Hermann Rochling : la fabrique du 3ème Reich

L'auteure, Margaret Manale est chercheuse au CNRS spécialisée dans l'Allemagne de l'Est et de la recomposition post-Mur de Berlin. Auteure de nombreuses parutions universitaires reconnues, c'est une chercheuse dont la méthodologie est reconnue.

Ce livre parait en 2023 chez Maxmilo, maison d'édition spécialisée dans les écrits non-fiction : la ligne directrice de ses sélections de parutions veut provocante, pour lutter contre « l'endormissement et les faux-semblants », en espérant provoquer la réflexion.

Elle nous propose cette non-fiction, une biographie exhaustive d'Hermann Röchling. En effet, il ne s'agit pas d'un récit historique sur la fabrique au sens de la « construction » du 3 -ème Reich comme pourrait le faire penser le titre, mais bien de la fabrique au sens « usine, industrie » du 3 -ème Reich. La fabrique de la famille Röchling qu'Hermann tout le long de sa vie va construire, brique par brique, jusqu'à son apogée. Puis en fond, le scandale hypocrite et méconnu de l'acte de grâce qui lui a été accordé après la guerre – alors qu'il est condamné à Nuremberg.
Margaret va plus loin encore, car elle creuse le contraste entre l'implication de Röchling dans de nombreux conflits et enjeux politiques, bien plus que les autres familles de grands industriels eux aussi condamnés. La différence, c'est l'intensité de ses relations avec Hitler et son parti, l'étendue noire de son idéologie. Au cours des pages, on croise de nombreux sombres personnages : Hitler, Speer... On comprend vite qu'Hermann Röchling n'est pas en reste quant à cette folie extrémiste et génocidaire qui est en lui.

Profondément antisémitisme et partisan de l'idéologie aryenne, il s'installe pourtant en France et y possèdera nombre d'usines d'acier. le profit et la production sont rapidement quasi exclusivement à destination de l'Allemagne. Ainsi, la France du Grand Est se fait vite spoliée de ses ressources et de son capital humain et économique. L'on apprend que dans un premier temps, et bien avant la guerre, c'est Hermann lui-même qui manoeuvre habilement pour s'emparer de ces richesses diverses. En effet, Hermann est très attaché à l'idée qu'il oeuvre pour une germanisation de l'Europe. Ces éléments de compréhension sont soigneusement récoltés, documentés par des extraits de correspondances, des témoignages de proches d'Hermann, de coupures de presse…

Au plus fort de la puissance du Reich, il fut nommé « Délégué pour le fer et l'acier » dans les régions occupées : Alsace Lorraine, Luxembourg, Norvège…
Fidèle à son idéologie, il savait néanmoins s'en accommoder pour ses besoins personnels fournissant à des employés juifs performants et compétents des laisser passer… Mégalomane capitaliste pour certains, Nazi exemplaire pour d'autres, Hermann, reste un pilier dans la construction de la suprématie nazie, mais ne semble jamais perdre de vue son intérêt économique. Personnage complexe dont Margaret explore les moindres facettes.

La Realpolitik non-démagogique est décortiquée au travers de cet événement historique. Plusieurs enjeux sont ainsi mis à nu et explicités :
Pour la famille et l'entreprise celui de prendre le contrôle de toutes les mines d'Alsace lorraine. Puis l'arrivée d'Hitler au pouvoir avec les Allemands permet de voir plus grand.

Pour Hitler, il s'agit de récupérer une force industrielle dans le milieu de l'acier primordiale et hégémonique, d'autant plus précieuse en période de guerre puisqu'elle permet la production de munitions, chars, armes…

Après la guerre, l'enjeu européen sera de condamner les instigateurs de ces crimes humains à Nuremberg : en effet Hermann, en plus d'être un criminel économique, a – entre autres abominations - embauché des millions d'esclaves. Juifs, non-aryens, handicapés, tsiganes, Nords africains … Pour les mener à la mort par la dénutrition, les épidémies de diverses maladies qui ont ravagé les usines dans lesquelles ses êtres humains travaillaient. Analogie parlante et sourcée soulignée par l'auteure : les chevaux qu'ils viennent d'Allemagne ou de Pologne recevaient les mêmes rations et traitements, les Hommes non.

Dernier enjeu qui déclenche le scandale que Margaret est la seule chercheuse à avoir étudié : L'enjeu économique et politique de récupérer la richesse et les capitaux matériels de la famille après la guerre et la défaite du troisième Reich, pour assurer les arrières de l'Europe et donc de ses alliés : les Etats-Unis. C'est un juriste américain, qui en étudiant le paysage économique se rend compte que l'industrie lourde Allemande a été préservée. Les enquêtes approfondies qui dévoilent tous les liens de la famille Röchling mèneront jusqu'à la grâce forcée d'Hermann afin que la richesse de l'industrie de la famille reste du côté des alliés.

De cette affaire, peu de traces documentaires, apparaissent, c'est ainsi qu'on comprend que c'est l'acharnement et les compétences de chercheuse de Margaret Manale qui ont permis de documenter ce livre historique. Certains autres grands industriels semblent endosser la responsabilité et accepter la couverture médiatique qui protège ainsi la famille Röchling de tout scandale.

Le style est évidemment protocolaire. C'est une biographie qui n'exclut rien, ni la moindre date, ni le moindre élément connu de l'auteure. Ce qui en fait un déroulé scolaire, enrichissant et massif pour celui qui souhaite approfondir cette histoire. Ainsi, on est vite submergé par la multitude et la grande part donnée aux éléments contextuels, lieux, noms, années, villes…

Épisodiquement, l'utilisation de la ponctuation interroge, pourquoi utiliser le point d'exclamation alors que le parti-pris est assez clair, et que les éléments factuels parlent d'eux-mêmes ?

La structure n'est pas tout à fait chronologique mais thématique ce qui est assez déroutant mais permet une lecture attentive et réflexive. Margaret Manale explore d'abord le volet économique, puis les liens et les relations entretenues avec le 3 Reich. Enfin, elle met à nu l'exploitation de ce qu'elle nomme les « matériaux humains ». Enfin, ce qu'il advient de l'entreprise et d'Hermann après la guerre, c'est à ce moment qu'elle aborde la condamnation puis la réhabilitation de la fabrique Röchling à des fins politiques et économiques.

Pour tout lecteur novice ou non passionné par l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, l'écrit est très dense ; donc à destination d'un lecteur averti. Car le titre peut être trompeur, il faut garder à l'esprit que ce n'est pas un livre « révélation » qui vise en premier le divertissement ou le choc, mais qui se revendique biographie, complète, et qui l'est, assurément.

Récit documentaire très intéressant malgré les innombrables chiffres et séquences politiques et économiques très pointilleux et très précis. Pour ma part, le récit était bien trop éclairé sur la métallurgie et l'économie.
Rochling est un personnage emblématique important pour le secteur de la métallurgie mais directement impliqué dans les déportations des bolchéviques, des juifs et des femmes car il a besoin important de main d'oeuvre… Une main d'oeuvre qu'il caractérise comme des esclaves qu'il faut punir, qu'il faut affamer pour être mieux obéi !
Homme punis à 2 reprises par les conseils de guerre mais qui n'a fait que très peu de prison car considéré comme un homme pouvant redresser l'économie.

En 1944, il reçoit même la médaille du pionnier du travail !!!
Aujourd'hui encore, sa sidérurgie est quasiment la seule à être encore debout… au nom de la mémoire de l'histoire !! »

C'est un récit documentaire tout comme on les aime ! J'ai adoré en apprendre plus avec ce livre. C'est une période de l'histoire que j'adore et je ne me lasse pas d'en apprendre chaque jour un peu plus grâce à ce genre de roman. N'hésitez pas si vous aimez cette période de l'histoire