dans la crudité qu'il ose aussi employer… C'est un travail d'orfèvrerie qu'il nous offre, quelque chose de rare et de précieux mais également de surprenant, de pimenté. A me demander à présent avec quel livre poursuivre ma découverte (grande, la découverte) de cet auteur !