Lettres à son frère Théo

Pour peindre la vie du paysan, il faut être maître de tant de thèmes. Comme c’est bien cela, à propos des personnages de Millet : son paysan semble peint avec la terre qu’il ensemence !

NUENEN (décembre 1883 - novembre 1885).

Tu as mieux que moi l’occasion d’entendre parler de livres d’art. Quand tu rencontres de bons ouvrages comme par exemple le livre de Fromentin sur les peintres hollandais, ou si tu te rappelles de l’un d’eux, n’oublie pas que je désire vivement que tu en achètes quelques-uns en déduction de ce que tu as l’habitude de m’envoyer, pourvu qu’ils traitent de technique. J’ai l’intention d’apprendre sérieusement la théorie ; je ne considère pas cela du tout comme inutile, et je crois que souvent ce que l’on sent ou pressent instinctivement, devient clair et certain quand on est guidé dans ses recherches par quelques textes ayant un réel sens pratique.

NUENEN (décembre 1883 - novembre 1885).

C’est quelque chose de très beau de voir la vraie bruyère sur les tombes, l’odeur de térébenthine a quelque chose de mystique, la ligne sombre des sapins clôturant le cimetière sépare un ciel étincelant d’une terre rude qui, en général, est rose, fauve, brunâtre, jaunâtre, avec cependant partout des tons lilas.

DRENTHE (septembre 1883 - novembre 1883)

« Oui, j’ai fait cela en deux heures, mais j’ai travaillé des années pour pouvoir le faire en deux heures. »

LA HAYE (décembre 1881 - septembre 1883)
Avril 1882.

Il y a dans la peinture quelque chose d’infini – je ne puis te l’expliquer sans plus – mais c’est une chose si admirable pour l’expression d’une atmosphère. Il y a dans les couleurs des choses cachées d’harmonie ou de contraste qui collaborent d’elles-mêmes et dont on ne pourrait tirer parti sans cela .

LA HAYE (décembre 1881 - septembre 1883)
Avril 1882.

Il faudra que je dessine sans cesse des bêcheurs, des semeurs, des laboureurs, hommes et femmes. Que j’examine et étudie tout ce qui fait partie de la vie à la campagne. Comme bien d’autres l’ont fait et le font encore. En face de la nature, je ne me sens plus impuissant comme jadis.

Etten, septembre 1881.

Il y a ici des chemins creux couverts de ronces et de vieux arbres tordus avec leurs racines fantasques qui ressemblent tout à fait à ce chemin d’une eau-forte de Dürer : le Chevalier et la Mort.

BORINAGE (15 novembre 1878 - 20 août 1880)
Petit-Wasmes, 26 décembre 1878.
Borinage-Hainaut.

« Je ne suis pas seul, dit-il, car Dieu est avec moi. Je veux être pasteur. Pasteur, comme mon père ! » Cet appel, répété, ne pouvait rester sans réponse. Le pasteur Van Gogh réunit un conseil de famille. L’on convient de faire entrer Vincent à l’Université d’Amsterdam, et il habitera chez un de ses oncles, à la Marineweff. Tout de suite, Vincent se lance dans l’étude. Mais apprendre est devenu pour lui une torture. De mai 1877 à juillet 1878, il s’épuise en efforts... Il abandonne enfin et revient, une fois encore, au seuil de la maison d’Etten.

Notice biographique sur Vincent van Gogh

« Je voudrais faire le portrait d’un ami artiste qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante parce que c’est ainsi sa nature.
Cet homme sera blond. Je voudrai mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j’ai pour lui.
Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai – pour commencer.–
Mais le tableau n’est pas fini ainsi. Pour le finir je vais maintenant être coloriste arbitraire.
J’exagère le blond de la chevelure, j’arrive aux tons oranges, aux chromes, au citron pâle. Derrière la tête – au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement je peins l’infini.
Je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense que je puisse confectionner et par cette simple combinaison, la tête blonde éclairée sur ce fond bleu riche obtient un effet mystérieux comme l’étoile dans l’azur profond. » [Lettre 663]

Je vis une clarté effrayante au cours des moments où la nature est si belle.Je ne suis plus conscient de moi - même et les images arrivent comme dans un rêve.