L'intrigue de " La peste " de Camus est simple : à un moment non précisé des années 40 , la peste s'abat sur Oran . Terrifiées et inaptes les autorités de la ville refusent d'appeler le mal par son nom , justifiant leur pusillanimité par l'attitude des responsables médicaux qui prétendent ne pouvoir affirmer avec certitude que la peste est bien une peste .
Irrité par ces tergiversations , le narrateur , le" docteur Rieux , s'exclame : " Il importe peu que vous l'appeliez peste ou fièvre de croissance . Il importe seulement que vous l’empêchiez de tuer la moitié de la ville . "
Cependant , le nombre de victimes augmentant quotidiennement , les autorités finissent par instaurer une quarantaine . La plupart des oranais , qui n'avaient jamais imaginé qu'ils auraient un jour à subir une telle épidémie , se soumettent passivement à leur sort . seul un petit nombre d'individus se regroupent pour résister à la peste et décident de créer des " formations spéciales " pour soigner les malades et enterrer les morts .
C'est jean Tarrou , un voyageur arrivé depuis peu à Oran , qui suggère l'idée à Rieux . faisant remarquer que les institutions officielles " ne sont jamais à l'échelle des fléaux " , il demande l'aide du médecin pour créer les formations . " Aidez-moi à m'en occuper et laissons l'administration de coté , du reste elle est débordée , j'ai des amis un peu partout et ils feront le premier noyau . Et naturellement , j'y participerai . " ............
Nous découvrons rapidement que les membres des formations partagent une éthique de l'attention .
"On vit avec quelques idées familières. Deux ou trois, écrit Camus. Au hasard des mondes et des hommes rencontrés, on les polit, on les transforme. Il faut dix ans pour avoir une idée bien à soi - dont on puisse parler" (Le vent à Djémila - Noces)
Le monde a longtemps eu quelques idées familières à propos de l'auteur de L'Etranger, de La Peste, du Mythe de Sisyphe et de L'Homme révolté. Il y a l'idée du Camus explorant les notions de liberté et de justice, méditant sur le danger de revendiquer l'une ou l'autre de façon exclusive, s'efforçant de concilier leurs caractères contradictoires. Il y a l'idée d'un Camus écrivant sur la nature de l'exil, à la fois par rapport à sa terre natale, l'Algérie française, et à un monde sans dieu.
Enfin, il y a l'idée d'un Camus qui donne sa voix à tout un spectre de silences : celui de l'innocence de l'enfance, le silence des prisonniers politiques ou de ceux qui sont privés du droit de vote dans leur pays , le silence des guerres sans issue et le silence d'un cosmos indifférent face à notre besoin de lui donner un sens.
Ces "idées" ne sont pas que des fragments de la vie de Camus, mais expliquent pourquoi son oeuvre continue à concerner nos vies.
Dans son engagement acharné en politique, Camus comprit mieux que quiconque que le désespoir existentiel était un luxe que les pauvres et les laissés pour compte ne pouvaient pas s'offrir. Mais il comprit également que sa responsabilité en tant qu'artiste ne s'arrêtait pas à a sphère politique. Dans un monde qui nous refuse le réconfort de la transcendance , l'artiste doit inciter les êtres humains à poursuivre leur quête de signification. Nous sommes surpassés et inévitablement écrasé dans cette lutte, mais ce n'est pas une raison pour désespérer. L'oeuvre de Camus ne cesse de nous le rappeler : le véritable désespoir "vient de ce qu'on ne connaît plus ses raisons de lutter et, si justement, il faut lutter" (Actuelles I)
L'historien et commentateur politique américain Robert Zaretsky, s'adresse à Mediapart avant la manifestation en hommage à George Floyd, à Houston (Texas), le 2 juin 2020.
Entretien à venir dans Mediapart
(propos recueillis par Antoine Perraud).
Abonnez-vous à Mediapart : https://www.mediapart.fr/abonnement
Abonnez-vous à la chaîne YouTube de Mediapart : https://www.youtube.com/user/mediapart