Histoire d'un Juste

COMPTE-RENDU DE LECTURE exceptionnellement effectué par mon mari Daniel LAONET, historien.

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« Histoire d'un Juste, le pasteur Pierre-Charles TOUREILLE dans la France de Vichy » par Tela ZASLOFF, Editions des Presses Universitaires de la Méditerranée, Université Paul-Valéry Montpellier 1
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Comme le dit le prologue, c'est l'histoire « d'un type de héros ».
Pierre-Charles TOUREILLE eut sous l'Occupation une activité exemplaire. Mais si sa personne retient l'attention tant son action fut exceptionnelle, l'étude de Tela Zasloff pose d'entrée la question d'un contexte culturel qui l'aurait déterminée. Ce que fit Pierre TOUREILLE a-t-il son origine dans sa seule personnalité marquée par une éthique altruiste, ou dans les caractères d'un groupe humain ?
En consacrant les premiers chapitres de son étude à l'histoire du protestantisme en France l'auteur répond à cette question. L'engagement des protestants ayant oeuvré au sauvetage des juifs en France sous Vichy et l'Occupation nazie vient de leur histoire. Sous Louis XIV ils furent victimes d'un Etat injuste. Vichy, plus de trois siècles plus tard, est construit sur les mêmes bases. Les protestants refusent les lois d'un tel Etat. Les huguenots des Cévennes se sont cachés au désert et les Dragons les recherchèrent et les massacrèrent. Il en fut également ainsi, entre 1941 et 1944, des juifs. Enfin, autre explication de cette disposition mentale propre à l'intelligence protestante : le lien direct à Dieu. Par exemple, à un gendarme qui l'interroge, une femme de Chambon-sur-Lignon qui cache des juifs dans le plus grand secret, dit que c'est de Dieu seul qu'elle dépend et à lui seul qu'elle doit répondre.
Mais Pierre TOUREILLE a une personnalité propre expliquant le domaine de son engagement. C'est un intellectuel ; il parle huit langues ; il a fait des études de théologie ou, pour parler de façon laïque, de philosophie et d'histoire. Il a soutenu une thèse de doctorat sur Jean Hus.
Dès 1940, quand commence son activité humanitaire, il est un organisateur planificateur dans des conditions historiques extrêmes. Pasteur, il travaille au sein de plusieurs organismes du protestantisme français : la Maison d'accueil chrétienne pour enfants, le Conseil de Nîmes, le Conseil oecuménique des Eglises. Alors que Vichy aménage les camps pour réfugiés son Eglise lui confie, par l'aumônerie, la mission d'apporter les secours religieux, moraux et matériels aux internés des camps du Midi.
Mentionnons des problèmes qu'une telle activité rencontra.
D'abord une question de fond, d'ordre moral : puisque ces organismes interviennent dans les camps créés par Vichy, leur activité se fait sous son contrôle et suppose le respect de ses directives. Doit-on travailler aux côtés de cet Etat dont la constitution est la négation de nos principes d'humanité ? La réponse - et il faut retourner mille fois les considérants de l'affaire dans son esprit - est qu'il fallut être pragmatique et assurer cette intervention humanitaire – par exemple dons de subsides, avis donné dans les cas de libération des camps…- dans les conditions imposées par Vichy. Mais TOUREILLE et son Eglise avaient conscience de travailler essentiellement pour ces personnes déshumanisées dont ils avaient la charge, et non pour un Etat.
Le pasteur TOUREILLE pouvait aussi être en désaccord avec les responsables de son Eglise qui se trouvaient à Genève, lui qui oeuvrait sur place et savait mieux ce qui, localement, était possible ou souhaitable.
Un autre problème, qui touche à son action de fond à l'égard des juifs : il était aumônier et avait charge des paroissiens protestants. Mais dans sa mission il intégra les autres, « les non-aryens », qu'il cache, qu'il aide et que - presque par humour si cela est possible en ce lieu et ce temps- le livre nomme « ses paroissiens », les faisant passer aux yeux de Vichy pour ce qu'ils ne sont sans doute pas.
Mais en 1942, d'abord avec les rafles et les convois, puis avec l'occupation de la zone Sud par les autorités allemandes, l'activité et les problèmes changent. La clandestinité prend le dessus. Pierre TOUREILLE participe à des réseaux d'évasion vers la Suisse. Il cache chez lui des familles juives. Et c'est avec ces faits plus ponctuels que sont mises en lumière les conditions matérielles et psychologiques de son action durant ces cinq années. Il avait une famille, une femme et cinq enfants. Un temps, ses bureaux, qui occupaient plus de dix personnes, furent installés à son domicile de Lunel. Il était sans cesse en voyage, en train, en vélo, à pied. et entretenait une correspondance administrative harassante, pour une grande part avec sa hiérarchie en Suisse. de surcroît, les lettres qu'il adressait aux autorités de Vichy exigeaient une attention extrême pour ne pas mettre en danger ceux-là mêmes qu'on protégeait. L'engagement de Pierre TOUREILLE, dans son être et le temps de son être, fut absolu.
Une étrange impression nous vient à la fin de ce livre, à propos de ce qu'il devint quand, après la défaite de l'Allemagne et de Vichy, cette vie totale prit fin. Il connut comme une dépression. Lui qui avait une intelligence exceptionnelle, qui avait un extraordinaire réseau d'amis en Allemagne, en Tchécoslovaquie (on parlerait maintenant de carnet d'adresses), parut désorienté. En 1946 on le voit solliciter un emploi auprès de ses amis tchécoslovaques. Il ne veut pas d'une charge de paroisse en France. Il paraît prendre ses distances à l'égard de son Eglise. Puis on le voit passer des années aux Etats-Unis, dans des Eglises protestantes.
Presqu'à la fin de sa vie, en 1974, l'Etat d'Israël, le reconnut comme Juste parmi les Nations. Pierre TOUREILLE est mort en 1976 et le livre de Tela Zasloff est plus qu'une étude universitaire : il est ce qu'en musique on appelle « un tombeau », comme Ravel composa un tombeau pour Couperin, afin qu'il vive éternellement.