"Une page d'amour" est le huitième volet des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire. Il est visiblement l'un des tomes les plus méconnus de la série. Il est également bien différent, puisque
Zola ici se fait moins critique de la société. Loin de ce qu'il a pour habitude de dénoncer, il nous parle ici de l'amour passionnel et nous démontre à quel point il peut être éphémère et dévastateur.
"Une page d'amour" se démarque également par le nombre restreint des protagonistes : Hélène et sa fille, le couple Deberle et leur fils, l'abbé Jouve et son frère, ainsi que quelques figurants comme le Dr Bodin, le beau Malignon ou encore la mère Fétu. Les événements se déroulent sur une courte période, qui débute en hiver 1853 pour se terminer l'hiver suivant.
De l'arbre généalogique de cette famille, la branche d'Ursule Macquart, épouse Mouret, est celle que j'affectionne le plus, c'est là que sont pour moi les personnages les plus attachants. Et dans "Une page d'amour", ce sont sa fille Hélène et de sa petite-fille Jeanne que nous suivons.
Hélène Grandjean, née Mouret, perd son mari alors qu'ils viennent tout juste de s'installer à
Paris (Passy). Nouvellement veuve, elle n'a plus que sa fille, Jeanne. Si Hélène n'a pas été touchée par la "malédiction familiale", Jeanne en revanche a hérité de la fragilité psychologique de son aïeule Adélaïde, ainsi que du faible état de santé de son père. Cette enfant, qui paraît au premier abord être une petite peste jalouse et égoïste, est en fait atteinte d'un mal-être beaucoup plus profond. Tous les êtres qu'elle a aimé ont disparu : son chat, son oiseau, son père. La peur de l'abandon et de ne pas être aimée domine son comportement. Alors quand sa mère se rapproche de son médecin, elle y voit un réel danger. Elle va s'interposer, s'imposer, refuser de partager sa mère. S'en suivra un drame inéluctable (en cela, on reconnaît la marque de fabrique de l'auteur).
Et c'est dans un
Paris romantique que se déroulent les événements. L'auteur, qui d'habitude n'hésite pas à en dépeindre ses moindres défauts (quartiers pauvres et sales, ou en reconstruction, dans des couleurs et odeurs à foison), nous le décrit dans une perspective bien différente. Car, en effet, c'est de la fenêtre de la chambre d'Hélène qu'il nous permet de le voir. On découvre un
Paris tout blanc, ou tout gris, ou dans des teintes jaune, bleu ou rouge. Un
Paris pluvieux, brumeux, mélancolique ou ensommeillé. Ou au contraire un
Paris bien vivant, ensoleillé, bruyant. Tantôt matinal ou crépusculaire. Tantôt brûlant ou glacial. Il change au gré des événements ou des humeurs d'Hélène et de Jeanne. À se demander s'il n'influence pas le cours de l'histoire... Il nous offre en tout cas une atmosphère en adéquation avec le récit, que
Zola dépeint magnifiquement.
C'est le roman de
Zola le plus doux, le plus tendre qu'il m'ait été donné de lire.
Zola, en effet, ne dépeint pas la même violence, puisqu'il s'agit avant tout d'amour, et notamment d'amour passionnel, mais aussi d'amour filial (celui d'une mère à son enfant et d'une fillette à sa mère). C'est à la fois une belle mais bien triste histoire. C'est également la première fois que
Zola arrive à vraiment m'émouvoir. La fin dramatique, que l'on devine un peu dès le début (surtout quand on commence à bien connaître l'auteur), est douloureuse et j'ai, pour la première fois, dû retenir mes larmes.
J'ai entre les mains le roman édité chez Fasquelle en livre de poche (1985). Je souligne la belle couverture représentant "La balançoire" d'Auguste Renoir, qui illustre l'une des scènes les plus marquantes du roman.
Avec ce livre, j'atteins les deux tiers de mon objectif, qui est d'avoir lu tous les Rougon-Macquart avant la fin de l'année (il ne m'en reste que sept...). Et c'est une très belle parenthèse que
Zola vient de m'offrir dans mon défi personnel.