Dans les années 30,
Pao, jeune chinois qui fuit la guerre avec son frère et sa mère, débarque en Jamaïque et se retrouve à travailler pour l'un des parrains de la pègre de Kingston, Zhang. Celui-ci va l'initier au "métier", avant de lui en confier les rennes. On suit
Pao dans son initiation, puis sa gestion de son quartier de Kingston, à gérer les conflits entre gangs et prospérer grâce à un mariage arrangé, tout en suivant les principes philosophiques de
Sun Tzu...
Racontée à la première personne dans le patois local, l'histoire de
Pao a plusieurs intérêts majeurs, mais s'avère aussi bien longuette pour ce que c'est. le premier intérêt se retrouve dans la description de la diaspora chinoise en Jamaïque et l'évolution du pays entre les années 30 et 80, pendant des décennies où beaucoup de changements ont eu lieu, notamment l'indépendance. Quand on pense à un pays, on ne réfléchit généralement pas aux immigrés et à leurs enfants qui viennent diversifier une population (c'est comme ça d'ailleurs que de nombreux pays ont trouvé étrange que l'équipe de France de foot soit composée de nombreux joueurs noirs ou maghrébins, sans comprendre très naïvement le pourquoi du comment). de ce fait, et de manière stéréotypée voire un tantinet raciste, on pourrait à priori penser que tous les Jamaïcains sont noirs, alors que la population est très variée, résultat de la colonisation par les Britanniques, la déportation d'esclaves noirs africains, les métissages et les immigrés d'autres pays comme la Chine ou le Liban. C'est d'ailleurs ce mélange qui est à l'origine de racismes, privilèges et opportunités biaisées reposant sur la couleur de peau encore plus ou moins d'actualité de nos jours sur le territoire. Une idée qui est très bien résumée dans les dernières pages du livre, qu'on situe dans les années 80 :
And even though we still struggling to sort ourselves out after the English come here three hundred years ago and set everything up so careful and tidy - Africans at the bottom, the Indians, the Chinese, English on top - I think we doing OK. But I wonder to myself how many other countries been through what we been through? How many of them still going through it like us?, p266.
Ainsi donc, aborder la vie jamaïcaine du point de vue d'un immigré chinois révèle encore des tas de choses sur le racisme sur place, notamment par exemple, quand
Pao explique à sa concubine Gloria qu'elle sait très bien qu'il ne peut pas l'épouser parce qu'elle est noire (on est toutefois à ce moment-là dans les années 40).
Le récit de la vie de
Pao est ponctuellement replacé dans un contexte historique, avec l'évolution de la société, le rastafarisme, les figures de la libération ou politiques comme Alexander Bustamante et Norman Manley, l'indépendance de 1962, la montée de la criminalité violente, l'émigration vers les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne à la recherche d'une vie meilleure... C'est finalement cet aspect-là qu'on préfère dans ce livre, car le personnage, qui est lui-même pas très net dans ses affaires, navigue entre les différents contextes qui se présentent à lui. Ses histoires et ce qu'il fait, c'est finalement ce qui est le moins entraînant, même si le roman se lit vite et bien.
L'histoire aborde aussi le conflit intérieur que vit
Pao, lui qui a des activités criminelles mais applique les principes de
Sun Tzu, auteur du célèbre
L'Art de la guerre qui prône le combat dans la ruse et les mots mais pas dans les armes. le récit soulève aussi la question de savoir si on est quand même un criminel si on fait le bien. A l'exception de rares moments (comme quand il viole sa femme...),
Pao apparaît comme un homme droit, gentil, juste, qui aide son prochain. Ses activités illégales sont souvent narrées à mots couverts, mais les meurtres, la manipulation, la fraude et le racket font quand même partie de son quotidien, jusqu'à la fin du livre, dans ses vieux jours, où toutes ses manoeuvres l'ont conduit à devenir propriétaire d'un commerce tout à fait légal mais surtout très lucratif. Peut-on être un homme bien tout en étant hors-la-loi, voilà la question posée par
Kerry Young. L'auteure montre aussi par là même qu'il est plus facile de prospérer en Jamaïque en ayant des activités illégales qu'en faisant un travail honnête, une idée démontrée par plusieurs personnages qui ne cessent de vouloir rentrer dans le business de
Pao pour se faire de l'argent.
Tout ça pour dire que c'est une découverte, malheureusement non traduite en français et qui demande au lecteur d'être un chouia habitué au créole jamaïcan, chose que j'ai pu personnellement faire à force d'autres lectures du même type et à l'aide d'un super dico de patois sur le net. Cet ouvrage permet de découvrir une autre facette historique de la Jamaïque et de compléter ses connaissances sur le sujet, tout en lisant une fiction qui aborde d'autres problématiques et questions éthiques humaines. Un peu long au final, mais très loin d'être une mauvaise pioche.
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