Qu'est-ce qu'une nation ?

Pascal Ory est un historien de ma génération.
Il a eu 20 ans en 1968, auparavant il avait connu les sursauts de la guerre d'Algérie et la décolonisation, vu les images de la chute de Saïgon en 1979 et la destruction du Mur de Berlin en 1989.

Très récemment élu à l'Académie française, adepte de l'école des Annales – avec Marc Bloch, Fernand Braudel et René Rémond, mes historiens préférés - il reprend mot pour mot le titre de la célèbre conférence donnée par Ernest Renan en 1882 au cours de laquelle l'écrivain breton – comme Pascal Ory - formule l'idée qu'une nation repose à la fois sur un héritage passé, qu'il s'agit d'honorer, et sur la volonté présente de le perpétuer « ce n'est pas de parler la même langue, ni d'appartenir à un groupe ethnographique commun, c'est d'« avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore » dans l'avenir :

« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. »

Pascal Ory délivre une réponse actualisée mais surtout mondialisée, foisonnante, appuyée sur d'innombrables références, du concept de nation – et du nationalisme, si souvent présent dans le discours politique d'aujourd'hui, en France et e Europe. Un ouvrage complexe, illustré d'exemples multiples, qui demande beaucoup d'attention mais invite le lecteur à changer de perspective pour qui s'intéresse à la chose politique. Mais, je préviens, il faut s'accrocher car le style est parfois confus, et l'auteur n'utilise la virgule qu'avec parcimonie …

L'idée de balayer l'ensemble des émergences nationales du monde entier – ancien et contemporain – est riche d'enseignements. La définition de ce qu'est une Nation, un Peuple, ressort autant de la géopolitique, de la philosophie (des Lumières en particulier) de la philologie et de la culture, de l'histoire – souvent réinventée – de l'idéologie et surtout de la politique. Et il est bon de redéfinir ces termes : Etat, ethnie, patriote, souveraineté, tradition, identité, concepts trop souvent confondus.

Nous avons tous en mémoire nos cours d'histoire sur le réveil des nationalités en 1848, et sur les principes du traité de Versailles de 1919 et le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'émergence de nations nouvelles après la dislocation des empires centraux, puis à la suite de la disparition de l'URSS donne des exemples flagrants.

Cependant, parmi les modes de construction du national, outre la décolonisation – la première étant celle de la formation des Etats-Unis, on trouve aussi la conflictualité (guerre interétatique ou guerre civile). Mais on doit compter aussi avec la langue, les religions, sans oublier les symboles : drapeau, hymne, monuments, fête nationale, devise, récit historique, manuels d'histoire revisités, romans épiques, grands héros statufiés.

Je comprends enfin le terme de téléologie : une technique consistant à réécrire l'histoire pour justifier d'une situation aboutie (les Gaulois exhumés par les français, les Scythes par les Russes, les Illyriens par les Albanais, le pays des Belges nommés par César).

Avec Pascal Ory, nous parcourons le panorama mondial des conflits nationaux, des séparations réussies et avortées, de la petite peuplade de Papouasie-Nouvelle Guinée à Taiwan, en passant par l'ex-Yougoslavie, la Catalogne, l'Ecosse et, naturellement, le conflit israélo-palestinien.

Parmi les conclusions, pas toujours très optimistes, la problématique du choix pour les nations opprimées entre exil ou intégration. le sommet de l'intégration étant atteint quand les descendants d'immigrés se découvrent si bien intégrés qu'ils adoptent à leur tour les positions xénophobes dont leurs ancêtres avaient été l'objet, mais décalés vers de nouveaux arrivants.

Une lecture qui laisse un sentiment très contrasté sur le nationalisme … à conseiller aux femmes et hommes politiques qui vraisemblablement n'y ont encore rien compris.
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