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Critiques de Antoine Volodine (236)
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Frères sorcières

Le pouvoir brut du récit, l’arrangement de la mémoire, la performance de la vocifération. Le post-exotisme dans toute sa splendeur noire et rusée.



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Écrivains

Obscurité , camp, enfermement, assassinat, survivant, steppe, nomadisme, fantastique, lutte, guérilla, engagement politique, désillusion, désespoir, mort, rêve, misère, exploitation, dévastation.

Littérature

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Ce livre est le manifeste de Volodine
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Songes de Mevlido

Trois siècles après notre ère, la guerre a tout ravagé. Les génocides, les meurtres de masse et les violences ethniques ont de nouveau bouleversé l’histoire humaine. Dans Poulailler Quatre, vaste ghetto où s’entassent les hommes et la crasse, où les araignées tissent leurs toiles solides et où les poules et autres volatiles mutants forment des groupes hostiles, vit Mevlido, un flic d’une cinquantaine d’années. Infiltré auprès de vieilles bolcheviques qui continuent de hurler leurs slogans, tandis que les tracts appellent à des attentats contre la Lune et que des attentats réels sont commis contre les anciens seigneurs de guerre, Mevlido est partagé entre le réel et les rêves, sans parfois bien les distinguer. Il vit aussi dans le souvenir de sa femme, Verena Becker, torturée et tuée vingt ans plus tôt par des enfants soldat, lesquels, aujourd’hui, sont traqués et massacrés.



De vieilles réminiscences lui reviennent en mémoire, souvenirs de vies d’avant ou de moments vraiment vécus : ne pas toucher les rats, ne pas parler aux araignées, ne pas parler à un psychiatre … Il faut dire qu’en réalité, Mevlido est en mission. Il a été envoyé par les Organes, organisation ou Etat mystérieux et puissant, pour constater l’évolution et surtout la déchéance des hominidés. Après un voyage particulièrement éprouvant, il est envoyé dans un nouveau corps, un corps d’homme, dans lequel il renaît intégralement, oubliant jusqu’à sa mémoire passée, jusqu’aux quarante années d’entraînement subi, et seuls quelques noms, quelques phrases et images lui reviennent parfois.



Dans le monde des hommes, Mevlido mène des enquêtes. Il bat son chef lors des séances d’autocritiques, il se soumet lui-même à cette pratique qui rappelle les Grands Procès de Moscou. Il partage son existence et son appartement étouffant avec Maleeya Bayerlag, folle à force de tristesse qui prend Mevlido pour son défunt compagnon, Yasar. Tous deux, ensemble, tâchent de traverser la vie et malgré une affection certaine entre les deux êtres, tous deux regrettent désespérément leur amour ancien.



La vie de Mevlido, ses errements, l'effondrement de son monde, tout cela est retracé par un de ses anciens camarades du centre d'entraînement, Mingrelian, dans des rapports-romans que personne ne lit. En Mingrelian, on pourrait voir un double de Volodine, notamment dans la description que le narrateur fait de son écriture : « L’art de Mingrelian, influencé par le post-exotisme, joue avec l’incertitude, l’inaboutissement, le brouillage des contraires, le néant. »



Tel pourrait être le résumé littéraire de Songes de Mevlido, récit à la fois onirique, poétique, brutal et amoureux, désespéré aussi, conteur d’une humanité en voie de destruction, d’une humanité recroquevillée sur elle-même, d’une humanité qui cède le pas à l’animalité. Volodine n’apporte pas de réponse ; d’ailleurs, il ne pose pas de question. Il peint un monde futur, terriblement inquiétant, et pourtant encore riche, qu’il évoque par touches, par sensation (celles de chaleur et celle d’humidité, affreusement omniprésentes). En tant que lecteur, on tâtonne dans ce monde autant que Mevlido tâtonne lorsqu’il est au volant du bus qui roule immobile. On se perd dans un monde sans visibilité, on s’accroche à Mevlido, qui nous guide sans savoir où il va.



Antoine Volodine semble livrer là une oeuvre extrêmement visuelle, comme un tableau littéraire que l'on découvrirait au fur et à mesure des pages tournées. Par sa force poétique, son évocation d'un futur désenchanté, le roman construit une parenté avec les œuvres dessinées d'Enki Bilal. Et si de nombreuses significations, de nombreuses clés du roman m'ont probablement échappé, au moins reconnais-je là un roman marquant, puisque son empreinte imaginaire me semble particulièrement prégnante, voire obsédante.
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Des enfers fabuleux

Ouvrir un livre d’Antoine Volodine, quand il écrit sous ce nom, c’est se préparer à une expérience littéraire. Et malgré votre entraînement, vous serez toujours surpris.

Il a cette capacité à vous transporter dans des mondes si proches et pourtant si loin, dans des presque possibles, où l’être humain se nourrit de paradoxes quand l’absurdité ne devient pas une raison d’être. Le héros volodinien, si l’on peut parler de héros, on préférera sans doute le terme de personnage principal quand l’un des malheureux de l’univers qui jaillit sous nos yeux mérite ce qualificatif, n’a jamais la vie facile. Mais alors pas du tout.

Ici, rien que le titre est évocateur : Des enfers fabuleux. Fabuleux ? L’auteur s’approprie la notion de métempsycose, dont il met les secrets entre les mains de mutants bien étranges. Et cette migration des âmes, qui permet littéralement un voyage, ne saurait se pratiquer sans feu ni douleur. Le ton est posé, pour une histoire qui commence dans une ville sordide, post-exotique comme on dit à propos du travail de cet auteur.

Dans ses dystopies, il y a très souvent une doctrine officielle, des croyances officielles, et tous les malheureux inscrits sur la liste sanglante des indésirables.

Et trouver le refuge au monastère mythique de Woorakone, dans le désert de Wook-Wook, est-ce vraiment une bonne idée ? Ses habitants guident-ils au mieux toutes ces âmes égarées ? Vous n’avez qu’une manière de le savoir, c’est de faire le voyage vous-même.
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Terminus Radieux

"Le monde enfin" de Jean-Pierre Andrevon, "La route" de Cormack Mac Carthy, les romans Thierry Di Rollo, que d'histoires de fin du monde ces dernières années...

Cette approche d'Antoine Volodine oscille entre l'anticipation crédible, réaliste et un décalage poétique-mystique, et le résultat est plutôt inquiétant, mais avec l'impression de déjà lu.
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Terminus Radieux

Terminus radieux est un livre d'actions et de mouvements – jamais de commentaires. Au cœur du roman, un train file vers un infini en forme de camp ou de kolkhoze. On dirait un nirvana où toutes les errances s'accompliraient et se concluraient.
Lien : http://www.lemonde.fr/livres..
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Terminus Radieux

Dans les territoires irradiés, après la «Deuxième Union soviétique», de rares survivants de l'utopie socialiste - tractoristes, kolkhoziens, komsomols, soldats en déroute, zeks en liberté, liquidateurs - sont les héros déchus de Terminus radieux, récit halluciné au style puissant dans lequel les hommes, devenus des mutants, ne savent plus s'ils sont morts ou vivants.
Lien : http://rss.lapresse.ca/c/336..
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Le port intérieur

Exilé en compagnie de sa maîtresse Gloria Vancouver et d’un brésilien, Machado, qui les a aidé à trouver refuge à Macau, Breughel se cache et il vit maintenant seul, dans un quartier sordide de ce petit morceau de Portugal en mer de Chine.

Agent de son Parti missionnée pour le séduire, Gloria Vancouver a finalement trahi cette organisation totalitaire, et elle a accompagné Breughel dans sa fuite sans retour, après avoir détourné de l’argent du Parti.



Lorsque le roman s’ouvre, Gloria et Machado ne sont plus là, et, dans un cloaque envahi par les blattes, Breughel rumine sur la fin de toute chose, dans l’attente de sa propre décomposition. Rattrapé par Kotter, un tueur envoyé par le Parti pour retrouver les fuyards et l’argent, qui le soumet à un interrogatoire aussi violent qu'absurde, Breughel semble résigné à une fin proche, sans amertume tant elle est attendue.



«La foi en l’avenir était parvenue au dernier degré de sa combustion suicidaire.»



Écrivain vieillissant, dans cette partie de la vie «où déjà tout est recouvert d’une poussière de mort», la seule chose qui semble lui importer, dans ses récits et mensonges à Kotter, reste de protéger Gloria Vancouver. Mais, dans ce livre où rien n’est exempt du doute, cette femme existe-t-elle ou est-elle issue des fictions de Breughel ? Gloria Vancouver est-elle insane, recluse entre les murs d’un asile ou bien déjà morte ?



«Elle existe, elle n’existe pas, c’est une inconnue à cheveux noirs, parfois tu inventes un passé au cours duquel tu as été heureux avec elle, longtemps, pendant une vie entière, et parfois tu ne lui as même pas adressé la parole, elle t’a simplement frôlé, dans des structures clandestines qui se donnaient pour objectif d’exécuter des nettoyeurs ethniques, des vendeurs d’armes, des idéologues de la boucherie, des seigneurs. Bien que souillé pour toujours par la guerre, tu es resté un homme qui rêve sa vie, un habitant de l’imaginaire.»



Dans une ville de Macau en décrépitude, où la cohabitation des deux écritures, portugaise et chinoise, forme un contrepoint aux voix discordantes de Kotter et Breughel qui s’expriment successivement sous des formes diverses, récit, rêve ou monologue, «Le port intérieur», huitième roman d’Antoine Volodine (Éditions de Minuit, 1996) prend la forme d’un millefeuille de la parole, d’une théâtre d’ombres où chaque chapitre apporte une nouvelle couche de sens, une nouvelle parole qui échappe sans cesse à la volonté de domination et d’appropriation de l’interrogateur.



Les fictions d’Antoine Volodine ne se livrent jamais complètement au lecteur, comme un univers qu’on aime passionnément, mais dont on n’atteindra jamais le cœur.

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Songes de Mevlido

À une époque indéterminée, deux cent ou trois cent ans après le désastre historique du XXème siècle, la planète a été ravagée par les guerres, les catastrophes écologiques et les génocides ; les espoirs révolutionnaires ont été systématiquement déçus et les rares survivants de l’humanité agonisante sont maintenant regroupés dans la ville d’Oulang-Oulane.



Aux marges de cette mégalopole, Mevlido, qui exerce la profession d’inspecteur de police, mène une vie de survivant dans un ghetto sordide, le Poulailler Quatre, où survivent les membres de la «sous-humanité», refugiés pouilleux, malades mentaux, vieilles bolcheviques insanes et oiseaux menaçants, sous la lumière d’une lune inquiétante.



«Dès qu’ils furent de l’autre côté de la Porte Marachvili, le blanchoiement de toutes choses sous les rayons lunaires s’atténua. Les rues avaient rétréci. L’éclairage urbain avait des défaillances. On devait parcourir des dizaines, et parfois des centaines de mètres dans l’ombre, au petit bonheur. Les trottoirs et la chaussée étaient jonchés d’épaves. Souvent on frôlait des drogués des deux sexes, affalés dans leur vomi et dans leurs rêves. Quand l’obscurité était profonde, des oiseaux la colonisaient : des mouettes obèses, gigantesques, des corneilles monstrueuses, des chouettes, des poules ; elles recouvraient de larges portions du sol, constituant des groupes compacts qui protestaient contre les intrusions et interdisaient le passage à coups de bec. On marchait au milieu des gloussements et des cris.»



Dans cette atmosphère crépusculaire et moite, Mevlido est un héros englué dans ses fantasmes, ses cauchemars et dans les mensonges qu’il doit faire, à la hiérarchie policière, à la psychiatre et à tous les autres pour protéger ses rêves. Il partage sa vie avec Maleeya Bayarlag, une femme abîmée par la perte de son compagnon tué dans un attentat, et qui a depuis basculé dans la folie. Et Mevlido est lui-même égaré et psychiquement fragile, sans cesse assailli par les souvenirs et les songes de la femme qu’il a aimé, Verena Becker, martyrisée et assassinée vingt ans plus tôt par des enfants soldats. Toutes les femmes qu’il croise et qui meurent autour de lui le renvoient vers cette quête de Verena Becker à laquelle il ne peut renoncer.



Mevlido est-il dans le rêve ou la vie éveillée ? Déjà au-delà de la vie ? Ou se trouve le mensonge et la vérité ? Ces questions se posent, mais on peut s’en défaire puisque la recherche de vérité et d’idéal apparaît comme vouée à l’échec.

Dans notre humanité crépusculaire, voisine familière de cette fiction et également hantée par la perte d’idéal, pénétrer l’œuvre monde d’Antoine Volodine semble un recours indispensable. Et ce seizième roman de l’auteur, paru en 2007 aux éditions du Seuil, peut constituer, à l’instar d’«Écrivains» (2010) ou de «Terminus radieux» (à paraître fin août 2014), une magnifique introduction à son univers imaginaire unique, étrange et visionnaire.



«Mevlido se rappelait l’épisode final de ce livre dont il avait oublié le titre. Un être invulnérable, condamné à mort, était exécuté dans l’unique endroit où on avait pu l’atteindre, à l’intérieur d’un de ses rêves. Profondément endormi, il ouvrait les yeux et il voyait sur le sol des bourreaux qui étaient venus à lui sans armes ni vêtements, des assassins que la traversée des mondes oniriques avait empoisonnés et presque tués : un homme et deux femmes, précisément. L’asphyxie ralentissait leurs gestes, leur peau avait bleui, ils grelottaient à l’entrée de la chambre. Lui, l’être qu’aucune arme ne blessait, quittait son lit, il s’approchait d’eux, il les examinait comme s’il allait brutalement leur régler leur compte, et pourtant, envers ces trois individus qui avaient pour tâche de le détruire, il ressentait de la compassion. Tel était le mécanisme infernal de ce cauchemar. Méprisant le fait que les agresseurs se trouvaient à sa merci, il les consolait, il se penchait sur eux et leur parlait. Et ainsi se refermait le piège de pitié qu’on avait tendu autour de lui. Une à une, ses défenses s’étiolaient, ses capacités de résistance à l’anéantissement. La sympathie, l’empathie dissolvaient sa carapace, et, pour finir, en contradiction avec les principes qui avaient gouverné jusque-là son existence, il perdait toute envie de s’évader et il allait avec philosophie à la rencontre de sa mort.»

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Le nom des singes

Taxinomie dans la jungle : libérer un narrateur aux abois, et permettre l'envol du post-exotisme.



Publié en 1994, le septième roman d'Antoine Volodine, s'il est bien ancré, avec du recul, parmi les "quatre passerelles" !avec "Lisbonne, dernière marge", "Alto solo" et "Le port intérieur") qui font basculer l'univers de l'écrivain du décryptage initial de la réalité torturée des faillis (les quatre premiers romans, disons, pour simplifier) à l'installation inéluctable de la fiction post-exotique et de sa richesse complexe, bariolée et incantatoire (à partir de "Nuit blanche en Balkhyrie", dirais-je), constitue peut-être aussi un précoce point d'orgue dans le combat de l'écriture volodinienne autour de la mémoire et de l'amnésie suivant la lutte initiale (ou les luttes initiales) et autour des rituels langagiers comme méthode concrète de résistance.



Dans cette jungle sud-américaine oubliée, dans une bourgade avant-poste ou arrière-poste d'une lutte politico-militaire de grande ampleur ayant triomphé, mais vraisemblablement dans l'une de ces victoires à la Pyrrhus coutumières au post-exotisme, un narrateur, combattant retraité, est llivré au savoir-faire d'un chamane psychiatre, chargé de soigner son amnésie, réelle ou simulée - seule alternative possible aux interrogatoires musclés qui guettent le héros au passé trop trouble.



Sur ce motif volodinien déjà familier à l'époque se greffe une somptueuse narration dans laquelle les vocabulaires spécifiques du vivant de chaque race indienne présente, lexiques étendus qu'un dentiste, prédécesseur du psychiatre mystérieusement disparu un jour par le fleuve, tentait de collecter et d'organiser, jouent le premier rôle - et tout particulièrement, parmi eux, les noms donnés aux innombrables espèces de singes de cette jungle, qui donnent leur titre au roman.



Taxinomie désespérée, potentiellement magique dans son double rôle de remémoration et de dissimulation, taxinomie qui enrôle tour à tour un démobilisé, une prostituée occasionnelle, une ancienne commissaire politique, avant de laisser se fondre de moins en moins fugacement discours du narrateur et discours de l'interrogateur en un savant quiproquo, taxinomie enfin dont la fonction d'enfermement ou de libération dépend avant tout du bout de la perspective orwellienne depuis laquelle on regarde le texte.



La mise en abîme totalitaire et résistante, simultanée, est sans doute l'une des marques de fabrique de Volodine dont "Le nom des singes" nous montre avec le plus de vigueur l'aisance, la grâce et la poésie.



Un très grand livre, peut-être l'un des plus mystérieux et des plus essentiels de l'auteur.
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Rituel du mépris

S’il y a des livres-métamorphiques, il en fait partie comme sa biographie comparée de Jorian Murgrave. La puissance de cet imaginaire nous enveloppe et l’on se retrouve à partager la conscience de cette créature plus ou moins humaine, plus ou moins mutant et fantastique, sans s’étonner des délices de la cruauté d’un monde livré aux guerres perdues, aux confessions-trahisons nous faisant retrouver l’enfance où l’on apprend à devenir monstre.



« J’apprenais à me sentir en sécurité au milieu de la terreur. »

Shoetan Göchkeit



« Derrière mes paupières d’enfant terrorisé, l’oncle se baissait, l’oncle ouvrait grands ses iris de rouille compacte, et j’y décelais des traces de sauvagerie, le goût vertigineux des greniers en ruine, des cheminées pour toujours éteintes. »



Ainsi au gré de l’interrogatoire inquisiteur du personnage-narrateur couchant ses souvenirs d’enfance, on repart sur la trace des différents « Oncles » ayant formé ce Moldscher au sang de Feuhl. On rencontre ainsi autant de personnalités terribles, oncles carnassiers, avaleurs d’âmes, brûlés à la télépathie, élevant ce jeune enfant jonglant entre les différentes races, les différentes tribus, lui de l’espèce des polymorphe de ces Feuhl pour qui « notre caractère national, c’est d’absorber les particularités des peuples de rencontre… sans perdre les nôtres ». Puis c’est l’inquisiteur poursuivant une impossible conquête qui s’accapare des chapitres. Avant un final assez délétère.



C’est rapide, c’est corrosif comme l’acide, ça combine la fabrique de l’Apocalypse brûlant les yeux d’un enfant et le récit, sempiternel, des guerres ratées.



Du côté du post-exotisme, on voyage entre les cités, les pays vitrifiés, les bombes stationnaires atomisant jour et nuit et les descriptions kamikazes sont éblouissantes, alternant le sombre sordide et l’étincelant paysage nucléaire, en passant par un réduit plein de miroirs et de marionnettes. Et bien sûr la dérilection des invasions des guerres révolutionnaires et contre-révolutionnaires, les haines identitaires délirantes et toutes mutées, jusqu’aux projets abandonnés de solution finale au profit d’une infiltration généralisée qui se solde par un vertige complet :



« L’ennemi, voilà, c’était nous, il avait fallu du temps pour le comprendre. Quatre guerres avec leurs horreurs. Nous assumions donc enfin cette vieille nature, ennemis jusqu’au dernier pouce de notre peau, baignant piteusement dans le sang traître, sur les trottoirs, devant les lignes au petit matin pour l’édification des nouvelles recrues. »



Mais ce qui fait le prix de cet opus au-delà des mutants aux pouvoirs occultes, des paysages de ravage, des bestialités trop humaines, ou des parfums envoûtants d’hallucination cauchemardesque, c’est la ligne pure de l’enfance qui se lit dans ces souvenirs : le silence, l’endurance, l’amour de la mère qui reste une figure d’innocence intouchée par toutes les atrocités dans lequel baigne ce monde, et le père, presque mélancolique, suicidé par son oncle, qui est le ressort de l’une des quêtes de vengeance qui retient et qui réserve son lot de désillusion. Ces éléments illuminent sourdement, secrètement, continument toute l’histoire et lui rendent un peu de cette grâce si désespérément souillée.
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Biographie comparée de Jorian Murgrave

Il s’agit du premier roman d’Antoine Volodine et on ne peut que s’incliner devant ce coup de maître. Comment dire ? Ce roman est à la fois une prouesse d’imagination, de style et de narration. Qui est ce Jorian Murgrave ? Dans une terre du futur, sous un régime totalitaire de type stalinien, la brigade de surveillance est chargée de neutraliser le Non-Terrestre. Pourquoi ? Celui-ci semble avoir la particularité de pouvoir tuer les gens à partir de ses rêves. Car même enfermé dans la forteresse de Kostychev, il continue à tuer. Toute personne s’intéressant à sa vie, ses biographes, meurent selon un terrible rituel extra-terrestre. Les agents de la Brigade, dont les deux magnifiques Dojna et Hakatia ne sont pas non plus à l’abri. Or, cette traque via des biographies est l’élément fort du roman : car jamais nous ne sommes sûrs de lire la vérité sur le Murgrave et à chaque fois l’auteur essaye un style différent, inscrire une véritable nouvelle à l’intérieur de son roman. On nous relate ainsi l’enfance supposée du Murgrave, sa jeunesse, etc. Une chose est claire, son existence n’a pas été de tout repos (nous croisons au passage d’autres non-terrestres excellents, rien que le molop vaut le détour). Puis les techniques des bourreaux de Kostychev s’affinent, on essaye peu à peu de piéger le Murgrave, l’enfermer dans ses cauchemars pour l’y faire périr. Que dire de l’histoire ? Géniale, rythmée, on suit l’enquête, on se demande qui est ce Jorian, que veut-il ? Nous n’aurons guère de réponse, hormis que cet être est aussi complexe que l’âme humaine et que les révolutionnaires sont vite tués ou désabusés. Pour finir, une petit citation. « Stevän se renfrogna. - Ce n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler un rêve amusant, dit-il. - Je n’ai jamais entendu parler d’un rêve amusant se déroulant sur Terre, dit Tregar. » p114

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Des Anges Mineurs

J'ai commencé par goûter l'humour désespérant dans les premiers récits ou narrats (récits ne va pas du tout)

Une distorsion qui rend plus vrai ou plus sensible le constat même si nous venons au monde de tout autre façon, dans un but moins utilitaire, ou sans but, que Will Scheidmann.

Dans nos tentatives d'enchanter le monde, pour les autres si nous en avons le talent, ou le pouvoir, ou pour nous mêmes

Et le monde persiste à être fou.

Mais les enfants.. les arbres, la mer, les oiseaux...
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Des Anges Mineurs

Un mauvais choix de lecture pour les transports en commun. En effet, le livre est constitué d'une multitude d'intervenants qui s'expriment sur très peu de pages et dont les liens et l'histoire se tissent de façon souvent obscure et désorganisée. J'ai même failli abandonner car en commençant à lire j'ai cru qu'il s'agissait de courtes nouvelles indépendantes et je n'y trouvai aucun intérêt. Un livre à nul autre pareil, canevas étrange aux multiples thématiques, qui nous entraîne on ne sait vers quoi, évoque un monde au bord du gouffre, fantasmagorique et à la poésie omniprésente ( une poésie sombre et tourmentée). Un livre qu'il va falloir que je relise parce que le bus n'était clairement pas l'endroit pour lire ce type d'ouvrage. Un livre que certains adoreront, d'autres détesteront , mais que je conseille car l'écriture est très belle et qu'il s'agit d'une expérience de lecture très particulière, qui oblige le lecteur à entrer dans le monde et l'esprit de l'auteur et qui n'est pas construit pour plaire ou lecteur ( j'ai souvent l'impression dans les romans qui marchent de nos jours, que les auteurs ont tenté de répondre à un cahier des charges, l'écriture n'étant plus une forme d'art, mais un produit bien construit et interchangeable).
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Vivre dans le feu

Intriguée par une très bonne critique de Télérama, j'ai eu envie de découvrir "vivre dans le feu" d'Antoine Volodine dans une œuvre qui devra comporter à terme 49 volumes signés sous divers pseudonymes. Je remercie Babelio et les éditions du Seuil de m'avoir donné l'occasion de découvrir cet auteur, revendiquant un genre : le post modernisme. L'écriture est soignée, le vocabulaire précis, recherché et la narration accroche le lecteur. Roman court écrit avec intensité. L'histoire est sophistiquée avec des mises en abyme et un espace temps fluctuant. Il faut accepter de se laisser porter par l'onirisme de cette histoire d'apprentissage qui confronte Sam à différents membres de sa famille (tantes grand oncle, cousines) tous plus étranges les uns que les autres dans un univers post-civilisationnel. Le monde industriel a disparu et il n'en reste que des vertiges rouillés, le paysage et l'habitat évoquent des territoires Mongol... L'apprentissage de Sam s'inscrit dans une boucle, celle de son imaginaire et de ses âges différents. Il y a urgence pour lui à se créer un monde et une famille imaginaire, dans la minute qui précède sa disparition dans un horrible embrasement d'aspersion au napalm lâché par un bombardier. Nous allons dans ce micro espace temps suivre Sam dans des espaces souterrains qui peuvent être des lieux de refuge : des moniales l'ont soigné pendant des siècles.... Et deux tantes l'ont conduit en draisine dans une longue galerie minière vers une porte qui lui permet de traverser le temps. Mais aussi des lieux d'effroi : dans une profonde cave, une de ses tantes retient dans des boîtes des hémoncules à l'image d'hommes dont elle aimerait se venger...

Sa famille veut l'initier à vivre dans le feu puisque c'est son destin. Volodine dans un interview nous dit : "D'une part, entrer dans le feu pour exister dans le feu, c'est changer de monde, et d'autre part, l'espace et le temps, quand on est au cœur du feu, on n'en a vraiment rien à foutre. Donc le feu devient une matière passerelle vers l'éternité plutôt qu'une matière destructrice, et c'est cette matière-là que j'ai essayé de montrer en permanence. "

J'avoue humblement n'avoir pas saisi toute les subtilités de ce livre, mais ne regrette pas cette découverte.

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Vivre dans le feu

Extrait de ma chronique :



"Cette façon (théorisée par les formalistes russes) de superposer "un réseau de liaisons intemporelles sur la chaîne temporelle de l'histoire" (suivant l'expression de Wolf Schmid dans le Living Handbook of Narratology, je traduis), Antoine Volodine l'hérite du "roman en vrac" de Boris Pilniak (suivant l'expression de Georges Nivat, reprise par Oxana Khlopina), donc de ses inspirateurs, Alexeï Remizov et Andreï Biely, et à travers eux du symbolisme français (Marcel Schwob en tête).





Vivre dans le feu pratique bel et bien en effet ce qu'Emilie Yaouanq nomme "la fragmentation de l'anecdote par le culte de l'instant" (et Christian Salmon, sur AOC, la "cristallisation de l'instant"), en extrayant de la vie imaginaire de Sam les 12 périodes les plus propices à s'incruster dans nos têtes, 12 chapitres au fond analogues aux "douze récipients" de "l'ensemble carcéral" dans lequel tante Yoanna stocke ses "homoncules" (page 40) – et c'est loin d'être la première mise en abyme du roman, j'y reviendrai."


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De la filouterie considérée comme science exa..

Article publié en 1843. Curieux texte qui se présente comme une étude d’un phénomène présenté comme omniprésent :l’escroquerie. Il commence par décrire les « qualités » d’un escroc, puis une histoire de cette pratique et enfin une énumération de cas concrets racontés en détail. L’article était à visée satirique (ce qui n’est plus perceptible pour nous) et traduit le pessimisme social de Poe . Il peut faire écho ,à notre époque d’escroquerie légale (la publicité entre autres).
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Le post-exotisme en dix lecons, leçon onze

Extrait de ma chronique (croisée avec les "Haïkus de prison") :



"En fait de leçon, la mort annoncée de Lutz Bassmann est surtout l'occasion pour le narrateur de revenir sur un des moments-clé du post-exotisme, le "colloque" (pages 18, 34, 44, 53) organisé en prison pour interroger (au sens quasi-policier du terme) les auteurs et autrices post-exotiques encore en vie – un événement annonciateur de la leçon que, dans le monde réel, Antoine Volodine donnera à la BNF en 2006.





Avec une jubilation féroce, Antoine Volodine croque deux journalistes arrivistes, Blotno et Niouki, mais aussi, face à eux, quatre auteurs et autrices de la dernière génération du post-exotisme, dans un décor carcéral marqué, comme toujours chez Volodine, par l'irruption de la pluie et du vent (voir Les Filles de Monroe pour une version plus récente du trope)."




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Macau

Macau est le nom portugais d'une ville que l'on peut aussi appeler Macao.

Depuis le 20 décembre 1999, Macao est une région administrative spéciale de la République populaire de Chine. Auparavant, elle a été colonisée et administrée par le Portugal durant plus de 400 ans et est considérée comme le dernier comptoir ainsi que la dernière colonie européenne en Chine.

Un livre en deux parties,

D'un côté ce qu'on pourrait appeler une nouvelle permettant de découvrir un drôle d'univers celui d'un auteur prolifique avec un texte à la fois poétique, ésotérique qui se termine par une fin digne d'un bon roman noir,

De l'autre d'une série de clichés d'ambiance ou d'atmosphère, sans aucun commentaire, laissant planer sur ces vues de Macao un soupçon de mystère et des images de la lente transformation (ou mutation) de la cité.

Une écriture ciselée, donnant un texte qui a son propre souffle, sa propre respiration et qui entraîne dans les ruelles, les cimetières et sur les quais de cette ville.

Lecture très plaisante qui me donne l'envie de découvrir un peu plus l'univers de ce pseudonyme.
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Les filles de Monroe

Le style est plutôt fluide et équilibré. L’auteur nous plonge dans une ambiance de vieux romans noirs avec des pointes d’humour et des personnages comme Kaytel et Dame Patmos, les gradés du Parti. Ce roman semble fidèle à l’univers de Volodine avec des ambiances de ruines, de société en dégénérescence, des frontières entre le monde des morts et des vivants, des personnages errants à la recherche d’un passé anéanti par les pouvoirs politiques. Si maîtrisé qu’il soit, cet univers n’est généralement pas le mien. Surtout qu’ici, il est vraiment en décomposition! Je suis aussi restée longtemps perplexe sur le couple de Breton et du narrateur. Les dialogues laissent penser qu’ils ne sont qu’une seule et même personne même si ils se défient aux échecs. Ce dédoublement de personnes reste pour moi une énigme.

Malgré sa renommée de chaman et ses talents littéraires , je sais maintenant que l’univers d’Antoine Volodine n’est pas pour mo
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