Citations de Gustave Flaubert (2960)
Toutes les industries du luxe parisien subirent son influence, qui fut bonne pour les petites choses, et funeste pour les grandes. Avec sa rage de flatter l’opinion, il détourna de leur voie les artistes habiles, corrompit les forts, épuisa les faibles et illustra les médiocres
[...] Bientôt ces mensonges le divertirent ; il répétait à l'une le serment qu'il venait de faire à l'autre, leur envoyait deux bouquets semblables, leur écrivait en même temps, puis établissait entre elles des comparaisons ; - il y en avait une troisième toujours présente à sa pensée. L'impossibilité de l'avoir justifiait de ses perfidies, qui avivaient le plaisir, en y mettant de l'alternance ; et plus il avait trompé n'importe laquelle des deux, plus elle l'aimait, comme si leurs amours se fussent échauffées réciproquement et que, dans une sorte d'émulation, chacune eût voulu lui faire oublier l'autre.[...]
Elle me tient attaché par une chaîne que l'on apperçoit pas.
Ce n'est ni le chagrin, ni les chagrins, ni même l'ennui qui peuvent vous rendre malades et vous tuer. On ne meurt pas de malheur, on en vit, ça engraisse.
FLAUBERT à Louise COLET, 30 janvier 1847
Oh ! j'ai bien souffert ! Souvent je sortais, je m'en allais, je me traînais le long des quais, m'étourdissant au bruit de la foule sans pouvoir bannir l'obsession qui me poursuivait.
Il n'avait plu, comme autrefois, de ces mots si doux qui la faisaient pleurer, ni de ces véhémentes caresses qui la rendaient folle ; si bien que leur grand amour, où elle vivait plongée, parut se diminuer sous elle, comme l'eau d'un fleuve qui s'absorberait dans son lit ; et elle aperçut la vase.
Ensuite, tous causèrent ça et là, par groupes; les bonhomme Meinsius était avec Mme Arnoux, sur une bergère, près du feu; elle se penchait vers son oreille, leurs têtes se touchaient; - et Frédéric aurait accepté d'être sourd, infirme et laid pour un nom illustre et des cheveux blancs, enfin pour avoir quelque chose qui l’intronisât dans une intimité pareille. Il se rongeait le cœur, furieux contre sa jeunesse.
Mais elle vint dans l'angle du salon où il se tenait, lui demanda s'il connaissait quelques-uns des convives, s'il aimait la peinture, depuis combien de temps il étudiait à Paris. Chaque mot qui sortait de sa bouche semblait à Frédéric être une chose nouvelle, une dépendance exclusive de sa personne. Il regardait attentivement les effilés de sa coiffure, caressant par le bout son épaule nue; et il n'en détachait pas ses yeux, il enfonçait son âme dans la blancheur de cette chair féminine; cependant, il n'osait lever ses paupières, pour la voir plus haut, face à face.
Ils s'en revinrent à Yonville en suivant le bord de l'eau. Dans la saison chaude, la berge plus élargie découvrait jusqu'à leur base les murs des jardins, qui avaient un escalier de quelques marches descendant à la rivière. Elle coulait sans bruit, rapide et froide à l’œil ; de grandes herbes minces s'y courbaient ensemble, selon le courant qui les poussaient, et comme des chevelures vertes abandonnées s’étalaient dans sa limpidité. Quelquefois, à la pointe des joncs ou sur la feuille des nénuphars, un insecte à pattes fines marchait ou se posait. Le soleil traversait d'un rayon les petits globules bleus des ondes qui se succédaient en se crevant ; les vieux saules ébranchés miraient dans l'eau leur écorce grise ; au-delà, tout alentour, la prairie semblait vide. C'était l'heure du dîner dans les fermes, et la jeune femme et son compagnon n'entendaient en marchant que la cadence de leurs pas sur la terre du sentier, les paroles qu'ils se disaient, et le frôlement de la robe d'Emma qui bruissait tout autour d'elle.
Les murs des jardins, garnis à leur chaperon de morceaux de bouteilles, étaient chauds comme le vitrage d'une serre. Dans les briques, des ravenelles avaient poussé ; et, du bord de son ombrelles déployée, Mme Bovary, tout en passant, faisait s'égrener en poussière jaune un peu de leurs fleurs flétries, ou bien quelque branche des chèvrefeuilles et des clématites qui pendaient en dehors traînait un moment sur la soie, en s'accrochant aux effilés.
Et Emma cherchait à savoir ce que l'on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d'ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres
Oui, mon vieux,tu as raison! Nous payons le long mensonge où nous avons vécu, car tout était faux: fausse armée, fausse politique, fausse littérature, faux crédit et même fausses putains- Dire la vérité, c'était être immoral!
A Maxime Du Camp, 29 septembre 1870
C'est par là que nous valons quelque chose, l'aspiration. Une âme se mesure à la dimensions de ses désirs, comme l'on juge d'avance des cathédrales à la hauteur de leurs cloches.
Oiseau.
Désirer en être un, et dire en soupirant : « Des ailes ! Des ailes ! », marque une âme poétique.
Le silence était partout ; quelque chose de doux semblait sortir des arbres ; elle sentait son cœur, dont les battements recommençaient, et le sang circuler dans sa chair comme un fleuve de lait. Alors, elle entendit tout au loin, au-delà du bois, sur les autres collines, un cri vague et prolongé, une voix qui se traînait, et elle l’écoutait silencieusement, se mêlant comme une musique aux dernières vibrations de ses nerfs émus.
Flaubert à George Sand
Non, chère maître, vous n’êtes pas près de votre fin. Tant pis pour vous, peut-être. Mais vous vivrez vieille et très vieille, comme vivent les géants, puisque vous êtes de cette race-là ; seulement, il faut se reposer. Une chose m’étonne, c’est que vous ne soyez pas morte vingt fois, ayant tant pensé, tant écrit, et tant souffert. Allez donc un peu, comme vous en aviez tant envie, au bord de la Méditerranée. L’azur détend et retrempe. Il y a des pays de jouvence, comme la baie de Naples. En de certains moments, ils rendent peut-être plus triste ? Je n’en sais rien.
La vie n’est pas facile ! Quelle affaire compliquée et dispendieuse !
[Incipit.]
Pourquoi écrire ces pages ? À quoi sont-elles bonnes ? - Qu'en sais-je moi-même ? Cela est assez sot, à mon gré, d'aller demander aux hommes le motif de leurs actions et de leurs écrits. - Savez-vous vous-même pourquoi vous avez ouvert les misérables feuilles que la main d'un fou va tracer ?
Un fou ! cela fait horreur. Qu'êtes-vous, vous, lecteur ? Dans quelle catégorie te ranges-tu ? dans celle des sots ou celle des fous ? - Si l'on te donnait à choisir, ta vanité préférerait encore la dernière condition. Oui, encore une fois, à quoi est-il bon, je le demande en vérité, un livre qui n'est ni instructif, ni amusant, ni chimique, ni philosophique, ni agricultural, ni élégiaque, un livre qui ne donne aucune recette ni pour les moutons ni pour les puces, qui ne parle ni des chemins de fer, ni de la Bourse, ni des replis intimes du cœur humain, ni des habits moyen âge, ni de Dieu, ni du diable, mais qui parle d'un fou, c'est-à-dire le monde, ce grand idiot, qui tourne depuis tant de siècles dans l'espace sans faire un pas, et qui hurle, et qui bave, et qui se déchire lui-même ?
Je ne sais pas plus que vous ce que vous allez dire, car ce n'est point un roman ni un drame avec un plan fixe, ou une seule idée préméditée, avec des jalons pour faire serpenter la pensée dans des allées tirées au cordeau.
Seulement je vais mettre sur le papier tout ce qui me viendra à la tête, mes idées avec mes souvenirs, mes impressions, mes rêves, mes caprices, tout ce qui passe dans la pensée et dans l'âme; du rire et des pleurs, du blanc et du noir, des sanglots partis d'abord du cœur et étalés comme de la pâte dans des périodes sonores, et des larmes délayées dans des métaphores romantiques. Il me pèse cependant à penser que je vais écraser le bec à un paquet de plumes, que je vais user une bouteille d'encre, que je vais ennuyer le lecteur et m'ennuyer moi-même ; j'ai tellement pris l'habitude du rire et du scepticisme, qu'on y trouvera, depuis le commencement jusqu'à la fin, une plaisanterie perpétuelle, et les gens qui aiment à rire pourront à la fin rire de l'auteur et d'eux-mêmes.
Des habitudes qu’ils avaient tolérées les faisaient souffrir. Pécuchet devenait incommode avec sa manie de poser sur la nappe son mouchoir. Bouvard ne quittait plus la pipe, et causait en se dandinant. Des contestations s’élevaient, à propos des plats ou de la qualité du beurre. Dans leur tête-à-tête ils pensaient à des choses différentes.
Pécuchet fit creuser devant la cuisine, un large trou, et le disposa en trois compartiments, où il fabriquerait des composts qui feraient pousser un tas de choses dont les détritus amèneraient d’autres récoltes, procurant d’autres engrais, tout cela indéfiniment ; – et il rêvait au bord de la fosse, apercevant dans l’avenir, des montagnes de fruits, des débordements de fleurs, des avalanches de légumes. Mais le fumier de cheval si utile pour les couches lui manquait.
Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c'était là le genre.
... et Charles suffoquait comme un adolescent sous les vagues effluves amoureux qui gonflaient son coeur chagrin...