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Critiques de Blaise Cendrars (422)
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L'or : La merveilleuse histoire du général Jo..

Qu'est-ce qui est juste ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? C'est ce à quoi nous invite à réfléchir ce livre.

L'Or se présente sous la forme d'un bref roman, plutôt une sorte de biographie historique dédiée à un drôle d'énergumène, citoyen suisse, américain d'adoption, nommé Johann August Suter.



L'homme a véritablement existé. Il s'agit ni plus ni moins que du fondateur de la Californie moderne, du moins celle dont nous parle un écrivain comme Steinbeck dans ses nombreux romans sur une Californie regorgeant de fruits et de légumes, offrant du travail à tout le monde. (La Californie, comme nombre d'endroits idylliques sur la Terre, a beaucoup changé de visage depuis lors.)



Blaise Cendrars utilise un style assez sobre et sans détours mais parfois teinté de lyrisme, qui peut possiblement rappeler Saint-Exupéry, le tout découpé en de très brefs chapitres.



D'abord parti de rien, homme au passé un peu louche, comme de nombreux autres émigrants qui firent le choix des États-Unis naissants, Suter va faire fortune en faisant fructifier la vierge Californie (alors mexicaine) grâce au travail des Hawaïens et des Indiens. Il est presque déjà à la tête d'un empire agricole lorsque, par malheur (quelle ironie !), un ouvrier découvre un immense filon d'or. Évidemment, le secret sera éventé et déclenchera la fameuse ruée vers l'or.



Blaise Cendrars nous invite à réfléchir sur le genre de traumatisme que peut créer un afflux massif d'émigrants tel que celui qu'a connu la Californie au cours de l'année 1848, faisant par exemple passer la population de San Francisco de 800 habitants à plus de 25 000 deux ans plus tard. Les chiffres réels dépassent tout ce que l'on peut imaginer créant une mutation de la Californie telle que peut-être aucune autre région du monde n'a connu en si peu de temps.



Le flot des pauvres bougres avides d'or et de fortune vont faire irruption sur les terres de Suter et finalement l'exproprier de chez lui, alors même qu'il est légalement le véritable propriétaire de cet or.



S'ensuivra une longue et incertaine bataille juridique et un paradoxe : une fortune ruinée par la découverte de l'or, laissant un vieillard aux abois sans espoir de rentrer dans son dû, oublié, détesté ou méprisé de tous.



Pour ceux que cela intéresse, je conseille de lire cette biographie en parallèle avec la nouvelle La Perle de l'authentique californien qu'était John Steinbeck, qui traite dans le fond un peu du même sujet.



Je crois que ces deux petits ouvrages se répondent parfaitement avec des angles d'attaque très différents et nous amènent tous deux à nous interroger sur ce qu'est " le Juste ", ce qu'est " la Possession " et enfin, ce qu'est " la Richesse ".



Oui, croyez-m'en, il y a beaucoup de philosophie aussi derrière la vie de cet homme et cette montagne d'or. Mais ceci, n'est bien évidemment que mon avis, assurément pas une pépite et encore moins de l'argent comptant, c'est-à-dire, bien peu de chose par les temps qui courent...
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La main coupée

Paru en 1946, « La main coupée » appartient aux « Mémoires » de Cendrars, qui comprennent également « L’homme foudroyé », « Bourlinguer » ainsi que « Le lotissement du ciel », et reviennent sur les mille vies de l’auteur suisse.



Grand bonimenteur devant l’éternel, Blaise Cendrars n’est jamais à court d’une histoire fantasmée ou vécue, d’une histoire qui sort de l’ordinaire, et nous révèle l’incroyable faconde de l’auteur. Auto-fiction ? Auto-biographie ? Difficile de classer « La main coupée » qui revient sur l’engagement volontaire dans la légion étrangère, d’un poète suisse qui n’aimait pas les boches. « La main coupée » est assurément un hommage sincère et touchant aux compagnons d’armes de Cendrars, qui ont pour la plupart péri au front. Un front, où l’auteur perdit sa main droite, sa main d’écrivain et dût être amputé au-dessus du coude en 1915. Une amputation qui donne son titre à ce roman inclassable, un roman sur la guerre des tranchées, un roman autobiographique, un roman sur l’amitié et le courage.



Une « main coupée » à laquelle Cendrars consacra un poème dans « Feuilles de route » paru en 1924.



« Orion 



C’est mon étoile

Elle a la forme d’une main

C’est ma main montée au ciel

Durant toute la guerre je voyais Orion par un créneau

Quand les Zeppelins venaient bombarder Paris ils venaient toujours d’Orion

Aujourd’hui je l’ai au-dessus de ma tête

Le grand mât perce la paume de cette main qui doit souffrir



Comme ma main coupée me fait souffrir percée qu’elle est par un dard continuel »



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Blaise Cendrars vient d’être père et de se marier, il a vingt-sept ans, lorsqu’il décide, lui qui est né en Suisse sous le nom de Frédéric Sauser en 1887, qui a déjà eu mille vies, qui a déjà voyagé en Russie et à New York, erré de longues nuits avec les poètes d’avant-garde du début du siècle, et publié lui-même, de s’engager dans la légion étrangère pour aller combattre les boches.



Dès le début de la guerre, le 1ère classe Cendrars se fait remarquer par son audace et insubordination. Il est nommé caporal et prend la tête d’une petite escouade, qui le considère comme un chef charismatique. Pour avoir photographié un christ dont la tête était tombée, le soldat Cendrars est condamné à 30 jours de prison, alors qu’il vient à peine de rejoindre le front.



Protégé par un capitaine qui l’a à la bonne, Cendrars jouit d’une certaine liberté, se moque des honneurs comme d’une guigne, a les gradés en horreur, mais n’a de cesse de harceler les Allemands tout proches, en compagnie de son escouade, dans ce nord de la France qui évoque déjà un paysage lunaire après quelques mois de guerre.



En dédiant la plupart de ses chapitres à ses compagnons d’armes, l’auteur rend hommage à ces hommes qui se sont battus à ses côtés, ces hommes que rien ne forçait à rejoindre cette guerre, ces hommes qui n’étaient pas français, mais qui ont décidé de se battre pour la France. En nous contant les destins peu communs de ceux que le destin a réunis au fond d’une tranchée sous une nuit glaciale de l’hiver 1914-1915, Blaise Cendrars dessine à sa façon ce tableau à la Jérôme Bosch que fut la première guerre.



Truffé d’anecdotes truculentes, de permissions débridées, « La main coupée » nous conte le conflit de 1914-18 avec une honnêteté, une décence et une vérité rares. Honnêteté, car c’est un poète suisse engagé qui nous conte une sale guerre. Décence, car l’auteur ne met jamais en avant son esprit d’aventure, son courage dissimulés derrière le masque de la dérision. Vérité, car la première guerre est nous est narrée à hauteur d’homme, d’un homme qui a décidé d’être là, les pieds dans la boue la plus infecte, parmi ses soldats, en dépit du jugement peu amène qu’il porte sur ses supérieurs.



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J’ai découvert Blaise Cendrars à vingt ans. Ce fut un choc, dans la mesure où je réalisais qu’il existait un auteur français qui pouvait rejoindre le Panthéon de mes auteurs américains. Un auteur à poigne, un aventurier, un Hemingway français, un soldat, un poète, un type épatant ! Un style, une gouaille, un vent de liberté ! Cendrars ignore la peur et prend la vie à la rigolade. Cendrars se fout des médailles, des honneurs, Cendrars se fout de tout. Ouais, c’est ça que je trouvais tellement classe, le mec se fout de tout, il voyage, il mord dans la vie, il est libre.



« J'étais heureux comme un roi, riche comme un milliardaire, libre comme un homme. »



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L'or : La merveilleuse histoire du général Jo..

Le 6 mai 1834, Johann August Suter, citoyen suisse, quitte son pays... je devrais plutôt dire "fuit" son pays car il laisse derrière lui femme et enfants. Mais que lui prend-il ? Le désir de voyager. Il va ainsi à Paris puis aux États-Unis. A New-York, il se fait embaucher comme livreur, lui, le fils de la dynastie "Suter", des papetiers ayant fait fortune. Mais Johann est sans le sou et peu lui importe son ascendance. Mais le démon du voyage le ronge. Hop, direction le Missouri... les îles Sandwich, Honolulu.. Inutile de préciser qu'en attendant, sa femme et ses quatre rejetons se morfondent, sans nouvelle ! Et, comme pour se déplacer, il faut de l'argent, Johann n'hésite pas à monter des affaires peu scrupuleuses. Son credo est : "il faut oser".



La Californie fera son malheur. Si pour, Julien Clerc - excusez l'anachronisme - ♫♫ La Californiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie est une frontière ; Entre mer et terre, le désert et la viiiiiiiiiiie ♫♫.... pour Johann, ce sera une barrière qui mettra fin à tous ses rêves. Croyant faire une affaire en faisant l'acquisition d'un bout de terre pour une bouchée de pain, il croit créer une nouvelle Helvétie. Il fait venir du monde, s'enrichit et songe même à faire venir - il était temps - sa femme et ses enfants. Mais c'était sans compter sur la découverte de l'or...



Le style n'est pas à tomber à la renverse, il faut bien le dire. Mais il est rapide et donne l'impression d'un certain mimétisme avec la vie trépidante du personnage. Un roman vite lu mais qui fait passer quelques heures agréables de lecture, d'autant plus que le récit s'inspire d'un personnage historique. Bon, c'est romancé, certes, mais le lecteur ne sera pas dupe.


Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Moravagine

Quand Raymond la science libère Moravagine pour l'étudier de plus près, on peut se demander qui est le plus timbré malgré la présentation préalable du détenu, monstre dont un travers favori consistait à éventrer la gente féminine, de préférence avec un foetus. Ils formeront un duo détonnant dans un périple autour du monde percutant.



En plus des personnages pour le moins azymutés, le roman paraît lui dynamité. Structure déroutante, narration inconstante, genre et ton virevoltants.... L'on y est bringuebalé à la lisière de l'anarchisme, du roman d'aventure, parfois de la poésie, tout semble possible dans ses 26 paragraphes inégaux agencés selon les lettres de l'alphabet, comme une manière de dire que l'on peut tout écrire avec ses 26 symboles.

Il semble convenu que l'auteur ait exorcisé ses démons dans ce roman à l'écriture au long cours, Moravagine représentant l'Autre pour Cendrars.



J'aimais lire du Cendrars dans mes vingts ans, il y a.... quelque temps. Si mes souvenirs sont encore bons il me semble que ce Moravagine est à part, ce que semble confirmer les avis récoltés ici là. Même si j'y ai reconnu de loin son style parfois suffocant de richesse syntaxique, d'autres fois bluffant de fulgurance poétique.
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L'or : La merveilleuse histoire du général Jo..

En 1834, Johann August Suter abandonne sa famille, et quelques dettes, dans la région de Bâle et traverse le nord de la France jusqu'au Havre où il s'embarque pour l'Amérique. Il végète quelques années à New-York, puis décide de rejoindre la Californie, alors mexicaine. Son esprit d'entrepreneur fait merveille, il y bâtit un empire, la Nouvelle Helvétie, et devient, pense-t'il, l'homme le plus riche du monde.

Mais, alors que la Californie rejoint les USA, on découvre de l'or sur les terres de Suter. La ruée vers l'or détruira la quasi-totalité des biens de celui qui n'est encore que Capitaine...



Avec ce court roman, rédigé en moins d'un mois et demi, Blaise Cendras s'essaie à un nouveau genre, le roman d'aventure. L'or connaîtra un succès mondial.

La trame de l'œuvre combine le destin dramatique de l'aventurier, peut-être un peu trop arrogant et sûr de lui quand la fortune fut arrivée, et la grande aventure de la conquête de l'ouest américain, et plus particulièrement de la construction de la Californie, terre presque vierge à l'époque. La ruée vers l'or, épisode particulièrement célèbre, que l'auteur présente plutôt sous ses mauvais angles (alcool, pillards, escrocs, etc.), joue évidemment un rôle essentiel dans cette aventure.

Quand je lis des romans de la fin du 19ème ou du début du 20ème siècles, je constate souvent que la forme a vieilli. Ce n'est pas le cas ici. Le style, résolument moderne lorsque le roman est publié en 1925, reste toujours d'actualité ; phrases, paragraphes et chapitres courts et nerveux, écriture riche, mais directe et sans fioriture. Cendras rejoint ici Alexandre Dumas, faisant de Suter un D'Artagnan malchanceux du 19ème siècle.



Un roman épique qui se lit facilement.
Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
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La main coupée

Incroyable Cendrars! Dans une langue colorée et riche comme la vie, il nous conte les anecdotes terribles des tranchées, où la survie tenait à une seconde ou quelques centimètres, où les personnages les plus obscurs prenaient dans la boue, les excréments, la peur, la faim, les parasites, les rêveries amoureuses ou sexuelles, la stature de héros de l'Antiquité, poursuivis par la malchance ou fauchés par un destin absurde, atomisés par le seul obus du secteur ou ensevelis vivants dans un entonnoir .

Une suite de portraits cocasses à la fois réalistes et expressionnistes, une description, hallucinante ,d'un monde dantesque, ou, implacable, de l'imbécillité de l'état-major. Des hommes à qui l'ont fait faire une marche de soixante quinze kilomètres à pied jusqu'à la première ligne du front, non sans leur avoir fait vider, en octobre, le "matériel non réglementaire", c'est à dire les lainages chaussettes et tricots fabriqués à la main par des milliers de femmes dans un élan de solidarité, et qui les regardent brûler sous les quolibets des sous officiers… Le train qui siffle, tractant ses wagons vides, et roulant au pas sur la voie ferrée parallèle à la cohorte le long de ce voyage au bout de la nuit.

Avec tout cela, et par la magie de l'écriture de Cendrars, on croit encore en l'humanité, mais plus du tout, s'il en était besoin, en l'idéal qui fait marcher les hommes au pas. Dans ce livre, Cendrars narre aussi métonymiquement la perte de son bras droit et de sa main d'écrivain. A partir de ce tribut payé à la guerre, un autre pan de sa vie et de sa création va s'ouvrir.
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Rhum

Je viens à peine de terminer la lecture de L'or - La merveilleuse histoire du général Johann August Suter et voilà que je me lance de nouveau dans la lecture d'une biographie romancée de Blaise Cendrars sur un personnage qui a existé, Jean Galmot, personnage haut en couleur, attachant, complexe, totalement atypique, que l'écrivain n'hésite pas à comparer à Don Quichotte. Je ne sais pas vous, mais moi j'ai toujours adoré ce fameux Don Quichotte...

C'est un court récit et c'est à croire que Blaise Cendrars aime se pencher sur des personnages dont la réussite sociale est aussi fulgurante que leur chute...

Mais qui est Jean Galmot et pourquoi Blaise Cendrars s'est pris d'affection pour ce personnage ? Son histoire est comme un roman, digne d'une légende.

Blaise Cendrars s'est longtemps promené dans les coulisses du monde et la trajectoire de Jean Galmot ne pouvait que le séduire.

Nous sommes au début du XXème siècle, le début de ce récit croise la fin de l'affaire Dreyfus, la révision du procès et ce n'est pas un hasard, tout d'abord parce que Jean Galmot était journaliste à cette époque et parce que celui-ci est séduit par la cause dreyfusarde. Il sera amené à chroniquer cette affaire et c'est étonnant de découvrir que plus tard son parcours sera pour lui aussi semé de mensonges, de trahisons, d'ignominie...

Difficile d'enfermer Jean Galmot dans un seul registre : journaliste, espion, poète, écrivain, aventurier, homme d'affaires, député... Je vous l'ai dit, sa vie est un roman incroyable, même sa mort l'est aussi... Et c'est sans doute cela qui a séduit Blaise Cendrars. Mais peut-être davantage, dans le parcours semé d'embûches, derrière la silhouette ambigüe d'un homme complexe, difficile à saisir, l'écrivain y a vu la bonté, la générosité, l'humanisme, l'opiniâtreté aussi, ne cédant rien à la meute de ses ennemis, luttant jusqu'au bout, jusqu'à ce jour où il mourut empoisonné par un bouillon assaisonné d'arsenic...

Mais qui était Jean Galmot au juste ? À vingt-six ans, il est ambitieux, criblé de dettes que beau-papa rembourse sous la condition que son beau-fils aille se refaire une moralité là-bas en Guyane française... Nous sommes en 1906. Et c'est là-bas que le jeune homme va faire fortune, mais pas seulement. Il se révèle une âme d'aventurier et de rêveur en se découvrant broussard infatigable et en se frottant aux délices de la forêt.

Certes il va faire fortune dans le rhum, mais dans son ascension d'industriel ambitieux il va se révéler être un des grands porte-paroles de la cause noire, ce qui lui vaudra le surnom de « Papa Galmot » au sein de la communauté indigène guyanaise. Cet engagement doublé d'une manière saine et héroïque de mener ses affaires va lui valoir aussi les foudres de ses confrères industriels et du pouvoir parisien en place, dans un contexte politique où l'esprit colonial est à son apogée. Quand Jean Galmot devient député sans étiquette de la Guyane française, c'est le pompon, tout est réuni pour commencer à semer des trappes et des chausse-trapes sur le chemin de cet homme qui commence vraiment à agacer, non mais quoi ?!

C'est sans doute ce côté franc-tireur qui a dû séduire Blaise Cendrars.

C'est bien connu, tous les chemins mènent au rhum, et c'est justement l'affaire des rhums qui va faire trébucher notre héros...

S'ensuivent quelques chapitres ou Blaise Cendrars se fait chroniqueur judiciaire. Les amateurs du genre apprécieront. Mon attention s'est un peu relâchée durant ces épisodes. Cependant je comprenais alors toutes les raisons pour lesquelles l'écrivain avait eu l'inspiration d'identifier son personnage à la figure de Don Quichotte, surtout au plus fort de la tourmente tandis qu'il continuait de clamer haut et fort : « je crois en la justice de mon pays ». Malheureux homme ! Et comment ne pas sourire et admirer le bon mot de son avocat qui disait : « dans ces conditions, tout homme libre en ce pays est en liberté provisoire ». J'adore !

Dressant le portrait à décharge d'un homme généreux, idéaliste, franc-tireur, Blaise Cendrars revêt ici l'habit du journaliste investigateur, ouvrant les archives, les tiroirs, pointant les loups, les fils blancs, jusqu'à montrer comment déjà à cette époque de notre démocratie balbutiante, on pouvait bourrer les urnes avec les voix des morts puisque c'est ce que fit l'adversaire de Jean Galmot de manière totalement décomplexée. Bon, nous étions en 1928, je vous rassure cela n'existe plus de nos jours, du moins en France... Ah ! Ouf ! Tu nous rassures...

Mais le style de Blaise Cendrars dépasse la simple chronique journalistique. Il nous raconte l'histoire d'un personnage presque mythique en y mettant son souffle et son empathie. J'ai beaucoup aimé cette approche.

C'est peut-être dans la confrontation d'une forêt semée d'embûches que le personnage de Jean Galmot a forgé son caractère. C'est cette image qui me revient au moment d'achever ma chronique, un homme perdu dans la forêt, confrontant son regard émerveillé avec celui du chat-tigre, ennemi chacun l'un pour l'autre et se respectant dans un duel loyal.

Comment alors ne pas s'émouvoir de ce passage du texte si inspirant ? « La jungle qui tue ne m'a pas eu, elle me fera grâce parce que je l'aime d'un amour fervent, parce que je lui dois tout, parce qu'elle m'a appris à être libre. La jungle est l'ennemi loyal et sûr, qui frappe en face, qui prend à bras-le corps. L'adversaire hideux et bête, qui torture et qui fuit, le plus redoutable ennemi dans la jungle, c'est l'homme... » Il allait le découvrir à ses dépens quelques années plus tard, lorsqu'une meute serait lancée contre lui où les règles de la jungle paraissaient brusquement si simples et si lointaines à côté...

Jean Galmot mourut à l'âge de quarante-neuf ans.

Qui a dit : « L'homme est un loup pour l'homme » ?

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L'or : La merveilleuse histoire du général Jo..

L'histoire édifiante de Johann Augus Suter.

Celle-ci m'était connue, par un téléfilm sorti au début des années 70.

Déjà, ce destin brisé m'avait frappé et interpellé. Le récit d'une Californie brûlée par la fièvre de l'or.

Quelques temps plus tard, la prose vibrante et galopante de Blaise Cendrars me replongeait dans l'épopée et la défaite du Général Suter.

L'aventurier, le bâtisseur d'empire ne pouvait gagner contre cet or qui ronge, encore de nos jours, les hommes et leurs âmes. L'or qui annihile toute raison et toute sagesse. L'or qui aiguise tous les appétits sordides, et hante les rêves inatteignables de fortune.

Cendrars, rescapé-manchot de la grande boucherie de 14/18 ne pouvait que s'emparer de cette histoire de folie et de cet homme vaincu.

L'or marquera à jamais le paysage de ces lettres françaises de l'entre-deux guerres, de son étrange fulgurance.

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L'or : La merveilleuse histoire du général Jo..

La Californie ♬, la Californie ♬

La Californie ♬, la Californie ♬



Quelle incroyable histoire, celle de ce fameux Johann August Suter ! Triste et merveilleuse à la fois...

Écoutez plutôt ! L'or - La merveilleuse histoire du général Johann August Suter est une histoire vraie, celle de la Californie, celle de la découverte de l'or en Californie, celle d'un homme dont les terres de Californie firent sa fortune et dont la découverte de l'or sur ces mêmes terres en fit sa ruine et peut-être sa folie aussi.

Il fallait tout le talent d'un chroniqueur comme Blaise Cendrars, tout l'art de savoir nous raconter une histoire, nous tenir en haleine jusqu'au bout du récit, comme s'il nous transmettait un conte.

Bien sûr, nous savons le terrible destin de cet homme, Johann August Suter, ce qui l'attend puisque son sort est déjà scellé dans le sous-titre du livre « L'or l'a ruiné ».

Mais qui était ce fameux Johann August Suter, qui n'était pas plus général que moi je suis chef d'escadrille ? Un Suisse germanophone issu d'une famille d'industriels, qui décide de laisser tout derrière lui, femme, enfants, dettes, zones d'ombres et de débarquer à New-York en 1834 à l'âge de trente-et-un ans. Laissez-lui le temps de traverser le continent américain, là-bas à l'ouest il va faire d'une contrée désertique peuplée de Mexicains et d'Indiens un eldorado fertile et prospère qu'il baptisera la « Nouvelle Helvétie ».

Tout va très bien durant plusieurs années, Johann August Suter est un riche et respectable propriétaire terrien, humain, attentif aux conditions de travail des personnes à son service. Il devient sans doute à cette époque-là l'un des hommes les plus fortunés du continent américain et peut-être même du monde. Tout va très bien jusqu'à ce matin de janvier 1848, lorsqu'un des ouvriers au service de son exploitation agricole donne un malheureux coup de pioche dans la roche, libérant une pépite d'or. Aïe ! Johann August Suter sent tout de suite que ce n'est pas bon du tout. Mais il ne faut surtout pas que ça se sache... « Chut ! Il faut garder le secret... N'en parlez à personne autour de vous ! Que tout ceci reste ici, entre nous... » Et que pensez-vous qu'il se fit ? En quelques heures, le secret va être éventé comme une trainée de poudre et des nuées de pauvres bougres affamés vont déferler sur ses terres comme la vérole sur le bas clergé breton... À partir de ce moment-là, tous les malheurs du monde vont s'abattre sur les épaules de Johann August Suter.

Séduit par cette ascension prodigieuse et cette désescalade insensée, Blaise Cendrars traite cet itinéraire à la manière d'un reporter, d'une chronique journaliste. Il a sans douté été séduit par ce paradoxe incompréhensible, le grand destin à la fois magnifique et dramatique d'un homme ruiné par la découverte de l'or sous ses pieds. Avouez, quand même !

Autour de ce destin incroyable, c'est aussi une peinture saisissante de cet épisode mythique de la ruée vers l'or et de la folie qui s'empara de ces hommes mus comme des vagues de bestiaux vers l'eldorado, devenant des brutes prêtes à tout, de pauvres hères saisis de cupidité vorace, de cruauté, cherchant la fortune, la découvrant aussi vite qu'ils auront rendez-vous avec la folie, l'ivresse de l'alcool, le malheur du monde et ses abysses de perdition...

Blaise Cendrars fait de cette biographie une fable étonnante qui en dit long sur l'humanité. Et au coeur de cette fable, de cette biographie sans doute romancée, surgit un personnage que Blaise Cendrars rend humain et pathétique, la figure tragique d'un conte antique, dont le destin lui échappe brusquement et à jamais. À croire que des dieux mal inspirés se seraient amusés à jeter un sort maudit à cet homme, à jouer avec lui comme si c'était une marionnette !

A priori, on pourrait penser que l'écriture de Blaise Cendrars ici n'a rien d'extraordinaire. L'émotion est tenue à distance. Mais il y a dans ce style vif et épuré quelque chose qui saisit cette histoire avec force pour en extraire une étrange et édifiante fulgurance, un peu comme un coup de pioche libérant une pépite d'or.



♬ Mais la Californie est si près d'ici

Qu'en fermant les yeux, tu pourrais la voir ♬

Du fond de ton lit ♬

La Californie ♬, la Californie ♬♬

La Californie ♬, la Californie ♬♬

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L'or : La merveilleuse histoire du général Jo..

Quelle histoire stupéfiante que voilà ! Et dire que je n’en avais jamais entendu parler.



L’Or raconte l’histoire de la grandeur et de la déchéance de Johann August Suter, un self-made man tel que les Américains les adorent. Cet homme quitte tout ce qu’il a dans son canton suisse pour tenter l’aventure américaine dans les années 1830. Après s’être formé sur le tas à New York, il part vers la frontière et monte une affaire dans le Missouri.

Mais là-bas il n’arrête pas d’entendre parler de l’Ouest, au-delà des montagnes et des déserts, comme d’un pays de cocagne. Il apprend le nom de cette région : la Californie. Il est décidé à y faire fortune. Après bien des aventures il réussit à créer une puissante entreprise. Il est le gardien des frontières du nord menacées par les Indiens. Il a l’oreille du gouverneur de la république de Mexico.

Et puis quelqu’un a un coup de pioche malheureux sur ses terres : de l’or.

Et c’en est fini. La ruée dévore tout son empire, comme un nuage de sauterelles, comme Attila.

Cette force de la nature, pétri de confiance en lui et en son destin, commence à douter. Il s’effondre, se relève, s’effondre à nouveau, se relève. L’histoire jusqu’ici centrée sur le succès devient tragique, pathétique.



Au travers de l’histoire de Suter, c’est tout un pan de l’histoire des États-Unis qui nous est relaté. Quand la Californie était espagnole puis mexicaine, alors que les États-Unis regardaient l’endroit avec l’avidité de vautours. Puis la guerre du Mexique, puis le passage d’une terre sauvage et peu exploitée à un État californien patriote et puissant.

Blaise Cendrars nous conte tout cela avec distance. Un style journalistique, presque télégraphique. Les phrases sont sèches, définitives. Même lorsqu’il nous décrit les états d’âme d’un Suter fracassé par la vie, il refuse de montrer de l’empathie. Que le lecteur ressente ce qu’il veut, lui ne l’influencera pas. Un style que je n’avais pas encore lu. Pas désagréable mais qui a souvent un goût de trop peu, qui donne envie d’ouvrir une encyclopédie, un Wikipédia voire un livre d’Histoire plus documenté.



C’est une belle découverte en tout cas.

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Du monde entier au coeur du monde

J'apprécie beaucoup Blaise Cendrars et je le repêche de temps à autre dans ma bibliothèque.

Pas la peine de chercher des règles strictes dans ses poèmes mais des mots que l'on met en musique dans les oreilles.

Pas d'emphase chez lui mais des réflexions concrètes sur les terres qu'il a traversées, les situations qu'il a vécues.

De temps en temps, une surprise, un petit mot qu'on a envie d'écrire d'une autre façon : mais non, il a voulu rattacher le petit mot à la suite qui se trouve deux lignes plus bas.

Aujourd'hui, j'ai relu "Tu m'as dit" et cela m'a permis un dérivatif de pensées bien agréable.

Pour terminer, avant de ranger le livre pour un petit temps seulement, je dirais que Blaise Cendrars nous offre des réflexions personnelles très spontanées sous forme de poésies.

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Du monde entier au coeur du monde

Cendrars c'est ma dope à moi..



.Cendrars c'est mon voyage, ma dose d'insolence salutaire, ma pincée d'humour, mon rail de chagrin, ma perf' de modernité éternelle..



J'y reviens toujours, il m'enchante, me fait rêver et rire. Il me bouleverse. Je le trouve d'une jeunesse étonnante, décapante, et en même temps sage comme un philosophe grec et vieux comme l'homme et le monde...



Je l'ai découvert en écoutant Serge Reggiani dire Pâques à New York - dont j'ai toujours l'enregistrement sur une bande probablement inaudible...



J'aime ce poème long et sombre. Je le connais presque par cœur.



C'est une descente aux enfers dans les cercles maudits des quartiers de New York, un soir de Pâques. Blaise, l'athée, y cherche une réponse divine à son angoisse. Mais, devant la misère des hommes, il éprouve durement le silence de Dieu . Fin de la nuit et de la seule crise mystique de son existence agnostique. Fin du poème.



Apollinaire, en entendant Cendrars lire "Pâques" dans l'atelier des Delaunay, a écrit ZONE...qui s'en inspire!



J'aime aussi la Prose du transsibérien.... autre merveille!



Un voyage et une incantation à toutes les aventures, du verbe et du corps, un poème-conversation entre Blaise le baroudeur et la petite Jehanne de France, pas pucelle pour un sou, celle-là, et même un peu putain, mais toute malheureuse d'être si loin de Montmartre..



Le poème a été mis en images et couleurs par la peintre Sonia Delaunay, dans une édition rare,que j'ai eu un jour l'insigne honneur de tenir entre mes mains et que j'ai eu le bonheur plus démocratique de revoir à l'exposition Delaunay: il se présentait sous la forme d'un dépliant "touristique"- peinture et texte se répondant en correspondances colorées... une forme ultra-moderne de communication simultanéiste!



Cendrars est plein de surprises, de chauds-froids étonnants: il prend comme une éponge les vibrations de son époque- peinture cubiste, art africain, musique de jazz, journal, publicité- et tout à coup, il vous cueille, au dépourvu, d' un uppercut, en plein cœur.



Emotion pure.



Un grand poète, qui a, brusquement, décidé d'arrêter la poésie, tout en continuant romans et nouvelles.



Sans doute parce que tout ce qu'il a écrit est poésie, même sans en porter le nom.



Sans doute parce que Cendrars EST la poésie. Tout bêtement.
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Moravagine

Ce roman est une fleur vénéneuse, une fleur carnivore! On le dévore, dans la fascination et l'horreur!



Le personnage de Moravagine, un psychopathe que je vous déconseille de rencontrer au coin d'une rue, mesdames,est une sorte de grand'oncle du Raspoutine de Hugo Pratt, qui descendrait de Raskolnikov par les femmes -de mauvaise vie- et adorerait échanger quelques recettes de dissection avec Jack l'éventreur, autour d'un verre de Guiness ou d'une vodka glacée (selon celui qui a le bon côté du bistouri)...



Bref, un monument d'originalité, de perversion maîtrisée et de dépaysement garanti!

Des pages sublimes, crues et violentes , céliniennes... A lire sans modération!
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L'or : La merveilleuse histoire du général Jo..

La rue vers l'or ! le grand Ouest !

1834 Johann August Suter débarque à New York, ayant laissé derrière lui femme et enfants. Son but, faire fortune. Il s'installe dans le Missouri, mais très vite, il entend parler du grand Ouest par des gens de passage sur ses terres. Direction la Californie où il développera une des premières formes d'agriculture industrielle. Fortune faite, il rachète la région au Mexique ; il est en passe de devenir l'homme le plus riche du monde, quand, paradoxe des paradoxes, la découverte d'or sur ses terres finira par lui ruiner fortune et santé. La rue vers l'or vient de débuter, et ce n'est pas l'arrivée (enfin) de sa famille qui le sortira du pétrin.



« L'or ». le premier véritable roman publié par Blaise Cendrars, plutôt connu jusqu'alors pour ses poèmes, en 1925. Un roman ? Oui. Mais surtout une sorte de biographie romancée du Général Sutter, un aventurier d'origine suisse qui a réellement existé.

Un petit bouquin, des chapitres courts, un style direct, propre à décrire une épopée qui fonce vers l'Ouest, qui s'accélère, qui enfle, qui gonfle, qui … Finit par s'écrouler. On suit l'ascension et la chute de Suter, comme pris dans une tornade. Et cet or qui rend fou, tout celui qui le côtoie et/ou l'espère, le fantasme…



« L'argent ne fait pas le bonheur ! » Et l'or ? Moins encore, peut-on croire en lisant ce petit opus divertissant.

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Moravagine

Ce roman-là, il faut le digérer, le métaboliser pour qu'il exhale tout son sel. La digestion n'est pas simple, car elle tord les boyaux et met le feu à l'estomac; l'ingurgitation non plus, tant on est désorienté par les différentes consistances de ces morceaux de texte écrits dans le désordre à différentes périodes. Mais le jeu en vaut la chandelle.



Moravagine, c'est ce monstre terrifiant et magnifique qui grandit dans une solitude perverse, dépasse l'horizon humain, éventre des femmes pour extirper le monde de leur présence mortifère, retourne à la solitude de l'asile, s'en enfuit dans un grand éclat de rire et s'en va ensemencer le monde de son mal.

Moravagine, c'est toute la folie et la grandeur du 20ième siècle naissant que ce presque gnome traverse en boitant, jouisseur et goguenard, anarchiste fomenteur de révolution en Russie, aviateur des 5 continents, dieu païen dans la jungle amazonienne.

Moravagine, c'est surtout une langue d'une puissance suffocante, tranchante, exaltée, nourrie aux source de la vie.



J'ai beau très mal connaître Blaise Cendrars, rarement j'ai eu la sensation en lisant Moravagine d'une oeuvre si organiquement liée à son auteur.
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Moravagine

Ce roman à couper le souffle est totalement atypique dans l’œuvre de Cendrars. Moravagine est un tueur de femmes (qui porte bien son nom...), il est dangereux, fou, malfaisant et attachant. Dans l'hôpital où il est interné, il fait la connaissance d'un jeune psychiatre qui, fasciné par ce personnage complexe à l'intelligence maléfique, organisera son évasion et l'accompagnera dans une fuite perpétuelle à travers le monde.

L'idée de Moravagine est née vingt ans plus tôt dans la tête de l'auteur, à l'époque où il était étudiant en psychiatrie. On sent dans l'écriture qui paraît instinctive toute l'implication personnelle de Cendrars qui, à travers son personnage, semble exorciser le double maléfique présent en chacun de nous. C'est roman sublime, hallucinant, terrifiant et poétique. Une lecture difficile et haletante, un livre incontournable !
Lien : http://bloglavieestbelle.ove..
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Rhum

Rhum est une biographie abracadabrante d'un homme hors pair dont l'ingéniosité à tout faire a été source d'un véritable scandale dans presque tous les domaines. La biographie n'est pas linéaire, elle se construit suivant les ressentis de l'auteur...comment suivre un homme qui a su se construire dans la jungle et dont l'énergie et la force crée également une espèce de jungle autour de lui. En tout cas, les choses ne s'éclaircissent pas trop quand bien même l'enquête de l'auteur fournit certaines sources bien définies du scandale. On se dit que ce personnage est trop énigmatique pour pouvoir parler de lui, même quand il sombre dans des affaires ténébreuses telle que celle des ''Rhums'' qui provoque d'ailleurs sa chute, la crise économique de 1924 aidant, même traqué, dépouillé, l'homme essaie toujours de se révéler, hé bien, il n'y a que la mort pour l'arrêter...

Un petit texte que j'ai aimé, l'auteur y met beaucoup plus de son souffle que de l'histoire du député à tout faire de la Guyane, on voit bien qu'il a été amèrement touché par le harcellement de Jean Galmot par ses multiples ennemis!
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Bourlinguer

Édité en Livre de Poche, « Bourlinguer » -qui fut écrit par Blaise Cendrars en 1946-1947- constitue le troisième des 4 volumes de Mémoires de l'auteur ; Blaise Cendrars dira que ce « sont des Mémoires sans être des Mémoires ». A la base, « Bourlinguer » est une oeuvre de commande, chaque récit (11 récits de dimension très variable, portant le nom d'un port, réel ou fictif, le port de « Gênes », où Cendrars nous livre des confidences sur son enfance à Naples, représentant à lui seul un tiers de l'ouvrage) devait être accompagné d'une gravure de Valdo Barbey, peintre et décorateur français d'origine suisse, comme Cendrars. Le développement considérable de certains récits a toutefois transformé le projet initial et produit une œuvre singulière, non par sa taille (440 pages) mais par le souffle qui la porte, par le côté singulier du style de son auteur, par l'originalité du propos, par l'érudition qui sous-tend l'ouvrage et par la leçon d'humanité qui nous est donnée.



De son vrai nom Frédéric Louis Sauser, Blaise Cendrars s'est inventé son pseudonyme car il était convaincu que « l'acte de création artistique a lieu lorsque le poète est tel une braise, qui se consume au cours de la création, puis s'éteint pour se transformer en cendres »: de là, Blaise comme braise, et Cendrars comme cendre. Et, à n'en pas douter, « Bourlinguer » est l’œuvre d'un poète et la preuve incontestable de cet acte de création artistique, de cette braise qui animait l'auteur. Placé sous le signe du voyage (Blaise Cendrars nous conduit de port en port à travers le monde entier), de l'aventure, de la découverte et de l'exaltation du monde où l'imaginaire se mêle au réel de façon inextricable, « Bourlinguer » constitue un mélange complexe de poésie, de reportage et de souvenirs personnels.



Le souffle qui porte l'ouvrage est puissant : « je veux vivre et j'ai soif, toujours soif ». Le style de l'auteur est singulier, Blaise Cendrars produisant assez facilement des phrases qui font près d'une page (cf. ma citation). L'originalité du propos est évidente : un port, c'est un peu comme « un navire qui peut vous mener partout » et il y a « des phares qui scintillent comme une lampe dans un cercle de famille » ; c'est en quelque sorte « une bouteille sans millésime ». La poésie est à fleur de pages, en permanence. L'érudition qui sous-tend l'ouvrage ne manquera pas d'impressionner : il y a des anecdotes historiques originales et parfois saugrenues, mais parfois aussi de superbes pépites. Dans certains cas, on ne sait plus si elles relèvent de la fiction ou de la réalité (exemple des homoncules de Kueffstein, page 154). Blaise Cendrars nous donne également une leçon d'humanité : la vie et le monde vont de l'avant, alors « il ne faut jamais revenir au jardin de son enfance qui est un paradis perdu, le paradis des amours enfantines » même si y revenir c'est tenter de « retrouver son innocence » (page 115). Or, cette innocence, Blaise Cendrars l'a perdue très tôt : il fut tout d'abord confronté à l'itinérance de sa propre famille, son père, homme d'affaires un peu niais et instable, déménageant sans cesse avec femme et enfants au gré de ses voyages ; puis, engagé volontaire, Blaise Cendrars a subi l'épreuve du feu jusqu'à ce qu'une rafale de mitrailleuse lui arrache le bras droit et le conduise, après amputation (en 1915), à vivre une vie pour le moins différente. Fuyant sans cesse de par le monde, l'auteur s'est rempli d'impressions, telle une éponge. Confronté à la montée du progrès, essentiellement technique, social à la marge, l'auteur a de curieuses réactions, que ce soit devant l'ineptie des « photos de la nature vendues à des millions d'exemplaires en cartes postales » ou devant le Photomaton qu'il qualifie de « délégué de Satan ».



En lisant « Bourlinguer », le lecteur découvre un homme passionné et meurtri. Des questions fondamentales hantent en effet l'auteur : au final, que doit être l'homme et que doit être le monde ? Un contemplatif luttant comme un boxeur rencontrant un adversaire furieux, voilà ce qu'est Blaise Cendrars et le lecteur pourra compter ses cicatrices : « on ne les voit pas toutes et il n'y a pas de quoi en être fier ». L'auteur ne souhaitait ni poétiser ses sensations, ni poétiser l'exotisme qui transpire tout au long de l'ouvrage : il voulait « dans la cacophonie générale, restituer le silence humain ». Meurtri ou désespéré ? Ne vous y trompez pas : « il faut aimer les hommes fraternellement » (page 212) et vivre avec exubérance car « la folie est le propre de l'homme » (page 207). Pour cette œuvre singulière et forte, je mets quatre étoiles.



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La main coupée

Blaise Cendrars et son écriture si pleinement descriptive, au plus près des hommes, de la boue, du malheur, de la guerre. Rien pour faire joli. Seulement la force de l'absurdité meurtrière et celle, dérisoire en comparaison mais qui pourtant rend la lecture supportable, de la solidarité, de la camaraderie, des liens entre ceux qui sont jetés dans ce non-sens furieux.



Alors qu'il n'avait pas la nationalité française, Blaise Cendrars s'est engagé à la déclaration de guerre, après avoir signé et diffusé un manifeste appelant les étrangers à rejoindre les rangs de l'armée.

Ils ont été nombreux à suivre cet appel, et au bout de quelques mois, ont été intégrés dans la Légion étrangère. Cendrars, avec le grade de caporal, était donc entouré d'hommes venus d'un peu partout. S'il ne le dit pas expressément, il semble évident qu'il était très soucieux des membres de son « escouade » et que ceux-ci lui vouaient un réel attachement.

Moyennant quoi il a partagé avec eux des heures, d'horreur souvent, mais aussi d'une immense camaraderie, d'une fraternité indéfectible née des circonstances.



Le récit s'arrête en juillet 1915, avec l'annonce d'une permission. Deux mois avant la blessure qui lui coûtera son bras droit et dont nous ne saurons donc à peu près rien dans cet ouvrage.



Le livre alterne le portrait des hommes avec lesquels il a vécu au front et les souvenirs qu'il partage avec eux. Cendrars sait à merveille décrire ses camarades, saisissant aussi bien les traits de caractère que l'allure générale et les expressions des visages. La complicité gouailleuse qu'il ressent pour chacun de ceux de son « escouade » laisse la place à une ironie ravageuse quand il évoque certains gradés, adjudants, colonels, généraux, dont il ne cache pas le mépris qu'ils lui inspirent.



Cendrars qui fréquentait avant-guerre les milieux intellectuels d'avant-garde, vit le front de plain-pied avec les hommes qui l'entourent. Lucide, presque extra-lucide, sur leurs caractères et leurs faiblesses, regardant et acceptant pourtant chacun de ces légionnaires comme un frère en humanité dans ce maelstrom d'enfer qui leur est infligé. Mario Rigoni Stern écrit quelque chose de semblable sur une autre guerre, trente ans plus tard, dans « le sergent dans la neige ».



Cendrars ne se paye pas de grands mots pour exprimer cette fraternité née de la vie en guerre. Descriptions au plus près de la réalité tangible, charnelle, dans un style d'une verve gouailleuse, parfois argotique, parfois violente, toujours précise et colorée, reflétant à la fois l'esprit populaire et carabin de la troupe, et les évènements, pittoresques ou trop souvent tragiques, qu'elle affronte.



Cette richesse d'écriture, ce regard à la fois plein de compréhension et de dérision, me rappellent ceux de Malaquais et de sa « Planète sans visa ». Deux livres écrits à la même époque, sur deux guerres différentes. L'homme y est toujours le même. Mais deux auteurs qui ont un talent fou pour le dire.



De « L'homme foudroyé » je suis arrivée sur le conseil d‘Isidore, à cette « Main coupée ». Isidore, si tu as d'autres catastrophes aussi révélatrices à me suggérer, je prends !

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Au coeur du monde

Cendrars a commencé poète, avant de s'attaquer aux romans plus ou moins autobiographiques, reportages et expériences cinématographiques, pour ne parler que de sa création littéraire!

Dans les textes de Au Coeur du Monde, on perçoit déjà clairement ces différentes formes d'écriture par la lecture de ces textes poétiques très libres - je me suis demandé à quel point il retouchait ces textes par la suite, car il paraissent si spontanés - . Au Coeur du Monde se lit, ou peut se lire, comme un récit de voyage; les poèmes se suivent. Cendrars y évoque avec détails son départ du Havre pour le Brésil, Rio de Janeiro, en bateau. Chaque texte, relativement court, est comme un regard sur un port ou un paysage, une vision fugitive d'une ville ou d'un paysage intemporels, l'océan lorsque la nuit tombe, des hommes qui travaillent. Les mots sont comme jetés sur la feuille sur l'instant du regard, jeté du pont du bateau.

Le Brésil. Chaque plante, les montagnes, les Sud-Américaines, les constructions, tout y est détaillé en si peu de mots mais tellement de richesse, qu'on est bien ici dans un reportage poétique!

Cendrars traverse le monde, non, plonge au coeur du monde, l'universel, les nationalités, couleurs et peuples confondus, et il y plonge avec un amour gourmand de toute cette diversité.



Au Coeur du monde est suivi de poèmes variés, de très courts sur la première guerre mondiale, un Hommage à Apollinaire, décédé en 1918 de la grippe espagnole, et enfin un extrait retrouvé de Au Coeur du Monde, sensible, saisissant.

Je suis heureuse d'avoir retrouvé Cendrars avec ce recueil, et d'avoir voyagé ainsi avec lui au fil de l'eau.



Lu dans le cadre du Challenge Poésie et du Challenge Récit de Voyage
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