Citations de Agota Kristof (236)
Je ne suis pas aussi fou que vous croyez. Je sais très bien que je n'existe pas, je suis en pierre, couché sur le dos de mon chien.
« J’essaie d’écrire des histoires vraies mais, à un moment donné, l’histoire devient insupportable par sa vérité même, alors je suis obligé de la changer. » (p. 335)
Nous pêchons à la ligne dans la rivière. Bec-de-Lièvre arrive, pieds et orteils nus en courant. Elle se couche dans l'herbe, remonte sa jupe, elle n'a pas de culotte. Nous voyons ses fesses nues. Elle siffle et notre chien arrive. Elle se roule avec lui dans l'herbe. Le chien reniffle plusieures fois le sexe de Bec-de-Lièvre et se met à le lêcher. Puis elle se retourne, elle est sur ses genoux et tend son derrière au chien. Puis le chien pose ses pattes de devant sur le dos de Bec-de-Lièvre, ses membres postérieurs tremblent, il bouge très vite d'avant en arrière.Elle crie . Quand il a fini, il s'éloigne lentement.
Ces mots, nous devons les oublier, parce que, à présent, personne ne
nous dit des mots semblables et parce que le souvenir de nous en avons
est une charge trop lourde à porter.
Hier tout était plus beau
la musique dans les arbres
le vent dans mes cheveux
et dans tes mains tendues
le soleil
Hélas, la vie calme et tranquille que je m'étais imaginée s'est très vite transformée en enfer.
La maison de Grand-Mère est à cinq minutes de marches des dernières maisons de la Petite Ville. Après, il n'y a plus que la route poussiéreuse, bientôt coupée par une barrière. Il est interdit d'aller plus loin, un soldat y monte la garde. Il a une mitraillette, des jumelles et, quand il pleut, il s'abrite dans une guérite. Nous savons qu'au-delà de la barrière, cachée par les arbres, il y a une base militaire secrète et, derrière la base, la frontière est un autre pays.
Le dimanche, après le match de football, les spectateurs viennent nous voir derrière la barrière de la caserne. Ils nous offrent du chocolat et des oranges, naturellement, mais aussi des cigarettes et même de l'argent. Cela ne nous rappelle plus les camps de concentration, mais plutôt le jardin zoologique. Les plus pudiques d'entre nous s'abstiennent de sortir dans la cour, d'autres par contre passent leur temps à tendre la main à travers la barrière et à comparer leur butin.
Ecrire en français, j'y suis obligée. C'est un défi.
Le défi d'une analphabète.
(p.63)
Plus tard, avec le temps, nous n'avons plus besoin de fichu pour les yeux ni d'herbe pour les oreilles. Celui qui a fait l'aveugle tourne simplement son regard vers l'intérieur, le sourd ferme ses oreilles à tous les bruits.
Mise à part cette fierté grand-parentale, ma maladie de la lecture m'apportera plutôt des reproches et du mépris :
《Elle ne fait rien. Elle lit tout le temps.》
《Elle ne sait rien faire d'autre.》
《C'est l'occupation la plus inactive qui soit.》
《C'est de la paresse.》
Et surtout :《Elle lit au lieu de...》
Au lieu de quoi?
《Il y a tant de choses plus utiles, n'est-ce pas?》
Nous écrirons : « Nous mangeons beaucoup de noix », et non pas : « Nous aimons les noix », car le mot « aimer » n’est pas un mot sûr, il manque de précision et d’objectivité. « Aimer les noix » et « aimer notre Mère », cela ne peut pas vouloir dire la même chose. La première formule désigne un goût agréable dans la bouche et la deuxième un sentiment.
Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s’en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c’est-à-dire à la description fidèle des traits.
Quitter une maison pour une autre, c'est aussi triste que si on avait tué quelqu'un.
Inachevée restait la syllabe, sans signification, accrochée entre la fenêtre et le vase de fleurs.
Tout être humain est né pour écrire un livre, et rien d'autre. Un livre génial ou un livre médiocre, peu importe, mais celui qui n'écrira rien est un être perdu, il n'a fait que passer sur la terre sans laisser de trace. (p.107).
- Je serai peut-être ton fils plus tard. (p.91).
Il n'est pas nécessaire de faire des études pour devenir écrivain. Il est juste nécessaire de savoir écrire sans faire trop de fautes. (p.95).
En général, je me contente d'écrire dans ma tête. C'est plus facile. Dans ma tête tout se déroule sans difficultés. Mais, dès qu'on écrit, les pensées se transforment, se déforment, et tout devient faux. A cause des mots. (p.16)
J'ai un peu mauvaise conscience de m'installer à la table de la cuisine pour lire les journaux pendant des heures, au lieu de ... de faire le ménage ou de laver la vaisselle d'hier soir, d'aller faire les courses, de laver et de repasser le linge, de faire de la confiture ou des gâteaux...
Et surtout, surtout! Au lieu d'écrire. (p.8)
Quand séparée de mes parents et de mes frères, j'entrerai à l'internat dans une ville inconnue, où, pour supporter la douleur de la séparation, il ne me restera qu'une solution; écrire. (p.12)