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7 recommandations de l'Académicien Pascal Ory
Article publié le 31/03/2022 par Pierre Krause


Quels livres lire pour découvrir ou redécouvrir l'Académie française ? Voici l'une des questions que nous avons posées à Pascal Ory, un historien que nous avions interrogé en 2013 pour la sortie de son toujours très actuel Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, et qui a été élu il y a un an à l'Académie française.

A travers ses choix de lecture, c'est un véritable portrait de l'institution qui se dessine mais aussi une forme d'autoportrait de lecteur. L'occasion pour nous de découvrir une partie de sa bibliothèque mais aussi de jeter un coup d'œil sur les coulisses de l'Académie. 

 

                                                         

 

Quels livres autour de l'Académie ou d'Académiciens vous semblent particulièrement marquants ? 

Gaston Leroux, Le Fauteuil hanté       
Le Livre de poche, 192 pages, 3,20 €

 



Paru en même temps que Le Fantôme de l`Opéra, ce roman fonctionne sur le même principe : l’irruption de l’insolite et du fantastique au sein d’une institution prestigieuse. Nathalie Rheims s’en est inspirée un siècle plus tard (Le fantôme du fauteuil 32) pour imaginer que le fauteuil, évidemment imaginaire, de Leroux était le numéro 32, donc celui qu’avait occupé son père, le grand commissaire-priseur Maurice Rheims. D’où la légende.


Robert de Flers et Gason de Caillavet, L`habit vert  
Mémoire du livre, 250 pages, 22,27 €

 

Cette pièce à succès de 1912 a été adaptée au cinéma un quart de siècle plus tard, avec une pléiade d’acteurs et d’actrices réjouissants, au sommet de leur art (Elvire Popesco, André Lefaur, Victor Boucher, Jules Berry,…). Le film, qui cumule tous les handicaps aux yeux de la critique (pièce de boulevard, « théâtre filmé ») conserve, en plein XXIe siècle, tout son tonus sarcastique. L’Académie, en effet, en reçoit pour son grade ; comme il se doit, elle se vengera plus tard : en élisant Robert de Flers en son sein.


François Weyergans, La vie d`un bébé  
Folio, 224 pages, 8,70 €

 

Tous les livres de mon prédécesseur au fauteuil 32 méritent d’être lus ou relus. La critique a mis au sommet Franz et François, Macaire le copte et Le pitre, et j’en suis d’accord. Mais j’ai découvert l’écrivain en 1986 seulement et avec La vie d`un bébé, une petite merveille - petite mais merveille. C’est ainsi qu’on peut entrer chez un auteur par une de ses œuvres supposées secondaires, à laquelle on reste attaché par un charme particulier.


Erik Orsenna,  Une comédie française  
Points, 360 pages, 7,40 €

 



Erik Orsenna sera le confrère qui m’accueillera sous la Coupole au nom de la compagnie. Economiste de profession et écrivain de vocation, il a inventé un genre, tout à la fois léger, savant et profond, dont il a regroupé six des premiers titres (Voyage au pays du coton, L'avenir de l'eau...) en un Petit Précis de mondialisation, d’une lecture très salubre. De nos débuts contemporains - c’était il y a une cinquantaine d’années -, pleins de projets d’écriture et de combats politiques, je garde une sympathie toute particulière pour le romancier, celui de L`exposition coloniale ou de La vie comme à Lausanne, avec une petite faiblesse pour Une comédie française, élégante relecture des « Trente glorieuses » de ce cher et vieux pays. 


Pierre Nora, Les lieux de mémoire
Gallimard, Collection Quarto, 1664 pages, 34,50 €



Pierre Nora sera le confrère qui me remettra mon épée, la veille de la Réception. Les sept volumes des Lieux de mémoire résument son apport historiographique, majeur. Ce monument - au sens strict du mot - a cristallisé la réflexion sur les rapports entre Histoire et mémoire et sur les voies et moyens de construction d’une identité nationale - au reste, l’Académie figure dans la liste desdits lieux. En tant que création collective, il est à l’image de son maître d’œuvre, qui reste, depuis plus d’un demi-siècle, le grand éditeur des sciences humaines et sociales. J’avais participé, dès le premier jour, à l’entreprise, dont je fus le benjamin ; il y a deux ans Pierre Nora éditait Qu`est-ce qu`une nation ? dans la « Bibliothèque des histoires » des éditions Gallimard ; cet automne il me remettra mon épée académique. Il y a du sens dans tout ça, et pas qu’individuel.
 
 

Chantal Thomas,  Le testament d`Olympe  
Seuil, 312 pages, 18,30 €



Chantal Thomas sera, à mes côtés, ma « marraine » pour les jours de l’Installation puis de la Réception. Son œuvre témoigne d’une double intelligence historique et littéraire qui est rarement réunie à ce degré chez le même auteur. Sa sensibilité au destin des femmes dans une société qui se libéralise mais demeure dominée par les hommes lui a conquis un large public (Les Adieux à la Reine, L`échange des princesses…). L’un des personnages importants de son roman Le testament d`Olympe est le maréchal de Richelieu, type achevé du grand seigneur libertin du Siècle des Lumières. Il occupait mon fauteuil et a été l’académicien resté le plus longtemps (soixante-sept ans et huit mois) membre de notre compagnie : comme « fauteuil maudit », on fait mieux…

François Sureau, Le chemin des morts
Gallimard, 64 pages, 8 €



François Sureau sera, lui, mon « parrain ». Il vient d’être reçu, en février, sous la Coupole. C’est une forte personnalité, une plume brillante (Grand Prix du roman de l’Académie française pour L`infortuné), un intellectuel généreux et - qualité très appréciable, à mes yeux - inclassable. On retrouve toutes ces qualités, portées à leur plus haut degré d’incandescence, dans Le chemin des morts, court récit autobiographique sans complaisance, où se trouvent posées des questions fondamentales aux valeurs d’une société, donc à leurs limites. C’est ce que m’avait appris, à Sciences Po, une certaine fréquentation, via un collègue, de la doctrine du Conseil d’Etat : ou comment, à un certain degré de réflexion théorique, le droit n’est ni plus ni moins que de la philosophie.

Vous avez récemment dit que vous apparteniez à une génération qui a porté un regard ironique sur l'institution... Est- ce que vous avez changé d'avis et si oui, pourquoi ?

L’ironie anti-académique est vieille comme l’Académie mais je pense qu’elle a atteint un sommet au XXe siècle. En tant qu’historien, je ne l’ai jamais partagée, mais je n’avais jamais, non plus, rêvé d’y entrer, jusqu’à ce que trois académiciens m’y invitent. C’est à la mort de l’un des trois -Yves Pouliquen - que j’ai décidé, à sa mémoire, de me présenter. J’ai pu alors constater que les élections du XXIe siècle donnaient de l’institution une image moins conservatrice que celle qu’un regard, très convenu lui-même, aimait entretenir. Au reste j’occupe aujourd’hui le siège auquel a été élu, au début du siècle, Alain Robbe-Grillet : l’histoire de la Française peut être aussi vue comme une contribution à l’entrée successive de toutes les avant-gardes dans le Parnasse ou, comme on dit aujourd’hui, dans le canon : Victor HugoJean Cocteau, Eugène Ionesco



L’Académie reste parfois un peu chahutée sur les réseaux sociaux. Sur sa lenteur ou sur une déconnexion supposée avec la langue parlée au jour le jour. Que représente l’Académie pour vous aujourd'hui ?

Le Dictionnaire prend son temps - mais on n’oubliera pas qu’il s’agit du travail d’une compagnie, non d’une entreprise commerciale… Il se trouve que le premier occupant de mon fauteuil était le grammairien Vaugelas, à qui on doit les deux principes, au fond très modernes, qui président encore, trois siècles après, à la composition de cet ouvrage : l’ « usage » (ce qui était à l’époque une critique, au nom de ce qui deviendra plus tard la société civile, des savants - ou des pédants - de la Sorbonne), contre - j’aime cette formule - « les caprices des particuliers »… Pour ce qui est de la langue, je pense que le Quai de Conti a un rôle à jouer aux côtés des autres institutions de la francophonie, en particulier dans la lutte contre le franglais. Pendant la Pandémie on a beaucoup parlé de cluster, de click and collect ou de wébinaire - qui pourrait bien être le mot le plus laid de la langue « française »… : ça me paraît assez paresseux, voire un tantinet collabo. Au demeurant, les missions de l’Académie touchent à bien d’autres domaines : l’attribution de dizaines de prix et de bourses et aussi, moins connue mais capitale, l’abri accordé à plusieurs dizaines de fondations, à vocation culturelle, humanitaire ou sociale.

Vous êtes un amateur éclairé de bande dessinée. Vous vous intéressez d'ailleurs à toutes les formes de culture. Existe-t-il une envie de votre part de « décloisonner » l'Académie ?

Vous savez, notre sœur l’Académie des Beaux-Arts a élu en 2020 Catherine Meurisse, autrement dit une femme, une quadragénaire, une bédéaste et une rescapée de Charlie Hebdo. Respect. La Française élit des personnalités jugées expertes dans les domaines de la culture, pour peu qu’elles entretiennent un rapport avec la langue. C’était, par exemple, le cas de Jean-Loup Dabadie, reconnu auprès d’un large public comme scénariste, dialoguiste et parolier - un confrère très aimé dans nos rangs. Il y a quelques mois la compagnie a reçu Daniel Rondeau, Grand Prix du roman de l’Académie mais aussi grand biographe de Johnny Hallyday… Mais nous avons aussi en notre sein - fait peu connu - un Prix Nobel de médecine. J’ajoute, s’il s’agit d’encourager l’Académie à ne pas confondre sérieux et austérité, que celle-ci n’a pas attendu notre époque pour trouver un savant équilibre entre gravité et gaité. De ce côté-ci, il suffirait de rappeler qu’elle a élu sans état d’âme en leur temps Meilhac et Halévy - les librettistes d’Offenbach -, Marcel Pagnol et Marcel Achard, André Roussin ou René de Obaldia - qui vient de nous quitter, tout récemment, en laissant lui aussi un excellent souvenir à toute la compagnie. Mon absence totale d’humour me permet, de même, d’apprécier à sa juste valeur la double appartenance à l’Académie et au Collège de Pataphysique, quatrième cumulant de cet ordre - le dernier en date était Eugène Ionesco.

Vous occupez le fauteuil de François Weyergans. Que représente son siège ?

Mon prédécesseur est assez représentatif du « décloisonnement » dont vous parliez. C’était, au départ un homme de cinéma, diplômé de l’IDHEC - ancêtre de la Fémis -, mais il a su ensuite se faire suffisamment reconnaître comme écrivain pour avoir été couronné à la fois du Prix Goncourt et du Prix Renaudot. Par ailleurs, c’était ce que les Anglais appellent un excentrique. Les anecdotes ne manquent pas, à ce sujet : j’en rappellerai certaines dans mon discours de réception. Je profiterai de l’occasion pour préciser que mon fauteuil, le numéro 32, n’est pas le « fauteuil maudit » dont on parle parfois, fruit d’une spirituelle légende urbaine qui ne remonte qu’à l’année 2011, ce qui est un peu court pour une légende ; mais, assurément, à considérer plusieurs de ses titulaires, c’est un fauteuil romanesque.



Quels sont vos prochains travaux ou travaux actuels avec l'Académie ? Que pouvez-vous nous dire de ses coulisses ?

Mes travaux actuels au sein de l’Académie sont réduits à la portion congrue puisque je n’ai été qu’élu et qu’il me reste encore à être « installé » - le 6 octobre -, cérémonie intime qui permet de commencer, en effet, à participer aux travaux de la compagnie, puis à être « reçu », cérémonie solennelle et, à vrai dire, souvent assez gaie, sous la Coupole, le 20. Mais, puisque vous voulez qu’on parle des « coulisses », je dois dire que l’un des premiers plaisirs des novices réside dans la participation, pour l’instant spectatrice, au jeu complexe des festivités académiques et aussi dans le nouement de liens, toujours aimables entre pairs, avec des confrères et consoeurs : de la Française mais aussi de chacune des quatre autres académies. On touche là à l’essence de l’esprit de « club », un type d’institution d’où est sortie - on l’oublie souvent - la modernité culturelle et politique. Il y aurait beaucoup à dire - j’en parlerai, entre autres, dans mon « remerciement » du 20 octobre - sur l’importance des rites et des symboles dans quelque société moderne que ce soit. A cet égard je ne peux que m’abriter derrière mon confrère Claude Lévi-Strauss, à qui un homme de télévision demandait s’il ne se trouvait pas un peu ridicule dans son costume de style Empire, son épée romantique au côté : « Moi, je ne vois pas pourquoi je trouverais dérisoire dans ma société ce qui me fascine et me passionne dans les sociétés différentes. » CQFD.

          L'habit vert de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet / dessin de Yves Marevéry. Source : Gallica

Et vos prochains sujets d'étude personnels ? Vos prochaines publications ?

Comme toujours j’ai en projet plusieurs livres, correspondant à une programmation de longue haleine. C’est ainsi que le 31 mars sort, dans la collection « Bouquins », une anthologie de dix textes, grands et petits, réunis sous le titre Ce côté obscur du peuple. Dans la continuité de Peuple souverain, paru en 2017, j’y interroge ce fondement des systèmes politiques contemporains dont l’Histoire, « avec sa grande hache », montre sans cesse qu’il peut être vigoureusement identitaire et violemment autoritaire. La démocratie est fondée sur la souveraineté populaire, aucunement sur la liberté. La démocratie libérale n’en est qu’une variante, aux côtés de la démocratie autoritaire et de la démocratie totalitaire.



Découvrez Ce côté obscur du peuple de Pascal Ory aux éditions Bouquins. 


Quels sont les livres d'Académiciens ou sur le sujet de l'Académie que vous recommandez ? Dites-le nous en commentaire de cet article...

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