Cet héritier infortuné d'une race malheureuse, né à une époque barbare, dans un pays insubordonné, était prédestiné à un sort tragique.
Vouloir juger un homme subjugué par la passion serait aussi absurde que de demander des comptes à un orage ou traduire en justice un volcan.
Rarement le destin a mis autant de mortelle magie dans un corps de femme ; comme le ferait un invisible aimant, elle attire à elle pour leur infortune tous les hommes de son entourage. Celui qui se trouve sur son chemin, qu’il soit en faveur ou en défaveur, est voué au malheur et à une mort violente. Il n’a jamais porté bonheur à personne de haïr Marie Stuart et ceux qui ont osé l’aimer l’ont expié encore plus durement.
Toujours, les hommes qui prétendent combattre pour Dieu sont les plus insociables de la terre; parce qu'ils croient entendre des messages divins, leurs oreilles restent sourdes à toute parole d'humanité.
L'analogie psychologique de certaines scènes de Shakespeare avec l'histoire est encore plus forte et plus fascinante. Consciemment ou non, Macbeth a été tiré de l'atmosphère du drame de Marie Stuart. Jamais encore dans l'histoire ni dans la littérature la psychologie d'un crime et l'action mystérieuse exercée par la victime sur le criminel n'ont été dépeintes d'une façon aussi grandiose que dans ces deux tragédies écossaises dont l'une fut imaginée et l'autre vécue.
Mais pour être reine, pour rester reine, il ne lui sera dès lors plus permis d'être entièrement sincère. Celui qui s'est donné à la politique ne s'appartient plus et doit obéir à d'autres lois qu'aux lois sacrées de sa nature.
Au moment où ils ramassent le tronc sanglant pour le transporter dans la pièce voisine où il doit être embaumé, quelque chose se met à bouger sous les habits. Sans que personne l'eût aperçu, le petit chien de la reine l'avait suivie et s'était blotti contre elle pendant l'exécution. Maintenant il sort, inondé de sang et se met à aboyer, glapir, hurler et mordre, se refusant à quitter le cadavre. Les bourreaux veulent l'écarter de force. Mais il ne se laisse pas empoigner et assaille avec rage les grands fauves noirs qui viennent de le frapper si cruellement. Cette petite bête défend sa maîtresse avec plus de courage que Jacques VI sa mère et que des milliers de nobles leur reine, à qui ils ont pourtant juré fidélité.
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Mais quelle serait la tâche de l'homme politique si ce n'était de bâtir, dans les situations délicates, des motifs et des prétextes, de faire de rien quelque chose et de quelque chose rien.
À cette date décisive de son existence elle n’a pas encore vingt-cinq ans et pourtant sa vie véritable est déjà terminée. Tout ce que le monde peut produire d’extrême, elle l’a connu, elle l’a enduré, elle a gravi tous les sommets, elle a sondé tous les abîmes. Dans un temps vraiment réduit, d’une intensité prodigieuse, elle a vécu tous les contrastes : elle a enterré deux maris, perdu deux royaumes, elle est passée par la prison, elle a suivi les sombres sentiers du crime, et chaque fois elle a remonté les marches du trône et de l’autel avec un nouvel orgueil.
Toute la horde sauvage et criminelle des Lords et Barons d'Ecosse , tous ces hommes orgueilleux et avides de pouvoir se sont assassinés les uns les autres. L'arène est vide. Elle n'a plus personne d'autre sur terre à haïr que cette seule ennemie, Elisabeth. La lutte gigantesque entre nations qui se déroule depuis vingt ans s'est transformée en un combat singulier entre deux femmes . Plus de négociation, c'est une lutte à mort.
page 336 (Livre de poche)